REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu l'arrêt en date du 6 juillet 1989 par lequel la Cour a, sur les requêtes de Mme X., de M. X. et de la caisse régionale d'assurances mutuelles agricoles de MARNE-ARDENNES, enregistrées sous les n° 89NC00204 à 89NC00207 et tendant à la condamnation du centre hospitalier régional de REIMS à réparer les conséquences dommageables des interventions chirurgicales que Mme X. y a subies les 14 et 16 mai 1980, ordonné une expertise médicale en vue notamment de déterminer les causes des séquelles dont elle reste atteinte et d'en évaluer les conséquences ;
Vu le mémoire après expertise, enregistré le 19 juillet 1990, présenté pour Mme X. ; Mme X. conclut aux mêmes fins que la requête et à la capitalisation des intérêts échus ;
Vu le mémoire après expertise, enregistré le 19 juillet 1990, présenté pour M. X. ; M. X. conclut aux mêmes fins que la requête et à la capitalisation des intérêts échus ;
Vu le mémoire après expertise, enregistré le 14 août 1990, présenté pour Mme X. et la caisse régionale d'assurances mutuelles agricoles de MARNE-ARDENNES ; Mme X. et la caisse concluent aux mêmes fins que la requête et à la capitalisation des intérêts échus ;
Vu les ordonnances du 1er décembre 1988 par lesquelles le Président de la 5ème sous-section de la section du contentieux du Conseil d'Etat a transmis les dossiers à la Cour administrative d'appel ;
Vu les jugements attaqués ;
Vu les autres pièces des dossiers ;
Vu le code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ;
Vu la loi n° 87-1127 du 31 décembre 1987 ;
Les parties ayant été dûment averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 9 juillet 1991:
- le rapport de M. FONTAINE, Conseiller,
- et les conclusions de Mme FRAYSSE, Commissaire du Gouvernement ;
Sur la responsabilité :
Considérant qu'il résulte de l'instruction et notamment du rapport de l'expert désigné par la Cour que l'indication opératoire portée le 23 mars 1980 par le chirurgien du centre hospitalier régional de REIMS n'était pas inopportune eu égard au déplacement des articulaires dont souffrait Mme X. à la suite de son accident de la circulation et à l'instabilité du rachis en découlant qui laissait craindre un risque important de complications ultérieures ; que cette intervention difficile n'a été réalisée que le 14 mai suivant conformément aux données de la chirurgie du rachis à l'époque des faits ; qu'enfin, l'absence d'un examen de type myélographique avant l'intervention ne saurait être regardée comme constitutif d'une faute lourde, seule de nature à engager la responsabilité du centre hospitalier régional de REIMS, dès lors qu'un tel examen n'était pas exempt de risques et que la patiente ne présentait aucun signe neurologique ;
Considérant en revanche qu'en s'abstenant d'informer avec une suffisante précision Mme X. de toutes les suites possibles et notamment du risque neurologique que comportait le traitement chirurgical proposé, le praticien du centre hospitalier régional de REIMS a mis la patiente dans l'impossibilité de donner un consentement éclairé à cette intervention, laquelle n'était pas d'une urgence absolue ; qu'il a ainsi méconnu ses obligations et commis une faute de nature à engager la responsabilité de cet établissement ; qu'eu égard à l'état de santé de Mme X. à la suite de son accident de circulation et aux risques importants de complications ultérieures en l'absence d'une intervention, il sera fait une juste appréciation de la part du préjudice qu'elle a subi et qui doit être regardé comme directement imputable à l'opération du 14 mai 1980 en l'estimant à la moitié ;
Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que Mme X., M. X. et la caisse régionale d'assurances mutuelles agricoles de MARNE-ARDENNES sont fondés à soutenir que c'est à tort que, par les jugements attaqués, le tribunal administratif de CHALONS-SUR-MARNE a rejeté leurs demandes en indemnités ; que, par suite, il y a lieu de les annuler ;
Sur le préjudice de Mme X. :
Considérant qu'il résulte de l'instruction et notamment du dernier rapport d'expertise que Mme X. qui était âgée de 23 ans lorsqu'elle a été opérée présente une paraplégie des membres inférieurs qui rend la marche impossible sans l'aide de deux cannes anglaises ; qu'elle reste atteinte d'une incapacité permanente partielle de 65 % ; qu'elle a dû abandonner son activité professionnelle ; qu'il sera fait une juste appréciation de l'atteinte portée à son intégrité physique et des troubles de toute nature apportés dans ses conditions d'existence en fixant à 800 000 F cette partie du préjudice dont la moitié représente l'indemnité de caractère personnel visée à l'article L.397 du code de la sécurité sociale ; que la perte de salaire subie par Mme X. pendant son incapacité temporaire totale s'élève à la somme non contestée de 25 800 F ;
Considérant que le préjudice subi comprend, en outre, les frais médicaux, pharmaceutiques et d'hospitalisation remboursés à la caisse primaire d'assurance maladie des ARDENNES par la caisse régionale d'assurances mutuelles agricoles de MARNE-ARDENNES pour un montant de 115 834,21 F ; qu'il convient d'y ajouter les autres frais médicaux, de kinésithérapie et d'appareillage pour une somme de 4 137,05 F ainsi que les frais d'aménagement de la voiture pour un montant de 5 842 F ; qu'en revanche, le recours à une tierce personne n'est pas justifié ;
Considérant, enfin, qu'il sera fait une juste appréciation des souffrances physiques endurées par Mme X. qualifiées de très importantes, de son préjudice esthétique estimé important et de son préjudice d'agrément résultant des conséquences des séquelles qu'elle présente sur les actes de la vie quotidienne et des trois césariennes subies en lui allouant de ces chefs respectivement les sommes de 100 000 F, 80 000 F et 100 000 F ;qu'ainsi le montant global du préjudice s'élève à 1 231 613,26 F ; que, compte-tenu du partage retenu, la part de ce préjudice dont l'indemnisation incombe au centre hospitalier régional de REIMS s'élève à 615 806,63 F ;
En ce qui concerne les droits de la caisse régionale d'assurances mutuelles agricoles de MARNE-ARDENNES :
Considérant que les frais médicaux, pharmaceutiques et d'hospitalisation engagés par la caisse primaire d'assurance maladie ont été pris en charge par la caisse régionale d'assurances mutuelles agricoles de MARNE-ARDENNES pour un montant de 115 834,21 F ; que cette créance est inférieure à la fraction de l'indemnité mise à la charge du centre hospitalier sur laquelle elle peut s'imputer en application de l'article L.397 précité ; que, dès lors, le centre hospitalier régional de REIMS doit être condamné à verser à la caisse régionale d'assurances mutuelles agricoles de MARNE-ARDENNES ladite somme de 115 834,21 F ;
En ce qui concerne les droits de Mme X. :
Considérant que les droits de Mme X. résultant de la différence entre le montant de la condamnation mise à la charge du centre hospitalier et la créance de la caisse susmentionnée s'élèvent à 499 972,42 F ; que, par suite, le centre hospitalier régional de REIMS doit être condamné à verser à Mme X. ladite somme ;
Sur le préjudice de M. D. :
Considérant qu'il sera fait une juste appréciation du préjudice moral et du préjudice d'agrément subi par M. D. en lui allouant compte tenu du partage susmentionné une somme de 20 000 F ;
Sur les intérêts et leur capitalisation :
Considérant que Mme X. a droit aux intérêts de la somme de 499 972,42 F à compter du 23 février 1983, date d'enregistrement de sa demande devant le tribunal administratif ;qu'elle a demandé la capitalisation des intérêts échus les 10 décembre 1985, 19 juillet et 14 août 1990 ; qu'aux deux premières de ces dates, il était dû au moins une année d'intérêts ; que, dès lors, conformément aux dispositions de l'article 1154 du code civil, il y a lieu de faire droit à ces demandes ;
Considérant que la caisse régionale d'assurance mutuelles agricoles de MARNE-ARDENNES a droit aux intérêts de la somme de 115 834,21 F à compter du 23 février 1983, date d'enregistrement de sa demande devant le tribunal administratif ; qu'elle a demandé la capitalisation des intérêts échus les 10 décembre 1985 et 14 août 1990 ; qu'à chacune de ces dates, il était dû au moins une année d'intérêts ; que, dès lors, conformément aux dispositions de l'article 1154 du code civil, il y a lieu de faire droit à ces demandes ;
Considérant que M.D. a droit aux intérêts de la somme de 20 000 F à compter du 31 mars 1983, date d'enregistrement de sa requête devant le tribunal administratif ; qu'il a demandé la capitalisation des intérêts échus les 10 décembre 1985 et 19 juillet 1990 ; qu'à chacune de ces dates il était dû au moins une année d'intérêts ; que, dès lors, conformément aux dispositions de l'article 1154 du code civil, il y a lieu de faire droit à ces demandes ;
Sur les frais d'expertise :
Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'affaire, de mettre les frais d'expertise exposés en première instance et devant la Cour à la charge du centre hospitalier régional de REIMS ;
DECIDE :
Article 1 : Les jugements n° 7286 et 7474 du tribunal administratif de CHALONS-SUR-MARNE en date du 10 septembre 1985 sont annulés.
Article 2 : Le centre hospitalier régional de REIMS est condamné à verser à Mme X. la somme de 499 972,42 F avec intérêts au taux légal à compter du 23 février 1983. Les intérêts échus les 10 décembre 1985 et 19 juillet 1990 seront capitalisés à chacune de ces dates pour produire eux-mêmes intérêts.
Article 3 :Le centre hospitalier régional de REIMS est condamné à verser à la caisse régionale d'assurances mutuelles agricoles de MARNE-ARDENNES la somme de 115 834,21 F avec intérêts au taux légal à compter du 23 février 1983. Les intérêts échus les 10 décembre 1985 et 14 août 1990 seront capitalisés à chacune de ces dates pour produire eux-mêmes intérêts.
Article 4 :Le centre hospitalier régional de REIMS est condamné à verser à M. X. la somme de 20 000 F avec intérêts au taux légal à compter du 31 mars 1983 . Les intérêts échus les 10 décembre 1985 et 19 juillet 1990 seront capitalisés à chacune de ces dates pour produire eux-mêmes intérêts.
Article 5 : Le surplus des conclusions des requêtes de Mme X., de M. X. et de la caisse régionale d'assurances mutuelles agricoles de MARNE-ARDENNES est rejeté.
Article 6 : Les frais d'expertise exposés en première instance ainsi que devant la Cour sont mis à la charge du centre hospitalier régional de REIMS.
Article 7 : Le présent arrêt sera notifié à Mme X., à M. X., à la caisse régionale d'assurances mutuelles agricoles de MARNE-ARDENNES, au centre hospitalier régional de REIMS et à la caisse primaire d'assurance maladie des ARDENNES.