En l’espèce, un infirmier diplômé d’état a été révoqué par le conseil de discipline pour des actes de maltraitance physique et verbale auprès des personnes âgées dépendantes prises en charge au sein d’un établissement public de santé. Ce professionnel de santé saisit le tribunal administratif d’un recours en annulation de cette sanction ; il est débouté de sa demande et fait appel de la décision. Or, la cour administrative d’appel confirme le jugement en relevant que la sanction n’était pas disproportionnée par rapport aux faits qui lui étaient reprochés. Elle ajoute que ces agissements avaient porté atteinte à la dignité et à l’intimité des patients dont il avait la charge et que ces fautes étaient particulièrement graves eu égard notamment à la spécificité des fonctions exercées et à la vulnérabilité des patients hospitalisés. La cour relève également que ni l’absence de plaintes émanant des patients ou de leurs familles, ni l’absence d’observation du supérieur hiérarchique n’étaient de nature à remettre en cause le caractère fautif des agissements, dont la réalité a été établie grâce à la concordance des témoignages et de leur nombre.
Cour Administrative d'Appel de Nancy
3ème chambre - formation à 3
N° 09NC01114
Inédit au recueil Lebon
M. VINCENT, président
M. Michel BRUMEAUX, rapporteur
M. COLLIER, commissaire du gouvernement
SCP GOTTLICH-LAFFON, avocat
Lecture du mercredi 5 mai 2010
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu la requête, enregistrée au greffe de la Cour le 23 juillet 2009, présentée pour
M. Alain A, demeurant ..., par Me Laffon ;
M. A demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement n° 0800668 du 16 juin 2009 par lequel le Tribunal administratif de Nancy a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision, en date du
12 février 2008, par laquelle la directrice par intérim de l'hôpital local intercommunal 3 H Santé a prononcé sa révocation sans suspension de ses droits à pension ;
2°) d'annuler cette décision ;
3°) d'enjoindre l'hôpital local intercommunal 3 H de reconstituer sa carrière ;
4°) de mettre une somme de 1500 euros à la charge de l'hôpital local intercommunal
3 H en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
M. A soutient que :
- la séance du conseil de discipline n'a pas été publique, en méconnaissance de
l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la décision attaquée a été rendue au terme d'une procédure irrégulière, du fait de l'absence de la désignation d'un secrétaire adjoint lors de la séance du 4 février 2008, les dispositions des articles 47 et 48 du décret n° 92-794 du 14 août 1992 ayant été ainsi
méconnues ;
- c'est le président lui-même qui a motivé la décision qu'il a soumise ultérieurement à la commission ; il a ainsi mis aux voix la proposition de la sanction la plus sévère parmi celles exprimées lors du délibéré avant que le conseil n'ait pu émettre un avis, en violation de l'article 9 du décret du 7 novembre 1989 ;
- les faits qui lui sont reprochés ne sont pas établis ; la hiérarchie n'en avait auparavant jamais eu connaissance ; les témoignages sont brusquement apparus après la mise en oeuvre de la procédure disciplinaire ; aucune plainte n'a jamais été formulée à son encontre ; il n'a pas fait l'objet de remarques ;
- subsidiairement, la sanction est manifestement disproportionnée ;
Vu le jugement et la décision attaqués ;
Vu le mémoire en défense, enregistré le 27 novembre 2009, présenté pour l'hôpital local intercommunal 3 H Santé par Me Luisin ; il conclut au rejet de la requête ; il soutient que :
- les décrets du 7 novembre 1989 et du 18 juillet 2003 disposent légalement que les séances des conseils de discipline ne sont pas publiques ;
- une commission administrative paritaire siège en formation restreinte lorsqu'elle est saisie d'une question disciplinaire ;
- le décret du 7 novembre 1989 ne fait mention que du secrétaire du conseil de discipline ;
- en tout état de cause, cette irrégularité n'est pas de nature à entraîner l'annulation de la décision attaquée ;
- il n'est pas allégué que les mentions portées sur le procès-verbal de la séance seraient inexactes et l'avis émis par le conseil de discipline a été signé par toutes les personnes susceptibles d'être désignées en qualité de secrétaire adjoint ;
- le procès-verbal de la séance du 4 février 2008 indique qu'après avoir entendu le requérant, le conseil de discipline a examiné l'affaire au fond ; que, par suite, il a été procédé au vote, en conformité avec l'article 9 de la loi du 7 novembre 2009 ;
- la proposition de sanction la plus sévère a bien été mise aux voix et ce par vote et le conseil a émis un avis sur les suites qui lui paraissaient devoir être réservées à cette procédure disciplinaire ;
- les faits reprochés sont précis et établis par les nombreux témoignages recueillis dans le cadre de l'enquête administrative ; ils constituent des fautes disciplinaires ;
- M. A ne peut utilement se prévaloir de l'absence de plaintes, en raison de la grande dépendance et de la vulnérabilité des victimes ;
- la sanction n'est pas disproportionnée au regard de la gravité des faits de maltraitance constatés et de la situation des victimes ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
Vu le code de la santé publique ;
Vu la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 modifiée portant droits et obligations des fonctionnaires ;
Vu la loi n° 86-33 du 9 janvier 1986 modifiée portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique hospitalière ;
Vu le décret n° 89-822 du 7 novembre 1989 relatif à la procédure disciplinaire applicable aux fonctionnaires relevant de la fonction publique hospitalière;
Vu le décret n° 2003-655 du 18 juillet 2003 relatif aux commissions administratives paritaires locales et départementales de la fonction publique hospitalière ;
Vu le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 8 avril 2010 :
- le rapport de M. Brumeaux, président,
- les conclusions de M. Collier, rapporteur public,
- et les observations de Me Luisin, avocat de l'hôpital local intercommunal 3H Santé ;
Considérant que M. Alain A, infirmier diplômé d'Etat, a été révoqué, conformément à l'avis émis à l'unanimité par le conseil de discipline le 4 février 2008, par une décision en date du 12 avril 2008 de la directrice par intérim de l'hôpital local intercommunal 3 H Santé pour des actes de maltraitance physique et verbale auprès des personnes âgées dépendantes prises en charge au sein de cet établissement ;
Sur la régularité de la procédure disciplinaire :
Considérant qu'aux termes de l'article 82 de la loi du 9 janvier 1986 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique hospitalière : L'autorité investie du pouvoir de nomination exerce le pouvoir disciplinaire après avis de la commission administrative paritaire siégeant en conseil de discipline ;
Considérant, en premier lieu, que lorsqu'elle siège en conseil de discipline, la commission administrative paritaire ne détient aucun pouvoir de décision et a pour seule attribution d'émettre, à l'intention de l'autorité investie du pouvoir disciplinaire, un avis sur le principe du prononcé d'une sanction et, le cas échéant, sur le quantum de celle-ci ; qu'ainsi, elle ne présente pas le caractère d'une juridiction, ni celui d'un tribunal au sens des stipulations du paragraphe 1 de l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; que, par suite, le moyen tiré de la méconnaissance desdites stipulations relatives à l'obligation de tenue d'une audience publique ne peut être utilement invoqué ;
Considérant en deuxième lieu que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Strasbourg a écarté de façon circonstanciée le moyen présenté par M. A, tiré de la violation des articles 48 et 49 du décret du 18 juillet 2003 relatif aux commissions administratives paritaires locales et départementales de la fonction publique hospitalière en tant qu'aucun secrétaire adjoint n'aurait été désigné ; qu'à l'appui de son appel, le requérant se borne à reprendre la même argumentation qu'en première instance ; qu'il ne ressort pas des pièces du dossier que les premiers juges auraient, par les motifs qu'ils ont retenus et qu'il y a lieu pour la cour d'adopter, commis une erreur en écartant ce moyen ;
Considérant, en troisième lieu, que l'article 9 du décret du 7 novembre 1989 relatif à la procédure disciplinaire applicable aux fonctionnaires relevant de la fonction publique hospitalière dispose : Le conseil de discipline, compte tenu des observations écrites et des déclarations orales produites devant lui, ainsi que des résultats de l'enquête à laquelle il a pu être procédé, émet un avis motivé sur les suites qui lui paraissent devoir être réservées à la procédure disciplinaire engagée. A cette fin, le président du conseil de discipline met aux voix la proposition de sanction la plus sévère parmi celles qui ont été exprimées lors du délibéré. Si cette proposition ne recueille pas l'accord de la majorité des membres présents, le président met aux voix les autres sanctions figurant dans l'échelle des sanctions disciplinaires en commençant par la plus sévère après la sanction proposée jusqu'à ce que l'une d'elles recueille un tel accord. Si aucune proposition de sanction n'est adoptée, le président propose qu'aucune sanction ne soit prononcée. (...) ;
Considérant qu'il ressort du procès-verbal de la séance du conseil de discipline du
4 février 2008 que le président a mis aux voix la proposition de sanction la plus sévère exprimée lors du délibéré, après avoir demandé aux membres de cette formation s'ils souhaitaient procéder à un vote à bulletin secret, et que la sanction proposée dans l'avis a été retenue par les deux représentants de l'administration et les deux représentants du personnel ; que, par suite, le moyen tiré de ce que le président du conseil de discipline aurait émis seul un avis motivé sur les suites qui lui paraissent devoir être réservées à la procédure disciplinaire engagée sans avoir au préalable sollicité l'avis des membres de cette instance doit être écarté ;
Sur la légalité interne de la sanction attaquée ;
Considérant que l'article 81 de la loi du 9 janvier 1986 dispose : Les sanctions disciplinaires sont réparties en quatre groupes : (...) Quatrième groupe : La mise à la retraite d'office, la révocation. (...) et qu'aux termes de l'article R. 4312-2 du code de la santé publique : L'infirmier (...) exerce sa profession dans le respect de la vie et de la personne humaine. Il respecte la dignité et l'intimité du patient et de la famille. ;
Considérant qu'il ressort des pièces du dossier, et notamment des conclusions d'une commission d'enquête constituée à la suite d'un signalement d'un cadre de santé et qui a rencontré 23 agents, de plusieurs témoignages écrits de membres du personnel, et enfin du procès-verbal du conseil de discipline que M. A, qui venait d'être muté le 27 août 2007 à l'établissement de Blamont, a commis à plusieurs reprises en octobre 2007 des gestes brutaux et proféré des propos violents et attentatoires à la dignité humaine à l'encontre de patients dans un état de grande fragilité physique ou psychologique ;
Considérant que si M. A soutient que les témoignages qui lui sont opposés ont été produits après le déclenchement de la procédure disciplinaire et que ces faits survenus en octobre 2007, dont il ne conteste pas sérieusement l'existence, n'avaient fait l'objet d'aucune plainte des patients et de leurs familles et n'auraient suscité aucune observation de la part de son supérieur hiérarchique, ces circonstances ne sont toutefois pas de nature à remettre en cause la réalité des faits reprochés qui doit être regardée comme établie, en raison de la concordance des témoignages et de leur nombre ; que ces manquements sont de nature à justifier une sanction disciplinaire ;
Considérant que par ces agissements, M. A a porté atteinte à la dignité et à l'intimité des patients dont il avait la charge ; que ces fautes sont particulièrement graves eu égard notamment à la spécificité des fonctions exercées et à la vulnérabilité des patients hospitalisés ; que par suite, eu égard à ces faits qui sont avérés, la directrice de l'établissement local intercommunal 3 H Santé n'a pas, en lui infligeant la révocation sans suspension des droits à pension, prononcé à son encontre une sanction disproportionnée par rapport aux faits qui lui sont reprochés ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que M. A n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nancy a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision du 12 février 2008 de la directrice par intérim de l'hôpital local intercommunal 3 H Santé a prononcé sa révocation sans suspension de ses droits à pension : que, par voie de conséquence, ses conclusions présentées en application de l'article
L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent être que rejetées ;
Sur les conclusions tendant à la reconstitution de carrière :
Considérant que le présent arrêt n'implique aucune mesure d'exécution ; que les conclusions de M. Maire tendant à ce que la Cour ordonne à l'hôpital local intercommunal 3 H Santé de reconstituer sa carrière ne peuvent ainsi être accueillies ;
DECIDE :
Article 1er: La requête de M. A est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. Alain A et à l'hôpital local intercommunal 3 H Santé.