Par cet arrêt, le Conseil d’Etat vient préciser les règles applicables, en cas de recours des tiers payeurs, au calcul de l’indemnité accordée à une victime, en réparation de ses dommages corporels. Pour chacun des postes de préjudices patrimoniaux et personnels, il convient de préciser la part qui a été réparée par des prestations de sécurité sociale et celle qui est demeurée à la charge de la victime, et de fixer, ensuite, l'indemnité mise à la charge de l'auteur du dommage au titre du poste de préjudice, en tenant compte, le cas échéant, du partage de responsabilité avec la victime. Le Conseil d’Etat souligne, qu'en l'absence de dispositions réglementaires définissant les postes de préjudice, il y a lieu, pour mettre en œuvre la méthode sus-décrite, de distinguer, parmi les préjudices de nature patrimoniale, les dépenses de santé, les frais liés au handicap, les pertes de revenus, l'incidence professionnelle et scolaire et les autres dépenses liées à ce dommage. Parmi les préjudices personnels, sur lesquels l'organisme de sécurité sociale ne peut exercer son recours que s'il établit avoir effectivement et préalablement versé à la victime une prestation réparant de manière incontestable un tel préjudice, il y a lieu de distinguer, pour la victime directe, les souffrances physiques et morales, le préjudice esthétique et les troubles dans les conditions d'existence, envisagés indépendamment de leurs conséquences pécuniaires. |
Conseil d'Etat
N° 272447
Publié au recueil Lebon
5ème et 4ème sous-sections réunies
M. Delarue, président
M. Herbert Maisl, rapporteur
M. Thiellay Jean-Philippe, commissaire du gouvernement
SCP GATINEAU ; SCP PARMENTIER, DIDIER, avocats
Lecture du mercredi 5 mars 2008
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés le 21 septembre et le 22 octobre 2004 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour la CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DE SEINE-SAINT-DENIS, dont le siège est 195, avenue Paul Vaillant-Couturier à Bobigny (93014 cedex) ;
la CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DE SEINE-SAINT-DENIS demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler l'arrêt du 7 juillet 2004 par lequel la cour administrative d'appel de Paris, réformant le jugement du 1er février 2000 du tribunal administratif de Paris, a limité à 5 335,72 euros la somme que l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris a été condamnée à lui verser en remboursement des débours exposés pour le compte de M. Pascal A en raison des suites dommageables de l'intervention chirurgicale subie par ce dernier le 11 avril 1995 à l'hôpital Boucicaut à Paris ;
2°) réglant l'affaire au fond, de condamner l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris à lui verser, en remboursement de ses débours, la somme de 44.082,34 euros avec intérêts de droit, ainsi que le montant des arrérages à échoir de la pension d'accident du travail servie à M. A, au fur et à mesure de leurs échéances, avec intérêts capitalisés à compter du 10 décembre 1999 ;
3°) de mettre à la charge de l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris la somme de 3 050 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ; Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code de la sécurité sociale, notamment son article L. 4541 ;
Vu la loi du 5 juillet 1985 tendant à l'amélioration de la situation des victimes d'accidents de la circulation et à l'accélération des procédures d'indemnisation modifiée ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Herbert Maisl, Conseiller d'Etat ;
- les observations de la SCP Gatineau avocat de la CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DE SEINE-SAINT-DENIS et de la SCP Parmentier, Didier avocat de l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris ;
- les conclusions de M. Jean-Philippe Thiellay, Commissaire du gouvernement ;
Considérant que la CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DE SEINE-SAINT-DENIS demande l'annulation de l'arrêt de la cour administrative d'appel de Paris en date du 7 juillet 2004 en tant qu'il a fixé le préjudice de M. A après avoir jugé que l'Assistance publiqueHôpitaux de Paris était intégralement responsable des conséquences résultant de la lésion du nerf cubital gauche de celui ci, survenue lors de son hospitalisation en avril 1995 à l'hôpital Boucicaut à la suite d'un accident du travail ;
Sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête ;
Considérant qu'aux termes de l'article L. 454-1 du code de la sécurité sociale, dans sa rédaction applicable à la date à laquelle la cour a statué : « Si la responsabilité du tiers auteur de l'accident est entière ou si elle est partagée avec la victime, la caisse est admise à poursuivre le remboursement des prestations mises à sa charge à due concurrence de la part d'indemnité mise à la charge du tiers qui répare l'atteinte à l'intégrité physique de la victime, à l'exclusion de la part d'indemnité, de caractère personnel, correspondant aux souffrances physiques ou morales par elle endurées et au préjudice esthétique et d'agrément » ;
qu'il ressort des termes de l'arrêt attaqué que la cour après avoir fixé le préjudice global à 45.498,01 euros, dont 20.000 euros au titre de la part personnelle, a jugé, sans s'expliquer sur ce point, que le montant de l'indemnité destiné à réparer l'atteinte à l'intégrité physique de la victime sur laquelle pouvait s'imputer la créance de la caisse devait se limiter à 5.335,72 euros et a condamné l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris à rembourser la caisse dans la limite de cette somme ; qu'en omettant de déduire du préjudice global la part d'indemnité à caractère personnel pour déterminer l'assiette du recours de la caisse, la cour n'a pas mis le juge de cassation en mesure d'exercer son contrôle dans l'application des dispositions précitées de l'article L. 4541 du code de la sécurité sociale ; que son arrêt doit être annulé en tant qu'il fixe l'évaluation du préjudice global consécutif à la faute commise par l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris ;
Considérant qu'il y a lieu, en application de l'article L. 821-2 du code de justice administrative de régler, dans cette mesure, l'affaire au fond ;
Sur les droits à réparation de M. A et le recours subrogatoire de la CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DE SEINE-SAINT-DENIS :
Considérant que les dispositions de l'article 31 de la loi du 5 juillet 1985 tendant à l'amélioration de la situation des victimes d'accidents de la circulation et à l'accélération des procédures d'indemnisation, relatif à l'exercice des recours des tiers payeurs contre les personnes tenues à la réparation d'un dommage telles qu'elles ont été modifiées par le IV de l'article 25 de la loi du 21 décembre 2006, relative au financement de la sécurité sociale pour 2007 s'appliquent aux recours exercés par les caisses de sécurité sociale dans une action engagée par la victime d'un accident du travail sur le fondement de l'article L. 454-1 du code de la sécurité sociale ;
que selon ces dispositions qui s'appliquent aux événements ayant occasionné des dommages survenus antérieurement à la date d'entrée en vigueur de la loi du 21 décembre 2006, dès lors que le montant de l'indemnité due à la victime n'a pas été définitivement fixée et, par suite, à la présente affaire : « Les recours subrogatoires des caisses contre les tiers s'exercent poste par poste sur les seules indemnités qui réparent des préjudices qu'elles ont pris en charge, à l'exclusion des préjudices à caractère personnel./ Conformément à l'article 1252 du code civil, la subrogation ne peut nuire à la victime subrogeante, créancière de l'indemnisation, lorsqu'elle n'a été prise en charge que partiellement par les prestations sociales ; en ce cas, l'assuré social peut exercer ses droits contre le responsable, par préférence à la caisse subrogée. / Cependant, si le tiers payeur établit qu'il a effectivement et préalablement versé à la victime une prestation indemnisant de manière incontestable un poste de préjudice personnel, son recours peut s'exercer sur ce poste de préjudice » ;
Considérant qu'en application de ces dispositions le juge, saisi d'un recours de la victime d'un dommage corporel et d'un recours subrogatoire d'un organisme de sécurité sociale doit, pour chacun des postes de préjudices patrimoniaux et personnels, déterminer le montant du préjudice en précisant la part qui a été réparée par des prestations de sécurité sociale et celle qui est demeurée à la charge de la victime ;
qu'il lui appartient ensuite de fixer l'indemnité mise à la charge de l'auteur du dommage au titre du poste de préjudice en tenant compte, s'il a été décidé, du partage de responsabilité avec la victime ;
que le juge doit allouer cette indemnité à la victime dans la limite de la part du poste de préjudice qui n'a pas été réparée par des prestations, le solde, s'il existe, étant alloué à l'organisme de sécurité sociale ;
Considérant qu'en l'absence de dispositions réglementaires définissant les postes de préjudice, il y a lieu, pour mettre en oeuvre la méthode susdécrite, de distinguer, parmi les préjudices de nature patrimoniale, les dépenses de santé, les frais liés au handicap, les pertes de revenus, l'incidence professionnelle et scolaire et les autres dépenses liées à ce dommage ;
que parmi les préjudices personnels, sur lesquels l'organisme de sécurité sociale ne peut exercer son recours que s'il établit avoir effectivement et préalablement versé à la victime une prestation réparant de manière incontestable un tel préjudice, il y a lieu de distinguer, pour la victime directe, les souffrances physiques et morales, le préjudice esthétique et les troubles dans les conditions d'existence, envisagés indépendamment de leurs conséquences pécuniaires ;
En ce qui concerne les préjudices à caractère patrimonial de M. A :
Considérant, en premier lieu, que la CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DE SEINE-SAINT-DENIS justifie avoir pris en charge les dépenses médicales et pharmaceutiques de son assuré en relation avec la faute commise par l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris pour un montant de 1383,47 euros ; qu'il y a lieu de lui allouer cette somme ;
Considérant, en deuxième lieu, que M. A a été victime d'une incapacité temporaire totale de la miavril 1995 à la minovembre 1996 qui a entraîné une perte de revenus qui doit être évaluée à la somme de 18.778,88 euros, somme qui correspond aux indemnités journalières qu'il a reçues de la caisse primaire d'assurance maladie ; qu'il y a lieu d'allouer cette somme à cette dernière ;
Considérant, en troisième lieu, que bien qu'ayant, à l'issue de cette période, retrouvé un emploi mieux rémunéré que celui qu'il occupait avant son accident, la nature de son handicap, qui affecte la mobilité de sa main gauche alors qu'il est travailleur manuel et gaucher et qui est à l'origine d'un taux d'invalidité de 7%, a fait perdre à l'intéressé des chances de progression professionnelle dont il sera fait une juste appréciation en les fixant à 10 000 euros ;
que la CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DE SEINE-SAINT-DENIS verse à M. A une rente dont le capital constitutif s'est élevé à 25 144,16 euros au 1er janvier 2005 ;
que l'objet exclusif de cette rente est de contribuer à la réparation du préjudice subi par l'intéressé dans sa vie professionnelle du fait du handicap ;
qu'il y a lieu, par suite, d'imputer cette rente sur l'indemnité réparant l'incidence professionnelle du handicap, dans la limite des 10 000 euros fixés ci dessus et d'allouer cette somme à la caisse ;
Sur les préjudice à caractère personnel :
Considérant que le préjudice esthétique de M. A doit être fixé à la somme de 1 500 euros et ses souffrances physiques à 3 000 euros ;
qu'il sera fait une juste appréciation des troubles de toute nature engendrés dans les conditions d'existence du requérant par son handicap en les fixant à 10 000 euros ;
Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que la somme que l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris a été condamnée à verser à M. A par le jugement attaqué doit être portée de 7 622,50 euros à 14 500 euros, sous déduction de la somme versée à titre de provision par l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris en application d'une ordonnance du président du tribunal administratif de Paris en date du 19 juillet 1997 ;
que la somme que l'établissement hospitalier a été condamné à verser à la CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DE SEINE-SAINT-DENIS doit être portée de 25.497,16 euros à 30.162,35 euros ;
Sur l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
Considérant qu'il y a lieu dans les circonstances de l'espèce de mettre à la charge de l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris la somme de 3 050 euros que demande la CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DE SEINE-SAINT-DENIS au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ;
D E C I D E :
Article 1er : Les articles 1, 2 et 6 de l'arrêt de la cour administrative d'appel de Paris en date du 7 juillet 2004 sont annulés.
Article 2 : La somme que l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris a été condamnée à verser à M. A par l'article 2 du jugement du tribunal administratif de Paris en date du 1er février 2000 est portée de 7.622,50 euros à 14.500 euros sous déduction de la somme déjà versée à titre de provision.
Article 3 : La somme que l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris a été condamnée à verser à la CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DE SEINE-SAINT-DENIS par l'article 3 du jugement du tribunal administratif de Paris en date du 1er février 2000 est portée de 25.497,16 euros à 30.162, 35 euros.
Article 4 : Le jugement du tribunal administratif de Paris en date du 1er février 2000 est réformé en ce qu'il a de contraire à la présente décision.
Article 5 : L'Assistance publique-Hôpitaux de Paris versera 3.050 euros à la CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DE SEINE-SAINT-DENIS en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 6 : Le surplus de la requête de la CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DE SEINE-SAINT-DENIS et le surplus de la requête d'appel de M. A sont rejetés.
Article 7 : La présente décision sera notifiée à la CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DE SEINE-SAINT-DENIS, à l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris et à M. Pascal A.