Par cette décision, la Cour administrative d’appel de Douai considère que, indépendamment de la loi n° 2002-73 du 17 janvier 2002 de modernisation sociale prohibant le harcèlement moral dans la fonction publique, un comportement vexatoire de l’administration sur une longue durée, en l’espèce celui d’un centre hospitalier à l’encontre d’un agent, constitue une faute de nature à engager la responsabilité de l’administration. En l’espèce, un cadre infirmier soutenait qu’il avait été victime, de 1999 à 2004, d’un ensemble de comportements qualifiable de harcèlement moral de la part du centre hospitalier régional universitaire (CHRU) dans lequel il exerçait. Il s’agissait notamment de refus de lui accorder des autorisations d’absence exceptionnelle pour son mariage ou la naissance de son fils, du refus de congés annuels à prendre à une période déterminée, l’absence d’évolution de carrière entre 2000 et 2003 ou bien le refus de demande de renouvellement de service à temps partiel de nuit. La cour a estimé que« si la succession sur une longue durée d'événements administratifs de nature et de portées différentes a pu conduire [l’infirmier] à y voir la marque d'un comportement général vexatoire ayant eu pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptibles de porter atteinte à sa situation professionnelle et personnelle, ces évènements, révélateurs à la fois des difficultés d'organisation de la clinique (…) [qui dépend d’un CHRU] et d'une détérioration des relations de travail en son sein, n'établissent toutefois pas l'existence d'un comportement global et délibéré de nature vexatoire à l'encontre de » l’infirmier. Elle rejette ainsi la demande du requérant tendant à la condamnation du CHRU. |
Cour administrative d'appel de Douai
N° 11DA00926
Inédit au recueil Lebon
2e chambre - formation à 3
M. Mortelecq, président
M. Olivier Gaspon, rapporteur
M. Marjanovic, rapporteur public
DECHELETTE, avocat
lecture du mardi 29 mai 2012
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu la requête, enregistrée par télécopie le 10 juin 2011 et régularisée par la production de l'original le 17 juin 2011 au greffe de la cour administrative d'appel de Douai, présentée pour M. Nelson A, demeurant ..., par Me Dechelette, avocat ; M. A demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement n° 0802625 du 30 mars 2011 par lequel le tribunal administratif de Lille a rejeté sa demande tendant à la condamnation du centre hospitalier régional universitaire de Lille à lui verser la somme de 22 163,52 euros au titre du préjudice moral et des troubles dans les conditions d'existence et la somme de 41 864,09 euros pour la perte de ressources ;
2°) de condamner le centre hospitalier régional universitaire de Lille à lui verser la somme de 30 936,58 euros au titre du préjudice moral et des troubles dans les conditions d'existence et la somme de 76 528,22 euros pour la perte de ressources, augmentées de l'intérêt au taux légal à compter du 3 janvier 2008 ;
3°) de mettre à la charge du centre hospitalier régional universitaire de Lille la somme de 8 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
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Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires ;
Vu la loi n° 86-33 du 9 janvier 1986 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique hospitalière ;
Vu le décret n° 89-822 du 7 novembre 1989 relatif à la procédure disciplinaire applicable aux fonctionnaires relevant de la fonction publique hospitalière ;
Vu le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Olivier Gaspon, premier conseiller,
- les conclusions de M. Vladan Marjanovic, rapporteur public,
- et les observations de Me Dechelette, avocat, pour M. A et de Me Segard, avocat, pour le centre hospitalier régional universitaire de Lille ;
Considérant que M. Nelson A, cadre infirmier, exerce des fonctions d'encadrement d'équipes de nuit au sein de la clinique psychiatrique Fontan, qui dépend du centre hospitalier régional universitaire de Lille ; qu'il estime avoir été victime, au cours des années 1999 à 2004, d'un ensemble de comportements du centre hospitalier qualifiable de harcèlement moral et demande réparation des préjudices subis à raison de cette faute de l'administration pour un montant total porté en appel à la somme de 107 464,80 euros ; que, par un jugement en date du 30 mars 2011, dont il relève appel, le tribunal administratif de Lille a rejeté sa demande ;
Sur la régularité du jugement attaqué :
Considérant que M. A soutient, en premier lieu, que le principe du contradictoire a été méconnu, le mémoire du centre hospitalier en date du 13 janvier 2011 ne lui ayant pas été communiqué avant l'audience ; qu'il ressort des pièces du dossier de première instance que le mémoire en cause, qui ne constituait pas le premier mémoire en défense du centre hospitalier, n'a pas été communiqué au requérant ; que ce dernier a attiré l'attention du tribunal sur ce défaut de communication dans une note en délibéré du 16 mars 2011, visée dans le jugement, en faisant précisément valoir qu'un élément utile issu de ce mémoire avait été mentionné par le rapporteur public dans ses conclusions ; qu'il ressort toutefois des pièces du dossier que cet élément, relatif à l'âge du fils de M. A, n'était pas mentionné par le centre hospitalier dans le mémoire du 13 janvier 2011 pour motiver ou justifier le refus de reconduire le temps partiel de l'intéressé au mois d'octobre 2003 ; que le tribunal administratif s'est borné, dans le jugement attaqué, à rappeler l'âge de l'enfant sans en tirer de conséquences juridiques ; qu'ainsi, aucun élément figurant dans le mémoire non communiqué à M. A n'ayant utilement contribué à la solution du litige, sans que le requérant en soit informé au préalable, ce dernier n'est pas fondé à soutenir que le jugement est irrégulier sur ce point ;
Considérant que M. A soutient, ensuite, que le jugement est insuffisamment motivé, en faisant précisément valoir que la demande a été rejetée au motif, trop global, que le harcèlement moral ne résultait pas de l'instruction sur les différents points soulevés par le requérant ; qu'il ressort des motifs du jugement attaqué que les premiers juges ont examiné chacun des éléments de fait susceptibles de faire présumer l'existence du harcèlement moral allégué qui leur était présenté ainsi que, point par point, les éléments de faits et les motifs de droit opposés par l'administration pour justifier son action ; qu'ainsi, alors même que le jugement ne citerait pas la totalité des dizaines de pièces produites devant lui, le tribunal administratif a suffisamment motivé sa position ; que, par suite, l'appelant n'est pas fondé à soutenir que le jugement est irrégulier sur ce point ;
Sur le fond :
Considérant qu'un comportement vexatoire de l'administration à l'encontre d'un agent sur une longue durée constitue, indépendamment des dispositions de la loi du 17 janvier 2002 susvisée prohibant le harcèlement moral dans la fonction publique, une faute de nature à engager la responsabilité de celle-ci ; que M. A soutient avoir été victime, au cours des années 1999 à 2004, d'un ensemble de comportements du centre hospitalier régional universitaire de Lille qualifiable de harcèlement moral ;
Considérant, en premier lieu, que, si des refus d'accorder à l'intéressé à titre de régularisation des autorisations d'absence exceptionnelle, du 24 au 26 juin 2000, pour son mariage et, le 21 septembre 2000, pour la naissance de son fils ont initialement été opposés, il résulte de l'instruction, singulièrement de la copie d'écran du logiciel de gestion des absences produit devant les premiers juges, que ces autorisations ont, en réalité, été finalement accordées et entrées sous la rubrique " autorisation d'absence " dans ledit logiciel ;
Considérant, en deuxième lieu, que, s'agissant du refus de congés annuels à prendre les 6,7 et 8 juillet 2002, le cadre supérieur de santé de la clinique Fontan a informé l'intéressé, par un courriel personnel circonstancié, de l'impossibilité d'accorder ces congés dès le 21 juin 2002, en raison de problèmes d'effectifs qui avaient d'ailleurs déjà imposé des aménagements de service pour certaines périodes estivales ; que ce même courriel indiquait que ces difficultés allaient être rediscutées dans les jours suivants ; qu'après ce réexamen en liaison avec un autre service, un courrier du 27 juin 2002 a informé M. A du maintien du refus pour les raisons de planning déjà évoquées ; qu'ainsi, si ce refus a pu révéler, comme l'ont noté les premiers juges, des difficultés dans l'organisation du service, l'intéressé n'a pas été, à cette occasion, victime d'un comportement vexatoire, alors qu'il n'établit pas la date à laquelle il aurait présenté sa demande de congés ;
Considérant, en troisième lieu, que M. A fait valoir que l'absence d'évolution de carrière entre 2000 et 2003, notamment l'absence de progression de sa note chiffrée pour 2000, révèlerait un comportement constitutif de vexation ou de harcèlement qui n'est pas explicable par sa seule manière de servir ; qu'il résulte sur ce point des termes des fiches de notation des années en cause que des réserves renouvelées avaient été émises sur la manière de servir de l'intéressé, qui ne prenait pas la mesure de son rôle d'encadrement ; que l'appréciation pour l'année 2001 a été contestée par M. A et a fait l'objet de deux rapports spéciaux transmis à la commission paritaire ; qu'après cet examen collégial, l'appréciation a été maintenue par le directeur ; que ces différends motivés, relatifs à la manière de servir, ne peuvent être regardés comme des agissements vexatoires de la part de l'administration ;
Considérant, en quatrième lieu, qu'un avertissement a été infligé à M. A aux termes d'une décision du directeur général du centre hospitalier régional universitaire de Lille en date du 28 novembre 2002 ; que cette sanction était fondée sur des faits de refus systématique de participer à des réunions de service et de retard, après avoir été reconnus par l'intéressé, dont il ne résulte pas de l'instruction qu'ils correspondraient à des faits inexacts ; qu'il résulte de plus de l'instruction que la mesure disciplinaire était également fondée sur la méconnaissance du principe de fonctionnement hiérarchique que l'intéressé avait manifestée en réagissant par écrit, de manière non appropriée, à une visite que le directeur de la clinique avait effectuée le 15 août 2002 au sein du service de nuit qu'il encadrait, sans l'en prévenir et durant ses congés ; que l'avertissement infligé, première sanction dans l'échelle des sanctions disciplinaires, ne comportait ainsi aucun élément de vexation au regard des faits intervenus ;
Considérant, en cinquième lieu, que M. A a présenté le 10 septembre 2003 une demande de renouvellement de service à temps partiel à 80 % en service de nuit ; que le centre hospitalier a refusé de faire droit à cette demande le 23 octobre suivant au motif que le fonctionnement du service de nuit exigeait la présence de trois cadres infirmiers à plein temps ; qu'à la date de ce refus, il ne résulte pas de l'instruction que cette décision aurait obéi à un autre motif que celui précité et récurrent, lié à l'intérêt du service, alors que le temps partiel ne constitue pas un droit mais une simple possibilité ouverte aux agents en fonction des nécessités du service ;
Considérant, en sixième lieu, que, par une décision en date du 19 décembre 2003, M. A a fait l'objet d'une mutation de son poste de nuit au sein d'un service de psychiatrie sur un poste de jour au sein d'un service d'hématologie ; qu'il résulte des termes du " guide d'entretien, évaluation, notation " renseigné et signé par l'intéressé le 30 juillet 2003 qu'il souhaitait, à terme, quitter le service de nuit ; que, dans le seul intérêt du service, le centre hospitalier a pu hâter cette mutation sans volonté de nuire à M. A ;
Considérant, en dernier lieu, qu'il ne résulte pas de l'instruction, singulièrement des termes du certificat médical établi le 30 août 2007 à la demande de l'intéressé, que le syndrome dépressif suivi depuis le mois de décembre 2003 résulterait de manière directe et certaine des conditions de travail, des difficultés rencontrées dans le milieu professionnel ou des agissements du centre hospitalier durant les années 2000 à 2003, alors que M. A est, par ailleurs, confronté à des difficultés familiales ;
Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que, si la succession sur une longue durée d'événements administratifs de nature et de portées différentes a pu conduire M. A à y voir la marque d'un comportement général vexatoire ayant eu pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptibles de porter atteinte à sa situation professionnelle et personnelle, ces évènements, révélateurs à la fois des difficultés d'organisation de la clinique Fontan et d'une détérioration des relations de travail en son sein, n'établissent toutefois pas l'existence d'un comportement global et délibéré de nature vexatoire à l'encontre de M. A ; que, par suite, celui-ci n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif a rejeté sa demande d'indemnisation des préjudices qu'il aurait subis à raison de la faute commise par le centre hospitalier régional universitaire de Lille ; que, par voie de conséquence, ses conclusions tendant à la condamnation du centre hospitalier régional universitaire de Lille doivent être rejetées ;
Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
Considérant qu'aux termes de l'article L. 761-1 du code de justice administrative : " Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation. " ;
Considérant qu'en vertu des dispositions précitées de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, la cour ne peut pas faire bénéficier la partie tenue aux dépens ou la partie perdante du paiement par l'autre partie des frais qu'elle a exposés à l'occasion du litige soumis au juge ; que les conclusions présentées à ce titre par M. A doivent, dès lors, être rejetées ;
Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de condamner M. A à payer au centre hospitalier régional universitaire de Lille une somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens ;
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de M. A est rejetée.
Article 2 : M. A versera au centre hospitalier régional universitaire de Lille une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le surplus des conclusions du centre hospitalier régional universitaire de Lille est rejeté.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. Nelson A et au centre hospitalier régional universitaire de Lille.