En l’espèce, une parturiente, suivie au sein d’un centre hospitalier intercommunal, a donné naissance à un enfant présentant des malformations importantes qui n’ont pas été détectées lors des échographies de contrôle pratiquées au cours de la grossesse. Les parents et leur fille ont alors demandé réparation de leurs préjudices à raison de la naissance de leur enfant atteint de malformations non décelées pendant la grossesse entraînant pour celui-ci un handicap. La Cour administrative d’appel de Bordeaux confirme par cet arrêt le jugement rendu par le tribunal administratif accordant réparation aux requérants pour les préjudices subis. Elle se fonde sur l’article L. 114-5 du Code de l’action sociale et des familles en vertu duquel la responsabilité d’un professionnel ou d’un établissement de santé peut-être engagée vis-à-vis des parents d’un enfant né avec un handicap lorsque cet handicap n’a pas été décelé pendant la grossesse à la suite d’une faute caractérisée. Selon la Cour, le centre hospitalier a commis une faute caractérisée en ne diagnostiquant pas les malformations des membres dont le fœtus était porteur et en délivrant une information sans réserve aux parents qui s’est révélée erronée.
N° 09BX02151
Inédit au recueil Lebon
2ème chambre (formation à 3)
M. DUDEZERT, président
M. Philippe CRISTILLE, rapporteur
M. LERNER, commissaire du gouvernement
SAUDEMONT, avocat
lecture du mardi 2 novembre 2010
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire enregistrés au greffe de la Cour respectivement les 4 septembre et 26 octobre 2009 par télécopie et les 7 septembre et 29 octobre 2009 en original sous le n° 09BX02151 présentés pour le CENTRE HOSPITALIER INTERCOMMUNAL DU VAL D'ARIEGE dont le siège est chemin de Barrau-Saint-Jean de Verges à Foix cedex (09017), par Me Le Prado, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de Cassation ;
Le CENTRE HOSPITALIER INTERCOMMUNAL DU VAL D'ARIEGE demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement n° 054678 en date du 6 juillet 2009 par lequel le Tribunal administratif de Toulouse l'a condamné à verser à M. et Mme X une somme de 45 000 euros et à leur fille mineure dont ceux-ci sont les représentants légaux une somme de 9 000 euros, en réparation de leurs préjudices propres à raison de la naissance de l'enfant Clément atteint de malformations non décelées pendant la grossesse ;
2°) de rejeter la demande présentée par les consorts X devant le tribunal administratif ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code de la santé publique ;
Vu le code de l'action sociale et des familles ;
Vu le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 5 octobre 2010 ;
le rapport de M. Cristille, premier conseiller ;
les observations de Me Sèze pour M. et Mme X ;
et les conclusions de M. Lerner, rapporteur public,
La parole ayant été à nouveau donnée aux parties ;
Considérant que Mme Isabelle X qui était suivie depuis le mois de juillet 2004 au service de gynécologie obstétrique du CENTRE HOSPITALIER INTERCOMMUNAL DU VAL D'ARIEGE pour sa troisième grossesse, a donné naissance, le 24 février 2005, à un enfant, Clément, présentant une absence ou agénésie du membre supérieur droit, une grave déformation de la main gauche et des deux pieds ainsi qu'une malformation des organes génitaux qui n'ont pas été détectées lors des échographies de contrôle pratiquées au cours de la grossesse ; que M. et Mme X ont recherché la responsabilité de l'établissement public hospitalier ; que le CENTRE HOSPITALIER INTERCOMMUNAL DU VAL D'ARIEGE fait appel du jugement du Tribunal administratif de Toulouse du 6 juillet 2009 qui a jugé que l'erreur dans le diagnostic prénatal constituait une faute caractérisée et l'a condamné à réparer, à hauteur de 54 000 euros, les conséquences dommageables résultant pour les époux X agissant en leur nom propre et au nom de leur autre enfant mineur, de l'absence de diagnostic des malformations dont était porteur le foetus qui leur aurait permis de demander le bénéfice de l'avortement thérapeutique ou, à défaut, de mieux se préparer à la naissance d'un enfant handicapé ; que les consorts X demandent par la voie de l'appel incident que l'indemnité qui leur a été allouée soit portée à la somme totale de 155 000 euros ; que, pour sa part, l'office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales conclut à la confirmation du jugement et à sa mise hors de cause ;
Sur la régularité du jugement attaqué :
Considérant que le jugement du Tribunal administratif de Toulouse a répondu à l'ensemble des moyens dont il était saisi ; qu'il est ainsi suffisamment motivé au regard des exigences de l'article L. 9 du code de justice administrative ;
Sur la responsabilité :
Considérant qu'aux termes des dispositions du premier alinéa et du troisième alinéa du I de l'article 1 de la loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé, codifiées au premier alinéa et au troisième alinéa de l'article L. 114-5 du code de l'action sociale et des familles : Nul ne peut se prévaloir d'un préjudice du seul fait de sa naissance (...) / Lorsque la responsabilité d'un professionnel ou d'un établissement de santé est engagée vis-à-vis des parents d'un enfant né avec un handicap non décelé pendant la grossesse à la suite d'une faute caractérisée, les parents peuvent demander une indemnité au titre de leur seul préjudice. Ce préjudice ne saurait inclure les charges particulières découlant, tout au long de la vie de l'enfant, de ce handicap. La compensation de ce dernier relève de la solidarité nationale ;
Considérant qu'il résulte de l'instruction et notamment des rapports d'expertise effectuée à la demande de la commission régionale de conciliation et d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales de Midi-Pyrénées que les malformations dont l'enfant est atteint sont sans lien avec une quelconque faute des médecins du centre hospitalier mais qu'elles trouvent leur origine dans les traitements anti-épileptiques par Tegretol et Dépakine que Mme X prend de manière continue et à fort dosage et qu'elle a poursuivi pendant sa grossesse ;
Considérant que, d'une part, il résulte des énonciations de ces mêmes rapports que les traitements anti-épileptiques occasionnent un risque élevé de malformation du foetus et notamment un risque d'agénésie bien que ce dernier ne soit pas le plus fréquemment rencontré ; que si dans le suivi échographique des 1er et 2ème trimestres de grossesse où, selon l'expertise, il est recommandé de procéder à une étude morphologique détaillée du foetus, l'obstétricien échographiste s'est attaché à la détection des malformations les mieux connues en lien avec l'utilisation d'anti-épileptiques par la mère telles que les anomalies rachidiennes, il est constant que ce praticien n'a pas ou a insuffisamment exploré les possibles malformations des membres du foetus ; que, d'autre part, il n'est pas contesté que le praticien du centre hospitalier qui a réalisé les deux échographies morphologiques a coché les cases du compte rendu pré-établi d'examen mentionnant, s'agissant de l'échographie du 25 août 2004, que les conditions d'examen étaient bonnes, que les quatre membres du foetus étaient présents et comportaient trois segments et s'agissant de l'échographie du 25 octobre 2004 que les conditions d'examen étaient bonnes et qu'il existait deux membres inférieurs et deux pieds, deux membres supérieurs et deux mains et, non pas dans ces deux comptes-rendus, les cases indiquant visualisé ou exploré sans exclure le risque d'erreur ; qu'ainsi, le praticien n'a pas fait état de réserves ou de possibilités d'erreur d'interprétation mais a, au contraire, indiqué à deux reprises et à deux mois d'intervalle que le bilan morphologique n'avait pas révélé d'anomalies ; qu'il suit de là et alors que la difficulté propre à l'interprétation des examens destinés à déceler un handicap comme l'agénésie qui est certaine, n'empêche pas, aux dires des experts, une sensibilité du dépistage de 70 % pour les anomalies majeures comme celles dont souffre l'enfant Clément, que le centre hospitalier a, en ne diagnostiquant pas les malformations des membres dont le foetus était porteur et en délivrant une information sans réserve aux époux X qui s'est révélée erronée, commis une faute qui doit être regardée comme caractérisée au sens de l'article L. 114-5 du code de l'action sociale et des familles précité ;
Sur les préjudices :
Considérant qu'il ne résulte pas des expertises médicales que les malformations des membres dont est atteint l'enfant n'auraient pas été décelables dans le délai légal d'interruption volontaire de grossesse ; qu'il ne résulte pas davantage de l'instruction que l'interruption de grossesse pour motif thérapeutique prévue par l'article L. 2213-1 du code de la santé publique lorsqu'il existe une forte probabilité que l'enfant à naître soit atteint d'une affection d'une particulière gravité reconnue comme incurable au moment du diagnostic n'aurait pu être pratiquée en l'espèce eu égard à la lourdeur du handicap dont était porteur l'enfant Clément à sa naissance qui l'empêche d'être autonome ; que dans ces conditions et comme le tribunal l'a jugé à bon droit, M. et Mme X sont fondés à soutenir que l'absence de diagnostic de malformation de leur enfant lors des examens échographiques prénataux les a privés de l'information préalable qui leur aurait permis de recourir à une interruption de grossesse ; qu'il suit de là et sans qu'il soit besoin d'ordonner une expertise avant dire droit que le CENTRE HOSPITALIER INTERREGIONAL DU VAL D'ARIEGE n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Toulouse l'a condamné à réparer les préjudices causés par la faute qu'il a commise ;
Considérant que compte tenu de la gravité des malformations dont le foetus était atteint et de la circonstance que les époux X étaient déjà parents d'une enfant, Pauline née en 2001 et qui ne souffre d'aucun handicap, la faute engageant la responsabilité de l'établissement, a entraîné pour les époux X la perte d'une chance de recourir à une interruption de grossesse, dont le taux a été justement fixé par le tribunal administratif, dans les circonstances de l'espèce, à 90 % ; que le CENTRE HOSPITALIER INTERREGIONAL DU VAL D'ARIEGE doit, dès lors, être condamné à indemniser cette fraction des préjudices subis ;
Considérant que le tribunal administratif a fait une juste appréciation du préjudice moral supporté par M. et Mme X et par leur fille et de la modification de leurs conditions d'existence à la suite de la naissance d'un enfant affecté d'un lourd handicap en allouant à M. et Mme X, agissant en leur nom propre et agissant au nom de leur fille mineure, respectivement une somme de 45 000 euros et une somme de 9 000 euros qui tiennent compte du taux de 90 % précédemment retenu ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que les consorts X ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif a limité à la somme globale de 54 000 euros la condamnation du centre hospitalier ;
Sur l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de mettre à la charge du CENTRE HOSPITALIER INTERCOMMUNAL DU VAL D'ARIEGE le versement aux consorts X d'une somme de 1 500 euros au titre des frais engagés en appel ;
DECIDE :
Article 1er : La requête du CENTRE HOSPITALIER INTERCOMMUNAL DU VAL D'ARIEGE est rejetée.
Article 2 : Les conclusions incidentes des consorts X sont rejetées.
Article 3 : Le CENTRE HOSPITALIER INTERCOMMUNAL DU VAL D'ARIEGE versera aux consorts X une somme de 1 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.