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Conseil d'Etat, 5 mars 2010, n°335796 (suspension d'un praticien hospitalier - urgence - menace grave et imminente)

Le Conseil d'Etat rappelle que le directeur d'un établissement public de santé peut suspendre en urgence un praticien hospitalier dès lors qu'une menace grave et imminente, que l'activité du PH faisait peser sur les patients, existait. Cette suspension ne saurait être interrompue par un référé suspension, étant entendu que l'argument mis en avant par le praticien, à savoir une privation de revenus liés à l'exercice de son activité libérale, ne saurait être retenu comme une urgence justifiant la suspension de l'exécution d'un acte administratif.
Le Conseil d'Etat retient que "l'administration fait valoir que des faits, signalés par les chefs de pôle d'activité dont relevait M. X, permettaient de présumer que l'état de santé de ce praticien menaçait de façon grave et imminente la sécurité des malades ; que M. X est d'ailleurs placé en arrêt maladie depuis le 15 décembre 2009 ; qu'ainsi, compte tenu de l'intérêt général qui s'attache à l'exécution de la décision litigieuse, la condition d'urgence ne saurait être regardée, dans les circonstances de l'espèce, comme remplie".

Conseil d'État
Juge des référés

N° 335796   


Inédit au recueil Lebon


M. Aguila, président
M. Yann JR Aguila, rapporteur
SCP CELICE, BLANCPAIN, SOLTNER, avocats


Lecture du vendredi 5 mars 2010

REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la requête, enregistrée au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat le 22 janvier 2010, présentée par M. Albert A, demeurant ... ; M. A demande au juge des référés du Conseil d'Etat :

1°) d'ordonner, sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, la suspension de l'exécution de la décision en date du 16 octobre 2009 par laquelle le directeur général des hospices civils de Lyon l'a suspendu, à titre provisoire et conservatoire, de ses activités cliniques et thérapeutiques ;

2°) d'enjoindre, en conséquence, à l'autorité compétente de le rétablir dans le plein exercice de ses fonctions hospitalières ;

il soutient que la condition d'urgence est satisfaite dès lors que la décision contestée préjudicie au Trésor public et prive M. A des revenus tirés de l'activité libérale qu'il exerce ; qu'il existe un doute sérieux quant à la légalité de la décision de suspension ; qu'en effet, elle n'est pas prévue par le statut des professeurs d'université ; que M. A n'a pas été en mesure de faire valoir ses observations préalablement à l'édiction de la décision litigieuse ;

Vu la décision dont la suspension est demandée ;

Vu la copie de la requête en annulation présentée par M. A ;

Vu le mémoire en défense, enregistré le 19 février 2010, présenté par le ministre de la santé et des sports, qui conclut au rejet de la requête ; il soutient que la condition d'urgence n'est pas remplie dès lors que la santé des patients doit être sauvegardée et que la privation des revenus tirés de son activité libérale ne cause pas un préjudice grave à M. A ; qu'il n'existe pas de moyen susceptible de créer un doute sérieux quant à la légalité de la décision contestée ; qu'en effet, la suspension d'un professeur des universités-praticien hospitalier pour insuffisance professionnelle est prévue par les dispositions du décret n° 84-135 du 24 février 1984 portant statut des personnels enseignants et hospitaliers des centres hospitaliers et universitaires ; qu'il appartient au directeur d'un centre hospitalier de prendre toute mesure propre à garantir la sécurité des patients ; que la décision de suspension n'a pas à être motivée ni précédée de la communication du dossier ;

Vu le mémoire en défense, enregistré le 23 février 2010, présenté par le ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche, qui conclut au rejet de la requête ; il soutient que la requête est irrecevable, dès lors qu'aucun recours au fond n'a été déposé contre la décision litigieuse ; que la condition d'urgence n'est pas remplie puisque la sécurité des patients s'attache à ce que la décision de suspension soit exécutée ; qu'il n'existe pas de moyen susceptible de créer un doute sérieux quant à la légalité de la décision attaquée ; que le directeur général a régulièrement suspendu M. A sur le fondement des dispositions de l'article L. 6143-7 du code de la santé publique ; que M. A fait l'objet d'une procédure de congé de longue maladie d'office ;

Vu le mémoire en défense, enregistré le 25 février 2010, présenté par les hospices civils de Lyon, qui conclut au rejet de la requête ; il soutient que la requête est irrecevable, dès lors qu'aucun recours au fond n'a été déposé contre la décision litigieuse ; que la condition d'urgence n'est pas remplie dès lors que M. A n'établit pas qu'un préjudice financier génère un véritable trouble dans ses conditions d'existence, qu'en tout état de cause, la sécurité des patients doit prévaloir sur un tel préjudice ; qu'il n'existe pas de moyen sérieux susceptible de créer un doute sérieux quant à la légalité de la décision attaquée ; que le statut des professeurs de universités - praticiens hospitaliers prévoit la mesure de suspension ; que l'urgence et la nécessité de préserver la continuité du service et la sécurité des soins justifient les pouvoirs du directeur d'établissement en matière de suspension ; qu'un comité médical se réunira afin de prononcer sur l'aptitude physique du requérant ;

Vu le nouveau mémoire, enregistré le 1er mars 2010, présenté pour M. A, qui reprend les conclusions et les moyens de son précédent mémoire et produit de nouvelles pièces ; il soutient en outre que la requête est recevable en tant qu'elle concerne la décision implicite de refus du ministre de se prononcer sur la situation de M. A ; que la mesure de suspension n'est pas proportionnée aux risques qu'elle prétend prévenir ; qu'elle est entachée d'un défaut de base légale ;

Vu le mémoire de production, enregistré le 2 mars 2010, présenté par les hospices civils de Lyon ;

Vu les autres pièces du dossier ;


Vu le code de santé publique ;

Vu le décret n° 84-135 du 24 février 1984 portant statut des personnels enseignants et hospitaliers des centres hospitaliers et universitaires ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir convoqué à une audience publique, d'une part, M. A et, d'autre part, le ministre de la santé et des sports, le ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche et les hospices civils de Lyon ;
Vu le procès-verbal de l'audience du 2 mars 2010 à 11 heures au cours de laquelle ont été entendus :

- Me Blancpain, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat de M. A ;

- M. A;

- la représentante des hospices civils de Lyon ;

- les représentants du ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche ;

Considérant qu'aux termes du premier alinéa de l'article L. 521-1 du code de justice administrative : Quand une décision administrative, même de rejet, fait l'objet d'une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d'une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l'exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l'urgence le justifie et qu'il est fait état d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision ;

Considérant que l'urgence justifie la suspension de l'exécution d'un acte administratif lorsque celle-ci porte atteinte, de manière suffisamment grave et immédiate, à un intérêt public, à la situation du requérant ou aux intérêts qu'il entend défendre ; qu'il appartient au juge des référés d'apprécier concrètement, compte tenu des justifications fournies par le requérant, si les effets de l'acte contesté sont de nature à caractériser une urgence justifiant que, sans attendre le jugement de la requête au fond, l'exécution de la décision soit suspendue ; que l'urgence doit être appréciée objectivement et compte tenu de l'ensemble des circonstances de l'affaire ;

Considérant que M. A demande la suspension de l'exécution de la décision en date du 16 octobre 2009 par laquelle le directeur général des hospices civils de Lyon l'a suspendu de ses activités cliniques et thérapeutiques à titre provisoire et conservatoire ; que, pour justifier de l'urgence qui s'attacherait à cette suspension, il fait valoir qu'il est privé des revenus liés à l'exercice de son activité libérale et risque en outre de perdre sa clientèle ; que, toutefois, la décision attaquée prévoit que, durant la période de suspension, M. A bénéficie des émoluments afférents à son statut ; que, par ailleurs, cette décision, prise sur le fondement des pouvoirs conférés au directeur d'un établissement public de santé par l'article L. 6143-7 du code de la santé publique, vise à prévenir les risques pour la sécurité des malades pris en charge par l'intéressé ; que l'administration fait valoir que des faits, signalés par les chefs des pôles d'activité dont relevait M. A, permettaient de présumer que l'état de santé de ce praticien menaçait de façon grave et imminente la sécurité des malades ; que M. A est d'ailleurs placé en arrêt maladie depuis le 15 décembre 2009 ; qu'ainsi, compte tenu de l'intérêt général qui s'attache à l'exécution de la décision litigieuse, la condition d'urgence ne saurait être regardée, dans les circonstances de l'espèce, comme remplie ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se statuer sur les fins de non-recevoir opposées par l'administration, que la requête de M. A doit être rejetée ;

O R D O N N E :

Article 1er : La requête de M. A est rejetée.

Article 2 : La présente ordonnance sera notifiée à M. Albert A, au ministre de la santé et des sports, au ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche et aux hospices civils de Lyon.