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Cour administrative d'appel de Paris, 7 février 2011, n°10PA02035 (perte du dossier médical - absence de communication des documents - perte de chance)

En l'espèce, à la suite du décès de son époux, Mme X demande à plusieurs reprises la communication de l'intégralité du dossier médical de son époux pour connaître les causes de son décès. L'établissement de santé reconnaît qu'il ne peut donner suite à cette demande, des parties de ce dossier médical ayant été égarées. Mme X présente donc devant le Tribunal administratif de Paris une demande d'indemnisation de son préjudice moral résultant de la perte d'une partie du dossier médical de son défunt époux, demande qui est rejetée par le Tribunal le 12 mars 2010. Mme X fait appel de ce jugement. La Cour administrative d'appel de Paris retient une faute dans l'organisation et le fonctionnement du service de nature à engager la responsabilité de l'établissement de santé en estimant que "la requérante a subi un préjudice moral certain du fait de la non-communication, à laquelle elle avait droit, du dossier médical de (son époux), contenant notamment des informations sur les conditions de son décès, sur les traitements et les soins qui lui ont été administrés à l'occasion de son hospitalisation".

Cour Administrative d'Appel de Paris
8ème chambre

N° 10PA02035   


Inédit au recueil Lebon


M. ROTH, président
M. Jean-Claude PRIVESSE, rapporteur
Mme SEULIN, rapporteur public
FLACELIERE, avocat


Lecture du lundi 7 février 2011

REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la requête, enregistrée le 23 avril 2010, présentée pour Mme Danielle A, demeurant ..., par Me Flaceliere ; Mme A demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 0711050/6-1 du 12 mars 2010 par lequel le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à la condamnation de l'Assistance publique - hôpitaux de Paris à lui verser une indemnité de 15 000 euros en réparation du préjudice moral subi du fait de son refus de lui communiquer le dossier médical complet de son époux, décédé à la suite d'une opération chirurgicale s'étant déroulée le 2 octobre 2003 ;

2°) d'annuler la décision implicite de l'Assistance publique - hôpitaux de Paris de rejet de sa demande préalable, et de condamner cet établissement à lui verser la somme susmentionnée ;

3°) de mettre à la charge de l'Assistance publique - hôpitaux de Paris une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code de la santé publique ;

Vu le décret n° 2006-6 du 4 janvier 2006 relatif à l'hébergement des données de santé à caractère personnel et l'arrêté interministériel du 11 mars 1968 portant règlement des archives hospitalières ;

Vu le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 24 janvier 2011 :

- le rapport de M. Privesse, rapporteur,

- les conclusions de Mme Seulin, rapporteur public,

- les observations de Me Cret, représentant l'Assistance publique - hôpitaux de Paris ;

Considérant que Mme A relève régulièrement appel du jugement susmentionné en date du 12 mars 2010, par lequel le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à la condamnation de l'Assistance publique - hôpitaux de Paris à lui verser une indemnité de 15 000 euros en réparation du préjudice moral résultant de la perte d'une partie du dossier médical de son époux, M. Jean-Marie A, décédé à l'hôpital de la Pitié-Salpêtrière le 7 octobre 2003, à la suite d'une opération de transplantation cardiaque s'étant déroulée le 2 octobre 2003, cette perte ne lui permettant pas de connaître les causes et les circonstances ayant entouré le décès de son époux ;

Sur la recevabilité des conclusions de la requête et la fin de non-recevoir opposée par l'Assistance publique - hôpitaux de Paris :

Considérant qu'à la suite du décès de son époux, Mme A a sollicité plusieurs fois, à compter du 17 juin 2005, la communication de l'intégralité de son dossier médical ; qu'en réponse, le groupe hospitalier l'a informée que les recherches entreprises dans les archives n'ayant pas permis de retrouver ce dossier, il ne pouvait dès lors faire droit à sa demande concernant le dossier établi pour l'hospitalisation de M. A, et n'a finalement communiqué qu'une partie du dossier, ainsi qu'au médecin expert missionné par son assureur ; que par la suite, aussi bien dans la demande préalable du 21 mars 2007, que dans la demande présentée devant le tribunal, ou dans celle saisissant la Cour, Mme A n'a pas varié dans le fondement invoqué pour rechercher la responsabilité du centre hospitalier de la Pitié-Salpêtrière, à savoir la faute commise par celui-ci qui, du fait de la perte de certains documents médicaux, était dans l'incapacité de lui communiquer, ainsi qu'au médecin expert, les éléments médicaux nécessaires pour lui permettre de connaître les causes du décès de son époux ; que dans ces conditions, la fin de non-recevoir opposée à Mme A par l'Assistance publique - hôpitaux de Paris et tirée de l'irrecevabilité de ses conclusions d'appel, reprochant à la requérante de se fonder sur une cause juridique nouvelle, ne peut qu'être écartée ;

Sur le fond :

Considérant qu'il incombait au groupe hospitalier concerné, en application des dispositions du décret n° 2006-6 du 4 janvier 2006 relatif à l'hébergement des données de santé à caractère personnel, modifiant certaines dispositions du code de la santé publique, et de l'arrêté interministériel du 11 mars 1968 portant règlement des archives hospitalières, alors applicables, d'assurer la conservation de tous les documents faisant partie du dossier médical de M. A ; que la disparition ou la non-communication partielle de ce même dossier médical, constituent un manquement de l'établissement hospitalier à ses obligations, révélant une faute dans l'organisation et le fonctionnement du service de nature à engager sa responsabilité ;

Considérant que, s'il n'est pas établi que l'absence de communication de certains desdits documents ait fait perdre à Mme A une chance sérieuse de faire valoir ses droits quant aux causes et aux circonstances ayant entouré le décès de son époux, cinq jours après l'opération entreprise, alors que celle-ci avait réussi et qu'aucun incident particulier n'avait alors été signalé, il ressort de l'instruction que la requérante a subi un préjudice moral certain du fait de la non-communication, à laquelle elle avait droit, du dossier médical de celui-ci, contenant notamment des informations sur les conditions de son décès, sur les traitements et les soins qui lui ont été administrés à l'occasion de son hospitalisation ; qu'il sera fait une juste appréciation du préjudice moral subi par Mme A en fixant à 3 000 euros le montant de l'indemnité qui devra lui être versée par l'Assistance publique - hôpitaux de Paris à titre de réparation ;

Considérant qu'il résulte ainsi de ce qui précède que Mme A est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, les premiers juges ont rejeté sa demande ;

Sur les conclusions avant dire droit :

Considérant que Mme A demande en outre à la Cour d'enjoindre à l'Assistance publique - hôpitaux de Paris, que lui soit communiqué l'intégralité du dossier médical de son époux, dans le délai d'un mois à compter de la signification de l'arrêt à intervenir ; que toutefois, et en tout état de cause, la formation de jugement ne pourrait demander à la partie qui détient des pièces ou des documents médicaux utiles à la solution du litige de les communiquer à la requérante, sous réserve du respect du secret médical, qu'aux conditions de justifier la nécessité d'une telle démarche et de l'existence de ces pièces ou documents ; qu'en l'espèce, Mme A a formulé plusieurs demandes à l'Assistance publique - hôpitaux de Paris, de communication du dossier médical complet de son époux décédé, notamment les 25 avril et 2 juin 2006, cependant que le médecin expert notait dans son rapport de septembre 2006 qu'aucun document ne lui avait été communiqué concernant les conditions du séjour à l'hôpital, les éléments de surveillance, et les observations post-opératoires du patient dont s'agit ; qu'en réponse à ces demandes, l'Assistance publique - hôpitaux de Paris n'a pas refusé la communication des documents sollicités, mais a toujours soutenu les avoir égarés, malgré les multiples sollicitations évoquées ci-dessus ; que dans ces conditions, la mesure d'instruction sollicitée ne pouvant connaître de suite favorable, il n'y a pas lieu, en tout état de cause, de l'ordonner ;

Sur les conclusions tendant au versement de frais irrépétibles :

Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Assistance publique - hôpitaux de Paris le versement à Mme A d'une somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens, conformément aux dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Considérant que les mêmes dispositions s'opposent à ce que soit mis à la charge de Mme A, qui n'a pas la qualité de partie perdante en l'instance, la somme que réclame l'AP-HP au titre des frais de même nature qu'elle a exposés ;

D E C I D E :

Article 1er : Le jugement susmentionné du Tribunal administratif de Paris en date du 12 mars 2010 est annulé.


Article 2 : L'Assistance publique - hôpitaux de Paris est condamnée à verser la somme de 3 000 euros à Mme A.


Article 3 : L'Assistance publique - hôpitaux de Paris versera à Mme A la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.


Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête de Mme A est rejeté.


Article 5 : Les conclusions de l'Assistance publique - hôpitaux de Paris tendant au versement de frais irrépétibles sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, sont rejetées.