En l’espèce, un patient a, à la suite d’un accident, été pris en charge dans un premier établissement public de santé où le diagnostic initial établi par les services de ce centre hospitalier s’est révélé erroné et incomplet. Le suivi orthopédique a également été défectueux. Par la suite, ce même patient a subi, au sein d’un autre établissement public de santé, une intervention orthopédique qui n’a pas été correctement réalisée. La cour administrative d’appel de Nancy a considéré que l’erreur du diagnostic initial ainsi posé, le suivi orthopédique défectueux et l’exécution incorrecte de l’intervention chirurgicale à l’origine des séquelles présentées par le patient, qui demeure atteint d’une gêne permanente au poignet sont constitutifs d’une faute des deux établissements hospitaliers de nature à engager leur responsabilité. De plus, la cour précise que chaque coauteur d'un même dommage, conséquence de leurs fautes respectives, doit être condamné solidairement à la réparation de l'entier dommage, chacune de ces fautes ayant concouru à le causer tout entier, sans qu'il y ait lieu de tenir compte du partage de responsabilités entre les coauteurs, lequel n'affecte que les rapports réciproques de ces derniers, mais non le caractère et l'étendue de leur obligation à l'égard de la victime du dommage. |
Cour Administrative d'Appel de Nancy
3ème chambre
N° 04NC01143
Inédit au recueil Lebon
M. DESRAME, président
Mme Sabine MONCHAMBERT, rapporteur
M. COLLIER, commissaire du gouvernement
MENNEGAND, avocat
Lecture du lundi 20 octobre 2008
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu l'arrêt en date du 12 octobre 2006, par lequel la Cour a, sur requête de M. Jean-Charles X enregistrée sous le n° 04NC01143 et tendant à l'annulation du jugement n° 000974 du 12 octobre 2004 par lequel le Tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a rejeté sa demande tendant à la condamnation in solidum du centre hospitalier de Troyes et de l'établissement public national de santé de Fresnes à l'indemniser des préjudices consécutifs aux fautes commises lors des soins consécutifs à une fracture du poignet, ordonné une expertise afin de déterminer si des fautes de diagnostic, de suivi et d'information ont été commises et de donner toutes informations sur les préjudices subis par l'intéressé ;
Vu le rapport d'expertise enregistré au greffe de la Cour le 3 octobre 2007 ;
Vu les nouveaux mémoires, enregistrés les 28 novembre 2007, 11 mars et 8 avril 2008, présentés pour M. X, qui conclut :
1°) à la condamnation solidaire du centre hospitalier de Troyes et de l'établissement public national de santé de Fresnes à lui verser des indemnités de :
- 1381,63 euros, 12589,26 euros et 360,86 euros au titre de l'incapacité temporaire totale ;
- 7 300 euros au titre des souffrances physiques ;
- 1 050 euros au titre du préjudice esthétique ;
- 8 312 euros au titre de l'incapacité permanente partielle ;
- 184 350,06 euros au titre du préjudice économique ou à titre subsidiaire 14 748 euros au titre de ce préjudice rapporté au taux d' incapacité permanente partielle ;
- 10 000 euros au titre du préjudice d'agrément ;
- 15 000 euros au titre du préjudice moral et de la perte de chance de se soustraire à un risque ;
- 1 550 euros de frais médicaux ;
- 1 600 euros au titre des dépens fixés par le tribunal ;
2°) à la condamnation solidaire du centre hospitalier de Troyes et de l'établissement public national de santé de Fresnes à indemniser des organismes sociaux des frais médicaux exposés ;
3°) à ce que le poste relatif à l'incapacité temporaire partielle soit réservé ;
4°) à la condamnation solidaire du centre hospitalier de Troyes et de l'établissement public national de santé de Fresnes à lui verser une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Par les mêmes moyens et en outre :
- que la nouvelle expertise confirme que les hôpitaux ont commis des fautes médicales ;
- que l'expert n'ayant pas chiffré l'incapacité temporaire partielle, il doit conserver la faculté de chiffrer ce poste de préjudice ;
Vu les nouveaux mémoires, enregistrés les 7 février et 18 mars 2008, présentés pour l'établissement public national de santé de Fresnes, qui conclut aux mêmes fins que précédemment par les mêmes moyens ;
Vu le nouveau mémoire, enregistré le 2 avril 2008, présenté pour le centre hospitalier de Troyes, qui conclut aux mêmes fins que précédemment par les mêmes moyens ;
Vu l'ordonnance du président de la 3ème chambre de la Cour, fixant la clôture de l'instruction au 11 avril 2008 à 16 heures ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 25 septembre 2008 :
- le rapport de Mme Stefanski, président,
- les observations de Me Watremez, substituant Me Chauchard, avocat du centre hospitalier de Troyes,
- et les conclusions de M. Collier, commissaire du gouvernement ;
Sur la responsabilité :
Considérant, en premier lieu, qu'il résulte de l'instruction et notamment du rapport de l'expert désigné par la Cour, qu'à la suite de l'accident survenu à M. X le 20 novembre 1998, ayant occasionné un traumatisme du poignet droit, le diagnostic initial établi par les services du centre hospitalier de Troyes, qui ne mentionnait pas un discret déplacement antérieur du radius, était erroné et incomplet ; que si la pose d'une résine était adaptée à la fracture du poignet dont souffrait l'intéressé, la position d'immobilisation n'était pas optimale pour éviter un déplacement secondaire ; que, treize jours plus tard, n'a pas été prise en compte une amorce de déplacement du radius visible sur les radiographies, ce qui n'a pas permis d'adapter la thérapeutique alors même que s'imposaient une reprise orthopédique ou un traitement chirurgical ; qu'un an après, en raison de ce déplacement, il a été procédé dans les services de l'établissement public national de santé de Fresnes à une intervention dite de Sauve-Kapandji, retenue d'emblée sans scanner axial préalable du poignet et sans information du patient, alors que d'autres techniques étaient envisageables ; que cette intervention a, au surplus, été incorrectement réalisée en l'absence de positionnement adéquat de la tête cubitale et d'évidement des surfaces articulaires radio-cubitales ; que l'erreur du diagnostic initial ainsi posé, le suivi orthopédique défectueux et l'exécution incorrecte de l'intervention chirurgicale, à l'origine des séquelles présentées par M. X, qui demeure atteint d'une gêne permanente au poignet, sont constitutifs d'une faute des deux établissements hospitaliers de nature à engager leur responsabilité à l'égard de ce dernier ;
Considérant, en second lieu, que chaque coauteur d'un même dommage, conséquence de leurs fautes respectives, doit être condamné solidairement à la réparation de l'entier dommage, chacune de ces fautes ayant concouru à le causer tout entier, sans qu'il y ait lieu de tenir compte du partage de responsabilités entre les coauteurs, lequel n'affecte que les rapports réciproques de ces derniers, mais non le caractère et l'étendue de leur obligation à l'égard de la victime du dommage ; qu'il suit de là et des circonstances ci-dessus rappelées que le requérant est fondé à demander la condamnation solidaire du centre hospitalier de Troyes et de l'établissement public national de santé de Fresnes sans que ses derniers soient fondés à invoquer, à son égard, les fautes commises par l'autre établissement hospitalier ;
Sur le montant du préjudice :
En ce qui concerne les pertes de revenus :
Considérant que si M. X allègue des pertes de revenus durant la période d'incapacité temporaire totale allant du 20 novembre 1998 au 10 mars 2000, ainsi que pendant la période d'incapacité temporaire partielle ayant couru jusqu'au 4 janvier 2002, date de la consolidation, il n'en justifie pas, dès lors qu'il était incarcéré durant la première période et n'était pas rémunéré et qu'il n'a pas davantage subi de pertes de revenus pendant la seconde période, son incarcération s'étant poursuivie jusqu'au 29 juin 2001, sa formation en ébénisterie suivie consécutivement à sa libération n'étant pas non plus rémunérée ; qu'il résulte par ailleurs de l'instruction, et notamment du rapport d'expertise, d'une part, que M. X a retravaillé de 2002 à 2005, d'autre part, qu'il s'est arrêté en mai 2005 pour six mois pour des raisons indépendantes des faits litigieux ; que M. X ne saurait ainsi prétendre à une indemnisation à titre de pertes de revenus, que ce soit au cours de la période d'incapacité temporaire totale, puis partielle, ou ultérieurement ;
En ce qui concerne les autres dépenses liées au dommage corporel :
Considérant que M. X justifie par la production de notes d'honoraires avoir exposé des frais médicaux d'un montant total de 1 550 euros en vue des opérations d'expertises ; qu'il y a, dès lors, lieu de condamner solidairement le centre hospitalier de Troyes et l'établissement public national de santé de Fresnes à payer au requérant le montant non contesté de 1 550 euros ;
En ce qui concerne les préjudices personnels :
Considérant qu'il résulte de l'expertise que les souffrances physiques, présentant un caractère permanent, peuvent être chiffrées à 4 sur une échelle de 7, et le préjudice esthétique à 1 sur une échelle de 7 ; qu'il en sera fait une juste appréciation en les chiffrant respectivement à 5 500 euros et à 700 euros ; qu'il sera fait une juste appréciation des troubles dans les conditions d'existence de M. X, atteint d'une incapacité permanente partielle de 8% et tenant à des difficultés dans les gestes de la vie quotidienne, à l'impossibilité d'effectuer des travaux de précision et de pratiquer certains sports, en les évaluant à 10 000 euros ; que le présent arrêt retenant l'entière responsabilité des établissements hospitaliers, M. X ne saurait, par ailleurs, utilement demander une indemnisation en se prévalant d'une perte de chance de se soustraire à l'opération de Sauve-Kapandji ; que M. X ne justifie pas, enfin, d'un quelconque préjudice moral tenant à son absence de prise en charge correcte, à l'intervention défectueuse et au fait qu'il se serait vu imposer des soins, dès lors qu'il était incarcéré, que son état nécessitait des interventions en urgence et qu'il n'a pas demandé à être soigné dans un autre établissement ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que M. X est fondé à demander l'annulation du jugement attaqué et la condamnation solidaire du centre hospitalier de Troyes et de l'établissement public national de santé de Fresnes à lui verser une somme de 17 750 euros ;
Sur les frais d'expertise exposés en appel :
Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre la totalité de ces frais, taxés et liquidés à un montant de 1 600 euros par ordonnance du président de la cour du 12 octobre 2007, à la charge solidaire du centre hospitalier de Troyes et de l'établissement public national de santé de Fresnes ;
Sur l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, en application de ces dispositions, de mettre solidairement à la charge du centre hospitalier de Troyes et de l'établissement public national de santé de Fresnes une somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par M. X et non compris dans les dépens ; qu'en revanche, ces dispositions font obstacle à ce que soit mise à la charge de M. X, qui n'est pas partie perdante dans la présente instance, la somme que demandent le centre hospitalier de Troyes et l'établissement public national de santé de Fresnes au titre des mêmes frais ;
DECIDE :
Article 1er : Le jugement du Tribunal administratif de Châlons-en-Champagne en date du 12 octobre 2004 est annulé.
Article 2 : Le centre hospitalier de Troyes et l'établissement public national de santé de Fresnes sont solidairement condamnés à payer à M. X une somme de 17 750 euros (dix sept mille sept cent cinquante euros).
Article 3 : Les frais d'expertise exposés devant la Cour, s'élevant à 1 600 euros (mille six cents euros), sont mis solidairement à la charge du centre hospitalier de Troyes et de l'établissement public national de santé de Fresnes.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête de M. X est rejeté.
Article 5 : Le centre hospitalier de Troyes et l'établissement public national de santé de Fresnes sont solidairement condamnés à payer à M. X une somme de 1 500 euros (mille cinq cents euros) au titre de l'article L.761-1 du code de justice administrative.
Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à M. Jean-Charles X, au centre hospitalier de Troyes, à l'établissement public national de santé de Fresnes et à la caisse primaire d'assurance maladie de l'Aube.