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Cour administrative d'appel de Bordeaux, 5 février 2002, Consorts X. (défaut de surveillance - non prise en compte des troubles psychologiques de la patiente)

REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la requête enregistrée au greffe de la cour le 29 septembre 1998, présentée pour :

- Mme X - M. X- M. Y - Mlle Z. M. et Mme X. agissant en qualité de représentants légaux de leurs enfants mineurs X., domiciliés à (...) ;

Les Consorts X. demandent à la cour :
- d'annuler le jugement du 23 juin 1998 par lequel le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté leur demande tendant à ce que le centre hospitalier spécialisé de Vauclaire soit condamné à réparer les conséquences dommageables de la tentative de suicide le 14 janvier 1992 de Mme X. ;
- de condamner le centre hospitalier spécialisé de Vauclaire à payer à Mme X. la somme de 4 555 743,53 F avec intérêts au taux légal à compter de la décision à intervenir, à M. X. la somme de 100 000 F, à M. Y. la somme de 80 000 F, à Mlle Z. la somme de 330 000 F et à M. et Mme X. en leur qualité de représentants de leurs deux filles mineures la somme de 160 000 F ;
- de désigner un expert afin de déterminer les frais à engager pour l'amélioration du domicile de Mme X. à raison de son handicap ;
- de condamner le centre hospitalier spécialisé de Vauclaire à leur verser 15 000 F en application de l'article L. 8-1 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ;

Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code de la sécurité sociale ;
Vu le décret n° 86-973 du 8 août 1986 fixant les modalités de conversion en capital d'une rente consécutive à un accident ;
Vu le code de justice administrative, ensemble le code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 8 janvier 2002 :
- le rapport de Mlle Roca ;
- les observations de Maître Monet, avocats des Consorts X. ;
- et les conclusions de M. Rey, commissaire du gouvernement ;

Considérant que le 14 janvier 1992 Mme X. a été transférée du centre hospitalier de Périgueux, où elle avait subi un lavage gastrique, au centre hospitalier spécialisé de Vauclaire ; qu'après avoir été examinée par le psychiatre de service, elle a été placée en service libre dans une chambre située au premier étage ; que deux heures plus tard elle a enjambé la fenêtre de sa chambre et s'est jetée dans le vide ; qu'à la suite de cette chute Mme X. est atteinte d'une paraplégie complète ;

Sur la responsabilité :

Considérant qu'il résulte de l'instruction que l'admission au centre hospitalier spécialisé de Vauclaire de Mme X. était consécutive à une tentative de suicide par absorption de médicaments ; que l'attention du personnel hospitalier qui a accueilli Mme X. en service libre avait été attirée par les médecins ayant procédé aux premiers examens sur la nécessité d'exercer une surveillance renforcée de la patiente compte tenu de son état dépressif et de sa tendance suicidaire ; que, dans ces conditions, la circonstance que la victime ait été laissée sans surveillance dans une chambre dont la fenêtre, aisément accessible, n'était munie d'aucun dispositif de sécurité, est constitutive d'une faute dans l'organisation et le fonctionnement du service de nature à engager la responsabilité du centre hospitalier ; que, dès lors, c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Bordeaux a estimé que les requérants n'étaient pas fondés à rechercher la responsabilité du centre hospitalier spécialisé de Vauclaire ;

Sur la réparation :

Considérant qu'il résulte de l'instruction, notamment du rapport de l'expert désigné par le tribunal administratif, que Mme X., âgée de 36 ans à l'époque des faits, a subi une incapacité temporaire totale de plus de 29 mois ; que son état a été consolidé à la date du 23 juin 1994 ; qu'elle demeure atteinte d'une paralysie totale des membres inférieurs à l'origine d'une incapacité permanente partielle évaluée à 90 %, et doit avoir recours à l'aide partielle d'une tierce personne ;

Considérant que Mme X. ne justifie d'aucune perte de revenus pendant la période d'incapacité temporaire totale ; qu'il sera fait une juste appréciation des troubles de toute nature subis dans ses conditions d'existence, des souffrances physiques endurées, qualifiées d'importantes par l'expert, et du préjudice esthétique, en lui allouant la somme de 228 670 euros ; que la charge résultant de la nécessité d'avoir recours à l'aide d'une tierce personne six heures par jour sera réparé, au regard d'un taux horaire fixé à la somme de 7,62 euros et du barème de capitalisation de rentes viagères annexé au décret n° 86-973 du 8 août 1986, par l'octroi d'une somme de 229 023 euros, de laquelle il convient de déduire la somme de 35 788 euros (234 754 F) perçue par la victime au titre de l'allocation aux adultes handicapés ; que si Mme X. sollicite le remboursement des frais de renouvellement de son fauteuil roulant, elle ne précise pas la part de ces frais qu'elle devrait éventuellement assumer après prise en charge de cet appareillage par l'organisme social ; qu'elle ne saurait, dès lors, obtenir une indemnisation à ce titre ;

Considérant qu'une expertise aux fins de déterminer le montant des travaux d'aménagement à réaliser au domicile de la victime serait frustratoire dès lors qu'il ressort du rapport précité de l'expert que ces travaux ont déjà été réalisés et qu'il incombait aux requérants d'en justifier le montant ;

Considérant qu'il sera fait une juste appréciation des troubles dans les conditions d'existence et du préjudice moral subis par M. X. et par ses quatre enfants du fait des infirmités de leur épouse et mère en allouant au premier la somme de 15 000 euros et à chacun des quatre autres la somme de 6 500 euros ; que le préjudice invoqué par Mlle X., tenant à la perte d'une chance de trouver un emploi indépendant, ne présente pas un caractère certain et ne peut, dès lors, être indemnisé ;

Considérant que la caisse de Mutualité sociale agricole de la Dordogne qui, bien que mise en cause par le tribunal administratif, n'a pas produit d'observations en première instance, est censée avoir renoncé à l'exercice de ses droits ; qu'elle n'est, dès lors, pas recevable à demander pour la première fois en appel le remboursement des prestations qu'elle a versées pour le compte de Mme X. ;

Considérant que le montant de la créance de la caisse, qui doit néanmoins être pris en compte pour déterminer le montant de l'indemnité revenant à la victime, n'a dans les circonstances de l'espèce aucune incidence sur les droits de celle-ci ;

Sur les intérêts :

Considérant que les intérêts de la somme de 421 905 euros allouée à Mme X. sont de droit à compter du présent arrêt ;

Sur les frais d'expertise :

Considérant que les frais de l'expertise ordonnée en référé par le tribunal administratif de Bordeaux sont mis à la charge du centre hospitalier spécialisé de Vauclaire ;

Sur l'application des dispositions de l'article L. 761- 1 du code de justice administrative :

Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de condamner le centre hospitalier spécialisé de Vauclaire à payer 1 000 euros aux Consorts X. au titre des frais qu'ils ont engagés non compris dans les dépens ;

DECIDE :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Bordeaux du 23 juin 1998 est annulé.
Article 2 : Le centre hospitalier spécialisé de Vauclaire est condamné à verser à Mme X. la somme de 421 905 euros (2 767 515 F), à M. X. la somme de 15 000 euros (98 394 F), à M. et Mme X. en qualité de représentants légaux de leurs deux enfants mineures X la somme de 13 000 euros (85 274 F), à M. Y et à Mlle Z la somme de 6
500 euros chacun (42 637 F).

Article 3 : Les frais d'expertise sont mis à la charge du centre hospitalier spécialisé de Vauclaire.
Article 4 : Le centre hospitalier spécialisé de Vauclaire versera aux Consorts X. la somme de 1 000 euros (6 560 F) en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 5 : Le surplus de la requête des Consorts X. et les conclusions de la caisse de mutualité sociale agricole de la Dordogne sont rejetés.