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Cour administrative de Paris, 12 mars 2012, n°10PA06059 (Responsabilité hospitalière – Faute – Appréciation)

La Cour administrative de Paris a rendu un arrêt intéressant dans la mesure où elle relève que « dans le cadre de son appréciation du caractère fautif d’un acte de soins, le juge doit prendre en compte  les difficultés auxquelles est confrontée l’équipe médicale, l’urgence, l’état des connaissances médicales et des moyens dont dispose l’établissement de soins ». En l’espèce, une patiente âgée de 80 ans, porteuse depuis plusieurs années d’une prothèse valvulaire nécessitant un traitement anti-coagulant à vie, a été admise au sein d’un établissement public de santé pour une suspicion d’infection de cette prothèse. Cette éventualité a été rapidement écartée mais l’équipe hospitalière a constaté le défaut d’équilibrage du traitement anticoagulant oral. Près d’un mois après, à la suite d’une injection d’héparine, un hématome situé au niveau de l’abdomen est apparu. Malgré le fait que le processus hémorragique ait été jugulé, les produits de contraste sur un rein fragilisé ont aggravé l’insuffisance rénale de la patiente qui a souffert de graves complications digestives conduisant à son décès. L’autopsie a révélé la présence d’un infarctus mésentérique développé. La cour soulève qu’ « eu égard aux difficultés auxquelles s’est heurtée l’équipe médicale dans ses tentatives d’équilibrage d’un traitement anti-coagulant sur une patiente âgée, très maigre et porteuse d’une prothèse valvulaire, traitement d’autant plus délicat à mettre au point que les causes du déséquilibre soudain du traitement précédemment administré n’ont pas été élucidées, les deux erreurs techniques qui ont concouru au décès ne peuvent être qualifiées de fautives au sens des dispositions [de l’article L. 1142-1 du Code de la santé publique] ». 

 

LA COUR ADMINISTRATIVE D'APPEL  DE PARIS

REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

10PA06059

La Cour administrative d'appel de Paris

OFFICE NATIONAL DES ACCIDENTS MEDICAUX, DES AFFECTIONS IATROGENES ET DES INFECTIONS NOSOCOMIALES /Assistance publique — Hôpitaux de Paris

(8ème Chambre)

Mme Mille Président

M. Ladreyt Rapporteur

Mme Seulin Rapporteur public

Audience du 27 février 2012 Lecture du 12 mars 2012

Vu la requête, enregistrée le 24 décembre 2010, présentée pour l'OFFICE NATIONAL. DES ACCIDENTS MEDICAUX, DES AFFECTIONS IATROGENES ET DES INFECTIONS NOSOCOMIALES (ON1AM), dont le siège est Tour Gallieni 11 36 avenue du général de Gaulle à Bagnolet (93175), par Me de la Grange ; l'ONIAM demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 0814451/6-3 du 14 octobre 2010 par lequel le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant, d'une part, à la condamnation de l'Assistance publique - Hôpitaux de Paris (AP-HP) à lui verser les sommes de 30 892, 36 euros et de 2 400 euros qu'il a versées aux ayants droit de Mme D, respectivement en réparation du préjudice moral résultant du décès de cette dernière et en remboursement des frais d'expertise exposés par eux, assorties des intérêts au taux légal à compter du 22 juillet 2008, et, d'autre part, à mettre à la charge de l'Assistance publique - Hôpitaux de Paris la somme de 1 500 curas au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ainsi que les entiers dépens ;

2°) de condamner l'Assistance publique - Hôpitaux de Paris à lui verser les sommes précitées ;

3°) de mettre à la charge de l'Assistance publique- Hôpitaux de Paris une somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

L'ONIAM soutient :

 

- que la responsabilité de l'hôpital XXX est engagée en raison d'un surdosage médicamenteux et d'une injection fautive de Calciparine ayant concouru au décès de Mme D ;

  • que l'ensemble des éléments disponibles, et notamment les rapports d'expertise, permettent de considérer avec un degré suffisant de vraisemblance que Mme D a subi une injection fautive avant de décéder des suites d'un surdosage d'héparine ; que le rapport d'expertise contradictoire établi par le docteur B dans le cadre de la procédure juridictionnelle engagée devant le tribunal conclut à l'existence d'une injection intramusculaire constitutive d'Une erreur de technique d'injection à l'origine de l'hématome ; que les premiers experts avaient également fait état d'une erreur vraisemblable commise à l'occasion de cette injection ; que la note rédigée par le docteur L concluait dans le même sens ; que le tribunal administratif ne pouvait écarter les constatations établies par ces rapports d'expertise, notamment par celui du docteur B ; que la maigreur de la patiente aurait dû conduire l'hôpital à redoubler de précautions et, notamment, à faire effectuer cette injection par un praticien et non par une infirmière ; que cette injection, qui ne devait pas être réalisée par voie intramusculaire, n'a pas été effectuée conformément aux données acquises de la science médicale ; qu'il s'agit d'une maladresse fautive qui engage la responsabilité de l'AP-HP ;
  • que le rapport d'expertise établi par le docteur B conclut également à un surdosage médicamenteux en héparine, analyse partagée par les premiers experts, et précise que la conjonction de ces deux fautes a conduit au décès de Mme D ;

Vu le mémoire en défense, enregistré le 24 février 2011, présenté pour l'Assistance publique - Hôpitaux de Paris (AP-HP) par Me Tsouderos, qui conclut, à titre principal, au rejet de la requête et s'en remet, à titre subsidiaire, à la sagesse de la Cour s'agissant du montant des sommes à rembourser, par les moyens suivants :

  • que le rapport d'expertise établi par lés docteurs A et C, experts désignés par la CRCI, se borne à évoquer la possibilité que l'hématome puisse être consécutif à l'injection de Calciparine ; que le rapport d'expertise établi par les docteurs D et H, experts également désignés par la CRCI, conclut à l'absence d'élément permettant de dire que le personnel infirmier a effectivement effectué une injection intramusculaire ; que la survenance d'un hématome du grand droit peut résulter du seul fait de l'administration d'un traitement anticoagulant en l'absence de tout traumatisme ; qu'en tout état de cause, à supposer même que cette injection aurait été effectuée en intramusculaire, elle ne saurait être constitutive d'une faute compte tenu de la maigreur de Mme D, qui rendait ce geste difficile ;
  • que les avis émis par les différents experts ne permettent pas d'affirmer l'existence d'un surdosage ; que le rapport d'expertise établi par les docteurs A et C ne fait aucune mention d'un quelconque surdosage ; que Mme D a bénéficié d'une surveillance particulièrement attentive pour l'administration et l'équilibration de son traitement anticoagulant ;
  • que l'existence d'un lien de causalité direct et certain entre les erreurs invoquées et l'infarctus colique n'est pas établie ; que cet infarctus trouve son origine dans l'état antérieur de Mme D ;
  • à titre subsidiaire, que les fautes invoquées n'ont pu être qu'à l'origine d'une perte de chance, la gravité de l'état antérieur de la patiente ayant seul pu conduire au décès de la patiente ;

Vu le mémoire, enregistré le 21 février 2012, pour I'ONIAM qui maintient ses précédentes conclusions par les mêmes moyens ;

Vu les trois rapports d'expertise, deux établis dans le cadre de la procédure amiable CRU et le troisième établi dans le cadre de la procédure de référé engagée par l'ONIAM devant le tribunal ;

Vu le jugement attaqué ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code de la santé publique, et notamment son article L. 1142-17 ; Vu le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 27 février 2012 : - le rapport de M. L, rapporteur,

- les conclusions de Mme Seulin, rapporteur public,

-et les observations de Me Parpex, représentant l'ONIAM, et celles de Me Tsouderos, représentant l'Assistance publique - Hôpitaux de Paris ;

Considérant que Mme D, âgée de 80 ans, porteuse depuis plusieurs années d'une prothèse valvulaire nécessitant un traitement anti-coagulant à vie, a été admise le 4 juillet 2003 à l'hôpital XXX dépendant de l'Assistance publique —Hôpitaux de Paris (AP-HP), à la demande de son cardiologue, pour une suspicion d'infection de cette prothèse ; que si une telle éventualité a été rapidement éliminée, l'équipe hospitalière a cependant constaté un défaut d'équilibrage du traitement anti-coagulant oral qui lui était précédemment administré dans des conditions satisfaisantes, ce constat ne permettant pas d'envisager le retour immédiat de l'intéressée à domicile car nécessitant divers contrôles, bilans et recherches des causes de ce déséquilibre soudain ; que, le 1er août 2003, après une injection d'héparine en intra-musculaire, un hématome situé au niveau de l'abdomen est apparu qui a nécessité une artériographie en vue de l'embolisation de l'artère épigastrique gauche, pratiquée le 4 août 2003 ; que si le processus hémorragique a été jugulé, les produits de contraste sur un rein fragile ont aggravé l'insuffisance rénale de l'intéressée qui a ensuite souffert de graves complications digestives conduisant à son décès le 5 août 2003 ; que l'autopsie a révélé la présence d'un infarctus mésentérique développé essentiellement au niveau du côlon droit et de l'iléon terminal ; que la commission régionale de conciliation et d'indemnisation d'Ile-de-France (CRCI), saisie par Mme F D, fille de la victime, a par un avis en date du 28 février 2005 estimé, au vu de deux rapports d'expertise, que le décès de la patiente était la conséquence d'un accident médical non fautif, indemnisable au titre de la solidarité nationale ; que si l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM) a indemnisé les ayants droit de la défunte pour la somme totale de 30 892 euros, il a déposé le 20 juillet 2007, devant le juge des référés, une requête en vue d'obtenir une expertise contradictoire et a, au vu du rapport, adressé une demande préalable à l'AP-HP, restée sans réponse ; qu'en sa qualité de subrogé dans les droits des ayants droit de la victime sur le fondement des dispositions de l'article L. 1142-17 du code de la santé publique, l'ONIAM, estimant que des fautes, commises lors de la prise en charge de la patiente, sont à l'origine de son décès, a saisi le Tribunal administratif de Paris le ler septembre 2008 aux fins de condamnation de I'AP-HP à lui rembourser les sommes qu'il a été amené à verser aux intéressés ; que, par un jugement du 14 octobre 2010, dont l'office relève régulièrement appel, le tribunal administratif a rejeté cette demande ;

Sur la responsabilité de l'Assistance publique - Hôpitaux de Paris

Considérant qu'aux termes des dispositions de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique : « L - Hors le cas où leur responsabilité est encourue en raison d'un défaut d'un produit de santé, les professionnels de santé mentionnés à la quatrième partie du présent code, ainsi que tout établissement, service ou organisme dans lesquels sont réalisés des actes individuels de prévention, de diagnostic ou de soins ne sont responsables des conséquences dommageables d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins qu'en cas de faute. (...) » ; que dans le cadre de son appréciation du caractère fautif d'un acte de soins, le juge doit prendre en compte les difficultés auxquelles est confrontée l'équipe médicale, l'urgence, l'état des connaissances médicales et des moyens dont dispose l'établissement de soins ;

Considérant qu'il résulte de l'instruction, notamment du rapport de l'expertise contradictoire ordonnée par le tribunal et dont se prévaut l'ONIAM, que le décès de Mme D constitue l'aboutissement d'un processus de défaillance multiviscérale déclenché initialement par l'erreur technique résultant d'une injection d'héparine en intra-musculaire et non en sous-cutané, qui a créé ou facilité la constitution d'un hématome, qui a lui-même nécessité une artériographie néfaste pour les fonctions rénales déjà fragiles, les conséquences de cette erreur étant aggravées par un surdosage en Calciparine intervenant le lendemain sur une patiente présentant un lourd état antérieur, notamment une double lésion sur les artères mésentériques, ignorée jusque là, laquelle a occasionné la complication digestive fatale ;

Considérant cependant qu'il résulte également de l'instruction et notamment du rapport d'expertise établi au contradictoire de l'ONIAM, qu'à son arrivée à l'hôpital, Mme D, qui mesurait 159 cm et pesait 45 kg, présentait une cardiopathie valvulaire appareillée nécessitant un traitement anticoagulant difficile à équilibrer, « constituant donc un terrain morbide sévère à cet âge » ; que dans ce contexte de gravité et d'urgence, et alors que l'équipe médicale avait tenté sans succès d'adapter d'abord la posologie du traitement oral suivi par la patiente puis d'interrompre la prise de deux médicaments prescrits dans le cadre d'autres pathologies et susceptibles d'interférer sur l'action des anticoagulants, l'injection d'héparine en intra­musculaire, même erronée, ne présente pas un caractère fautif dès lors que le même expert rappelle à plusieurs reprises « la plus grande difficulté à injecter réellement en sous-cutané chez un patient maigre » et ajoute que l'intéressée était « très maigre » ; que si, toujours selon l'expert désigné par le tribunal, le surdosage erroné qui a suivi a « majoré considérablement l'incidence de ce qui aurait pu ne rester qu'un événement désagréable et douloureux mais n'ayant pas les conséquences qu'on sait », il ajoute immédiatement après qu'une bonne adaptation du dosage d'héparine est difficile à déterminer « chez une patiente maigre et âgée, donc insuffisante rénale » et que « des erreurs de dosage surviennent quotidiennement dans la détermination de la posologie efficace et non toxique, en matière d'anti-coagulation notamment » ; qu'il résulte de tout ce qui précède que, eu égard aux difficultés auxquelles s'est heurtée l'équipe médicale dans ses tentatives d'équilibrage d'un traitement anti-coagulant sur une patiente âgée, très maigre et porteuse d'une prothèse valvulaire, traitement d'autant plus délicat à mettre au point que les causes du déséquilibre soudain du traitement précédemment administré n'ont pas été élucidées, les deux erreurs techniques qui ont concouru au décès ne peuvent être qualifiées de fautives au sens des dispositions précitées du code de la santé publique ;

Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède l'ONIAM n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande ;

Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l’AP-HP, qui n'est pas la partie perdante dans la présence instance, une somme demandée au titre des frais exposés par l'ONIAM et non compris dans les dépens ;

DECIDE:

Article 1 :La requête de l'OFFICE NATIONAL DES ACCIDENTS MEDICAUX, DES AFFECTIONS IATROGENES ET DES INFECTIONS NOSOCOMIALES est rejetée.

Article 2 :Le présent arrêt sera notifié à l'OFFICE NATIONAL DES ACCIDENTS MEDICAUX, DES AFFECTIONS IATROGENES ET DES INFECTIONS NOSOCOMIALES et à l'Assistance publique - Hôpitaux de Paris. Copie en sera transmise au ministre du travail, de l'emploi et de la santé.

Délibéré après l'audience du 27 février 2012, à laquelle siégeaient :

- Mme Mille, président,

- M. Ladreyt, premier conseiller,

- Mme Bailly, premier conseiller,

Lu en audience publique, le 12 mars 2012.

 

La République mande et ordonne au ministre du travail, de l'emploi et de la santé en ce qui le concerne et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.