En l’espèce, une patiente âgée de 23 ans est hospitalisée à plusieurs reprises au sein d’un centre hospitalier spécialisé à compter de janvier 2003 en raison de risques de passage à l’acte suicidaire. Elle est placée sous le régime de l’hospitalisation sur demande d’un tiers en raison d’un péril imminent. Elle fait alors deux tentatives de suicide en deux jours et a tenté, au cours d’une sortie d’essai, de se couper les veines après avoir subtilisé une lame de rasoir. Hospitalisée à nouveau dans le même établissement hospitalier, la patiente est sortie du service où elle était prise en charge et a ingérée un produit détergent dans l’enceinte de l’hôpital. Elle est décédée le 22 octobre 2003 des suites des graves brûlures causées par l’ingestion de ce produit toxique. Le Conseil d’Etat a considéré que compte tenu des circonstances de son hospitalisation et de la parfaite connaissance qu'avaient les médecins des risques que comportait son état mental, le fait que la patiente ait pu échapper à la vigilance du service où elle était hospitalisée et ait pu mettre fin à ses jours révèle une défaillance dans la surveillance et une faute dans l'organisation du service. La haute juridiction administrative estime ainsi que cette faute est directement à l'origine de l'accident qui a entraîné la mort de la patiente et que la responsabilité de l'établissement hospitalier peut être engagée. |
Conseil d'État
N° 303983
Inédit au recueil Lebon
5ème sous-section jugeant seule
Mme Hubac, président
M. Marc Lambron, rapporteur
SCP DEFRENOIS, LEVIS ; LE PRADO, avocats
lecture du lundi 9 mars 2009
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu l'ordonnance en date du 21 mars 2007, enregistrée au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat le 23 mars 2007, par laquelle le président de la cour administrative d'appel de Douai a transmis, en application de l'article R. 351-2 du code de justice administrative, la requête présentée devant cette cour par Mme Fanny A ;
Vu la requête, enregistrée le 5 mars 2007 au greffe de la cour administrative d'appel de Douai, présentée par Mme Fanny A, demeurant ..., tendant à ce que cette cour :
1°) annule l'ordonnance du 19 décembre 2006 du vice-président du tribunal administratif de Lille rejetant sa demande ;
2°) condamne le centre hospitalier spécialisé de Saint Venant à lui verser une indemnité de 5 000 euros en réparation du préjudice subi du fait de la faute de service commise lors de l'hospitalisation de sa soeur dans cet établissement, ayant entraîné son décès ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code de la santé publique :
Vu la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Marc Lambron, Conseiller d'Etat,
- les observations de la SCP Defrenois, Levis, avocat Mme A et Me Le Prado, avocat du centre hospitalier spécialisé de Saint-Venant,
- les conclusions de Mme Catherine de Salins, Rapporteur public ;
Considérant que Mme Fanny A a présenté le 10 novembre 2006 devant le tribunal administratif de Lille une demande tendant à la condamnation du centre hospitalier spécialisé de Saint Venant à réparer le préjudice qu'elle avait subi du fait du décès de sa soeur Maggie B ; que, par courrier du 15 novembre 2006, le greffe de ce tribunal a invité Mme Fanny A à régulariser sa demande par la production de la décision attaquée ; que par ordonnance du 19 décembre 2006, le vice-président du tribunal administratif de Lille a rejeté la demande pour irrecevabilité, en application des dispositions de l'article R. 412-1 du code de justice administrative ; que Mme Fanny A se pourvoit régulièrement en cassation contre cette ordonnance ;
Considérant qu'aux termes de l'article R. 612-1 du code de justice administrative : « Lorsque les conclusions sont entachées d'une irrecevabilité susceptible d'être couverte après l'expiration du délai de recours, la juridiction ne peut les rejeter en relevant d'office cette irrecevabilité qu'après avoir invité leur auteur à les régulariser (...). La demande de régularisation mentionne qu'à défaut de régularisation, les conclusions pourront être rejetées comme irrecevables dès l'expiration du délai imparti qui, sauf urgence, ne peut être inférieur à quinze jours (...) » ;
Considérant qu'il ressort des pièces du dossier des juges du fond que la demande de régularisation adressée à Mme A par courrier en date du 30 novembre 2006 se bornait à inviter la requérante à produire la décision attaquée « dans les meilleurs délais » ; que faute d'impartir à l'intéressée un délai précis, cette demande ne répondait pas aux prescriptions de l'article R. 612-1 précité du code de justice administrative ; qu'au surplus la demande de régularisation n'a été notifiée à Mme A, par voie administrative, que le 6 décembre 2006 et que l'ordonnance a été prise le 19 décembre, alors qu'aucune urgence ne justifiait que la requérante ne bénéficie pas du délai minimal de quinze jours prévu au même article ; que Mme Fanny A est par suite fondée à soutenir que l'ordonnance a été prise à l'issue d'une procédure irrégulière et à en demander, pour ce motif, l'annulation ;
Considérant que, dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu pour le Conseil d'Etat de régler l'affaire au fond par application de l'article L. 821-2 du code de justice administrative ;
Sur les fins de non-recevoir opposées par le centre hospitalier spécialisé de Saint-Venant :
Considérant que, dès lors qu'elle était dirigée contre un établissement public d'une collectivité territoriale, la demande présentée par Mme Fanny A devant le tribunal administratif de Lille était dispensée du ministère d'avocat en application de l'article R. 431-3, 5° du code de justice administrative; qu'ainsi la fin de non-recevoir tirée de ce que la demande n'a pas été présentée par un avocat, un avocat au Conseil d'Etat ou un avoué en exercice dans le ressort du tribunal administratif ne saurait, en tout état de cause, être accueillie ;
Considérant que Mme Fanny A a produit, devant le Conseil d'Etat, copie de la réclamation qu'elle a adressée au centre hospitalier spécialisé de Saint Venant le 30 novembre 2006 afin d'obtenir réparation du préjudice dont elle lui impute la responsabilité ; que le rejet implicite de cette réclamation a lié le contentieux ; que la circonstance que la demande a été introduite devant le tribunal administratif à une date antérieure à la présentation de la réclamation est sans incidence sur sa recevabilité ;
Sur la responsabilité du centre hospitalier :
Considérant qu'il résulte de l'instruction que Mlle Maggie B, alors âgée de 23 ans, a été hospitalisée à plusieurs reprises au centre hospitalier spécialisé de Saint-Venant à compter de janvier 2003 en raison de risques de passage à l'acte suicidaire ; que le 9 mai 2003, alors qu'elle y séjournait auparavant librement, elle a été placée sous le régime de l'hospitalisation sur demande d'un tiers en raison d'un péril imminent ; qu'elle a alors commis deux tentatives de suicide en deux jours ; qu'au cours d'une « sortie d'essai », elle a subtilisé une lame de rasoir et tenté une nouvelle fois de se couper les veines ; qu'hospitalisée à nouveau au centre hospitalier spécialisé de Saint-Venant le 13 mai 2003, elle est sortie du service où elle était prise en charge et a ingéré un produit détergent caustique, trouvé dans un pavillon voisin, dans l'enceinte de l'hôpital ; qu'elle est décédée le 22 octobre 2003, en dépit des soins reçus et interventions chirurgicales subies, des suites des graves brûlures causées par l'ingestion de ce produit toxique ;
Considérant que, compte tenu des circonstances de son hospitalisation et de la parfaite connaissance qu'avaient les médecins des risques que comportait son état mental, le fait que Mlle Maggie B ait pu échapper à la vigilance du service où elle était hospitalisée et ait pu mettre fin à ses jours révèle une défaillance dans la surveillance et une faute dans l'organisation du service ; que cette faute est directement à l'origine de l'accident qui a entraîné la mort de Mlle B ; qu'elle est de nature à engager la responsabilité de l'établissement hospitalier ;
Sur l'évaluation du préjudice :
Considérant qu'en demandant une indemnité de 5 000 euros en réparation du préjudice moral ayant résulté pour elle des souffrances puis du décès de sa soeur, Mme Fanny A ne fait pas, contrairement à ce que soutient le centre hospitalier spécialisé de Saint Venant, une évaluation excessive de ce préjudice ; qu'il y a lieu par suite de faire droit intégralement aux conclusions indemnitaires de la requérante ;
Sur les frais exposés et non compris dans les dépens :
Considérant qu'il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de mettre à la charge du centre hospitalier spécialisé de Saint Venant le versement à Mme Fanny A de la somme qu'elle demande au titre des frais exposés devant le tribunal administratif et non compris dans les dépens ; que Mme Fanny A a obtenu devant le Conseil d'Etat le bénéfice de l'aide juridictionnelle ; que, par suite, son avocat peut se prévaloir des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 ; qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, et sous réserve que la SCP Defrenois et Levis renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat, de mettre à la charge du centre hospitalier spécialisé de Saint-Venant le versement à cette SCP de la somme de 3 000 euros ; que ces mêmes dispositions font obstacle à ce que soit mise à la charge de Mme Fanny A, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, le versement d'une somme au titre des frais exposés par le centre hospitalier et non compris dans les dépens ;
D E C I D E :
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Article 1er : L'ordonnance de 19 décembre 2006 du vice-président du tribunal administratif de Lille est annulée.
Article 2 : Le centre hospitalier spécialisé de Saint Venant est condamné à verser à Mme Fanny A une indemnité de 5 000 euros.
Article 3 : Le centre hospitalier spécialisé de Saint Venant versera à la SCP Defrenois et Levis une somme de 3 000 euros en application des dispositions du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve que cette société renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat.
Article 4 : Le surplus de la demande de première instance de Mme A est rejeté.
Article 5 : Les conclusions présentées par le centre hospitalier spécialisé de Saint Venant devant le tribunal administratif de Lille tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 6 : La présente décision sera notifiée à Mme Fanny A et au centre hospitalier spécialisé de Saint-Venant.