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Cour administrative d’appel de Nantes, 5 juillet 2012, n° 11NT00104 (Méthadone - responsabilité hospitalière – surdose médicamenteuse – détenu – décès – UCSA)

En l’espèce, la mère d’un détenu a recherché la responsabilité d’un centre pénitentiaire à la suite du décès de son fils par overdose médicamenteuse. Son fils détenu a en effet ingéré des doses importantes de méthadone qu’il s’était procuré auprès d’un prisonnier soigné pour sa dépendance au sein d’une unité de consultations et de soins ambulatoires (UCSA). L’UCSA, rattaché auprès d’un CHU, avait délivré au patient plusieurs doses en une seule fois en prévision d’un jour férié. Or, la Cour relève l’absence de responsabilité de l’administration pénitentiaire dans le décès du retenu au motif que « la faute ainsi relevée était exclusivement imputable à l'établissement public de santé, qui n'établissait pas avoir informé l'administration pénitentiaire de la délivrance de la méthadone à son codétenu et l'avoir placée en situation de pouvoir prendre des mesures de surveillance adéquates ».

Cour Administrative d'Appel de Nantes

3ème Chambre
 

N° 11NT00104

Inédit au recueil Lebon
Mme PERROT, président
M. Olivier COIFFET, rapporteur
M. DEGOMMIER, rapporteur public
LOISON, avocat

Lecture du jeudi 5 juillet 2012
 

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la requête, enregistrée le 12 janvier 2011, présentée pour Mme  ..., épouse Y, demeurant ..., par Me Loison, avocat au barreau de Cherbourg-Octeville ; Mme Y demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement n° 10-307 en date du 10 novembre 2010 par lequel le tribunal administratif d'Orléans a rejeté sa demande tendant à la condamnation de l'Etat à lui verser la somme de 30 000 euros en réparation des préjudices qu'elle a subis à raison du décès de son fils survenu au cours de sa détention à la maison d'arrêt de Tours ;

2°) de condamner l'Etat à lui verser la somme de 30 000 euros en réparation des préjudices subis ;
 

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code de procédure pénale ;

Vu la code de la santé publique ;

Vu le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 14 juin 2012 :

- le rapport de M. Coiffet, président-assesseur ;

- et les conclusions de M. Degommier, rapporteur public ;

Considérant que Z a été écroué à la maison d'arrêt de Tours le 10 mars 2008 à la suite de sa condamnation à 6 mois d'emprisonnement pour évasion au cours d'une permission de sortir de la maison d'arrêt de Cherbourg, où il exécutait une peine de 12 mois d'emprisonnement dont 6 mois avec sursis ; qu'il a été découvert inanimé le 10 mai 2008, vers 15 heures 45, par ses deux co-détenus qui ont aussitôt alerté les surveillants ; qu'il est décédé à 17 heures 04 malgré les soins dispensés immédiatement par les surveillants puis par les services de secours ; que le rapport toxicologique a conclu à un décès par arrêt cardio-respiratoire dû à une intoxication aiguë et massive à la méthadone, produit de substitution pour les consommateurs d'héroïne ; que l'enquête judiciaire diligentée par le parquet de Tours a révélé que Z s'était procuré la méthadone auprès de l'un de ses co-détenus qui, en raison de la fermeture de l'unité de consultations et de soins ambulatoires le 8 mai, jour férié et le dimanche suivant, était en possession de quatre flacons de différents dosages du produit correspondant pour deux jours au traitement qui, en temps normal, lui était dispensé chaque jour en présence d'une infirmière ; que Mme Y, mère de Z, estimant que l'administration pénitentiaire avait commis une faute dans l'organisation du service et de graves négligences, a recherché la responsabilité de l'Etat et sollicité le versement d'une indemnité de 30 000 euros ; que, par un courrier du 1er décembre 2009, le ministre de la justice a rejeté cette demande indemnitaire ; que Mme Y relève appel du jugement du 10 novembre 2010 par lequel le tribunal administratif d'Orléans a rejeté ses conclusions tendant à la condamnation de l'Etat à réparer les préjudices qu'elle estime avoir subis du fait du décès de son fils ;

Sur la responsabilité de l'administration pénitentiaire :

Considérant qu'aux termes de l'article D. 273 du code de procédure pénale : " Les détenus ne peuvent garder à leur disposition aucun objet ou substance pouvant permettre ou faciliter un suicide, une agression ou une évasion, non plus qu'aucun outil dangereux en dehors du temps de travail. Au surplus, et pendant la nuit, les objets et vêtements laissés habituellement en leur possession peuvent leur être retirés pour des motifs de sécurité. Sauf décision individuelle du chef d'établissement motivée par des raisons d'ordre et de sécurité, un détenu peut garder à sa disposition, selon les modalités prescrites par les médecins intervenant dans les établissements pénitentiaires, des médicaments, matériels et appareillages médicaux. " ; qu'aux termes de l'article D. 368 du même code : " Les missions de diagnostic et de soins en milieu pénitentiaire et la coordination des actions de prévention et d'éducation pour la santé sont assurées par une équipe hospitalière placée sous l'autorité médicale d'un praticien hospitalier, dans le cadre d'une unité de consultations et de soins ambulatoires, conformément aux dispositions des articles R. 6112-14 à R. 6112-25 du code de la santé publique. " ;

Considérant que lorsqu'un dommage trouve sa cause dans plusieurs fautes qui, commises par des personnes différentes ayant agi de façon indépendante, portaient chacune en elle normalement ce dommage au moment où elles se sont produites, la victime peut rechercher la réparation de son préjudice en demandant la condamnation de l'une de ces personnes ou de celles-ci conjointement, sans préjudice des actions récursoires que les coauteurs du dommage pourraient former entre eux ; qu'ainsi lorsque les ayants droit d'un détenu recherchent la responsabilité de l'Etat du fait des services pénitentiaires en cas de dommage résultant du décès de ce détenu, ils peuvent utilement invoquer à l'appui de cette action en responsabilité, indépendamment du cas où une faute serait exclusivement imputable à l'établissement public de santé où a été soigné le détenu, une faute du personnel de santé de l'unité de consultations et de soins ambulatoires de l'établissement public de santé auquel est rattaché l'établissement pénitentiaire s'il s'avère que cette faute a contribué à la faute du service public pénitentiaire ; qu'il en va ainsi alors même que l'unité de consultations et de soins ambulatoires où le personnel médical et paramédical exerce son art est placée sous l'autorité du centre hospitalier ; que dans un tel cas il est loisible à l'Etat, s'il l'estime fondé, d'exercer une action en garantie contre l'établissement public de santé dont le personnel a concouru à la faute du service public pénitentiaire ;

Considérant qu'il résulte de l'instruction que par un jugement du 23 février 2012, devenu définitif, le tribunal administratif d'Orléans a retenu la responsabilité pour faute du centre hospitalier régional universitaire de Tours à raison de la délivrance par l'unité de consultations et de soins ambulatoire au codétenu de Z d'une dose de méthadone pour deux jours sans que soient prises les précautions minimales afin que ce produit dangereux ne puisse être absorbé que par ce patient ; que ce jugement, s'il a par ailleurs atténué la responsabilité du CHRU de Tours à hauteur de 50 % pour tenir compte du comportement de la victime, a estimé que la faute ainsi relevée était exclusivement imputable à l'établissement public de santé, qui n'établissait pas avoir informé l'administration pénitentiaire de la délivrance de la méthadone à son codétenu et l'avoir placée en situation de pouvoir prendre des mesures de surveillance adéquates ; qu'en conséquence Mme Y n'est pas fondée à rechercher également la responsabilité de l'Etat à raison des mêmes faits au motif de la méconnaissance par l'administration pénitentiaire des dispositions précitées de l'article D. 273 du code de procédure pénale ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède que Mme Y n'est pas fondée à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif d'Orléans a rejeté sa demande ;

Sur les conclusions du garde des Sceaux, ministre de la justice et des libertés :

Considérant qu'ainsi qu'il vient d'être dit, la responsabilité de l'administration pénitentiaire n'est pas engagée dans la présente instance ; que les conclusions présentées par le garde des Sceaux, ministre de la justice et des libertés à l'encontre du CHRU de Tours en vue d'un partage de responsabilité ne peuvent par suite qu'être rejetées ;

Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que l'Etat, qui n'a pas la qualité de partie perdante, verse à Mme Y la somme que celle-ci réclame au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ;

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de Mme Y est rejetée.
Article 2 : Les conclusions présentées en appel par le garde des Sceaux, ministre de la justice et des libertés contre le centre hospitalier régional universitaire de Tours sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Mme Y et au garde des Sceaux, ministre de la justice.
Une copie sera adressée au centre hospitalier régional universitaire de Tours.