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Cour administrative d’appel de Paris, 5 octobre 2015, n° 14PA01731 (Responsabilité médicale – Responsabilité pour faute - Organisation et fonctionnement du service – Absence de faute)

Au cours d’une intervention pour une angiocholite au sein d’un établissement de santé privée en date du 8 mai 2000, une volumineuse tumeur de la tête du pancréas ainsi qu’une lésion néoplasmique ont été mise en évidence chez une patiente. Le compte-rendu d'anatomie et de cytologie pathologique des biopsies pratiquées lors de cette intervention a conclu à un carcinoïde bénin du grêle et à un adénocarcinome pancréatique avec métastase ganglionnaire. La patiente a alors été transférée au sein d’un centre hospitalier universitaire (CHU), où elle a subi des séances de chimiothérapie. Une écho-endoscopie dans une clinique en septembre 2000 a révélé une régression très nette des lésions et la persistance d'un nodule juxtaportal. Une duodéno-pancréatectomie céphalique a alors été proposée à la patiente, et réalisée en octobre 2000. La patiente a de nouveau été hospitalisée en novembre 2000 pour une fatigue, des difficultés d'alimentation et des douleurs thoraciques et abdominales importantes. L'analyse histologique de la pièce de duodéno-pancréatectomie céphalique a révélé une pancréatite chronique sans signe de malignité ni d'atteinte ganglionnaire.

Le tribunal de grande instance a considéré que la responsabilité du médecin ayant rédigé le compte-rendu d'anatomie et de cytologie pathologique erroné était engagée pour faute en raison d'une erreur de diagnostic et l'a condamné au versement de sommes à l’égard notamment de la patiente. Les sommes ont été versées par une compagnie d’assurance qui s’est subrogée alors dans les droits du médecin responsable ayant rédigé le compte-rendu d'anatomie et de cytologie pathologique erroné, dont elle est l'assureur, et dans celles de la victime auprès de laquelle elle a acquitté la dette en cause. En 2011, la compagnie d’assurance a demandé au CHU le remboursement des sommes qu'elle a dû acquitter. Le tribunal administratif a rejeté sa demande.

La cour administrative d’appel relève que l'erreur histologique de départ, à savoir le diagnostic anatomo-pathologique erroné, a induit la suite du programme thérapeutique et par conséquent la duodéno-pancréatectomie céphalique subie par la patiente. La cour considère qu’ « eu égard à ces résultats certes inhabituels mais concordants avec les effets de la chimiothérapie, le CHU n'a pas commis de négligence fautive en ne réexaminant pas les prélèvements biopsiques initiaux et en s'abstenant d'effectuer de nouveaux prélèvements par une intervention par écho-endoscopie risquée et dont les résultats, en tout état de cause, n'auraient pas levé le doute de manière certaine » et indique que « la duodéno-pancréatectomie céphalique subie par [la patiente] (…) effectuée dans les règles de l'art, et l'absence d'examens complémentaires préalablement à ladite intervention chirurgicale, n'étaient pas, compte tenu du diagnostic d'anatomie et de cytologie pathologique erroné posé le 18 mai 2000, constitutives d'une faute de nature à engager la responsabilité [du CHU] ».

Cour administrative d'appel de Paris

N° 14PA01731   

8ème chambre

M. LAPOUZADE, président
M. Ivan LUBEN, rapporteur
M. SORIN, rapporteur public
TSOUDEROS, avocat

lecture du lundi 5 octobre 2015

REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

 

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La Société Z.  a demandé au Tribunal administratif de Melun de condamner le CHU X. à lui verser la somme de 671 915,99 euros, ainsi que les intérêts au taux légal à compter du 22 mars 2011, en remboursement des sommes qu'elle a dû verser pour le compte de son assuré, le docteur Y.  .

Par un jugement n° 1109950 du 7 février 2014, le Tribunal administratif de Melun a rejeté sa requête.

Procédure devant la Cour :

Par une requête sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés le 17 avril 2014 et le 11 juin 2014, la Société Z. , représentée par Me C..., demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1109950 du 7 février 2014 du Tribunal administratif de Melun ;

2°) de condamner le CHU X. à lui verser la somme de 671 915,99 euros ainsi que les intérêts au taux légal à compter du 22 mars 2011.

Elle soutient que :
- le CHU X. a commis une faute en entreprenant une intervention lourde sur le seul fondement du diagnostic initial malgré les résultats positifs surprenants à la suite de la chimiothérapie ; au regard de ces résultats positifs surprenants, le réexamen des prélèvements aurait pu être effectué, ou de nouvelles investigations pratiquées, ce qui aurait permis d'éviter la duodénopancréatectomie céphalique réalisée le 18 octobre 2000 et les conséquences lourdes de cette intervention injustifiée ;
- à titre subsidiaire, si les fautes commises par le CHU X. ne peuvent être totalement détachées de l'erreur de diagnostic initial commise par le docteur Y. , la part de responsabilité de le CHU X. dans la survenance du dommage ne saurait être inférieure à 80%.

Par un mémoire enregistré le 18 septembre 2014, le CHU X., représentée par Me D..., conclut au rejet de la requête et à ce que soit mis à la charge de la Société Z.  la somme de 2 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :
- le service public hospitalier n'est pas responsable dès lors que le diagnostic une fois posé par un spécialiste d'anatomopathologie, il n'y avait aucune raison valable de le remettre en cause ;
- la réponse étonnante à la chimiothérapie consistait en une régression de la tumeur qui ne présente pas de caractère exceptionnel ;
- il n'était pas indiqué de procéder à un prélèvement écho-endoscopique du nodule qui est difficile et qui n'a pas une fiabilité absolue ;
- si une fraction des dommages était susceptible d'être imputée au CHU X. , elle ne saurait excéder 20% ;
- le montant des demandes formées par la Société Z.   ne pourrait qu'être ramené à de plus justes proportions.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :
- le code de la santé publique ;
- le code de la sécurité sociale ;
- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Luben,
- et les conclusions de M. Sorin, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. Mme A..., épouse B..., a été hospitalisée d'urgence pour une angiocholite à la Polyclinique C où elle a été opérée le 8 mai 2000. Pendant l'intervention, une volumineuse tumeur de la tête du pancréas ainsi qu'une lésion néoplasique ont été mises en évidence. Le compte-rendu d'anatomie et de cytologie pathologique du 18 mai 2000 des biopsies pratiquées lors de cette intervention a conclu à un carcinoïde bénin du grêle et à un adénocarcinome pancréatique avec métastase ganglionnaire. Mme A...épouse B...a été transférée au centre hospitalier universitaire D., relevant de du CHU X., où elle a subi 13 séances de chimiothérapie entre le 5 juin et le 26 septembre 2000. Le 12 septembre 2000, une écho-endoscopie à la clinique de Turin a montré une régression très nette des lésions et la persistance d'un nodule juxtaportal. Une duodéno-pancréatectomie céphalique a alors été proposée à la patiente, et cette intervention a été réalisée le 18 octobre 2000. Mme A...épouse B...a été de nouveau hospitalisée le 5 novembre 2000 pour une fatigue, des difficultés d'alimentation et des douleurs thoraciques et abdominales importantes. Elle est définitivement sortie le 16 novembre 2000. L'analyse histologique de la pièce de duodéno-pancréatectomie céphalique a révélé une pancréatite chronique sans signe de malignité ni d'atteinte ganglionnaire.

2. Le Tribunal de grande instance de Créteil, par un jugement du 15 janvier 2008, rectifié le 12 février 2008, a considéré que la responsabilité du médecin ayant rédigé le compte-rendu d'anatomie et de cytologie pathologique erroné était engagée pour faute en raison d'une erreur de diagnostic et l'a condamné à verser à Mme A...épouse B...la somme de 269 405,49 euros, à M. B...la somme de 15 000 euros, aux épouxB..., en leur qualité d'administrateurs légaux de leurs deux enfants mineurs, la somme de 20 000 euros, à la caisse primaire d'assurance maladie de l'Essonne, la somme de 108 607,82 euros, à la société E, la somme de 64 398 euros et à la caisse régionale d'assurance maladie d'Ile-de-France, la somme de 165 525,43 euros, outre les intérêts au taux légal. Ces sommes ont été versées par la Société Z.  le 22 avril 2008 qui est donc subrogée dans les droits du médecin responsable ayant rédigé le compte-rendu d'anatomie et de cytologie pathologique erroné, dont elle est l'assureur, et de la victime auprès de laquelle elle a acquitté la dette en cause. Par une lettre du 22 mars 2011, la Société Z.  a demandé au CHU X. le remboursement des sommes qu'elle a dû acquitter. Une décision implicite de rejet est née du silence gardé par du CHU X.  Par un jugement du 7 février 2014, le Tribunal administratif de Melun a rejeté la demande de la Société Z.  tendant à ce que le CHU X. soit condamnée à lui rembourser la totalité des frais avancés par elle en dédommagement du préjudice subi par Mme A...épouse B....

3. Aux termes de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique : " Hors le cas où leur responsabilité est encourue en raison d'un défaut d'un produit de santé, les professionnels de santé mentionnés à la quatrième partie du présent code, ainsi que tout établissement, service ou organisme dans lesquels sont réalisés des actes individuels de prévention, de diagnostic ou de soins ne sont responsables des conséquences dommageables d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins qu'en cas de faute. / Les établissements, services et organismes susmentionnés sont responsables des dommages résultant d'infections nosocomiales, sauf s'ils rapportent la preuve d'une cause étrangère. (...) ".

4. Il résulte de l'instruction, et notamment du rapport d'expertise de l'expert désigné par le Tribunal de grande instance de Créteil, déposé le 11 décembre 2003, que l'erreur histologique de départ (le diagnostic anatomo-pathologique erroné posé le 18 mai 2000), a induit la suite du programme thérapeutique et par conséquent la duodéno-pancréatectomie céphalique subie par Mme A... épouse B.... D'une part, au regard du diagnostic initialement posé d'un cancer du pancréas dans sa forme adénocarcinomateuse, dont l'ablation n'avait pu être réalisée lors de l'intervention chirurgicale du 8 mai 2000, et qui répond bien à la chimiothérapie, il est licite de proposer, dans un deuxième temps, une duodéno-pancréatectomie céphalique. D'autre part, si le rapport de l'expert médical a indiqué que " la réponse étonnante à cette chimiothérapie [révélée par l'écho-endoscopie réalisée le 12 septembre 2000] aurait pu inciter soit à revoir les lames, soit à demander un prélèvement par écho-endoscopie du nodule résiduel, examen qui aurait permis d'écarter le diagnostic initial ", le médecin conseil de du CHU X. , en réponse au rapport de l'expert médical, a indiqué le 8 mars 2004, sans être ultérieurement contredit, que la réponse à la chimiothérapie ne pouvait être regardée comme aussi exceptionnelle et étonnante que le relève l'expert médical eu égard à l'efficacité des nouvelles chimiothérapies, telles que celles reçues par Mme A...épouse B..., qui, en cas de réponse, permettent d'obtenir de véritables régressions tumorales, que les prélèvements cytologiques par écho-endoscopie ne sont pas encore de pratique courante, qu'il s'agit d'un examen difficile surtout lorsque la tumeur est petite et située au contact de gros vaisseaux comme le confluent mésentérico-porte, comme dans le cas de la patiente, et qu'enfin, le résultat de l'examen cytologique de ces prélèvements n'est pas d'une fiabilité absolue avec une sensibilité et une spécificité de l'ordre de 70 à 80%. Ainsi, eu égard à ces résultats certes inhabituels mais concordants avec les effets de la chimiothérapie, le CHU X. n'a pas commis de négligence fautive en ne réexaminant pas les prélèvements biopsiques initiaux et en s'abstenant d'effectuer de nouveaux prélèvements par une intervention par écho-endoscopie risquée et dont les résultats, en tout état de cause, n'auraient pas levé le doute de manière certaine. Par suite, la duodéno-pancréatectomie céphalique subie par Mme A...épouse B...le 18 octobre 2000, effectuée dans les règles de l'art, et l'absence d'examens complémentaires préalablement à ladite intervention chirurgicale, n'étaient pas, compte tenu du diagnostic d'anatomie et de cytologie pathologique erroné posé le 18 mai 2000, constitutives d'une faute de nature à engager la responsabilité de du CHU X.  Par suite, c'est à bon droit que les premiers juges ont rejeté les conclusions indemnitaires de la Société Z. 

5. Il résulte de tout ce qui précède que la Société Z. n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande. Il y a lieu, sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, de mettre à la charge de la Société Z.  le paiement à le CHU X. de la somme de 1 500 euros au titre des frais que celle-ci a exposés et non compris dans les dépens.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de la Société Z. est rejetée.

Article 2 : La Société Z. versera la somme de 1 500 euros au CHU X. au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la Société Z.  et au CHU X.