Par cet arrêt, la cour d’appel de Rennes considère que le courriel rédigé par un fonctionnaire sur sa messagerie professionnelle est présumé revêtir un caractère professionnel sauf à ce que son contenu intéresse de manière évidente la vie privée de son auteur dans les aspects que la loi protège de manière privilégiée, à savoir la santé, le patrimoine et la vie affective ou sexuelle.
3ème Chambre,
ARRÊT
Prononcé publiquement le 14 janvier 2010 par la 3ème Chambre des Appels Correctionnels,
PARTIES EN CAUSE DEVANT LA COUR :
S.
(...) Prévenu, appelant, libre
comparant, assisté de Maître PERU Jean-Louis, avocat au barreau de PARIS
ET:
V. (...) Partie civile, intimé
comparant, assisté de Maître OF-SAVARY, avocat au barreau de RENNES substituant Maître OMEZ V., avocat au barreau de QUIMPER
LE MINISTÈRE PUBLIC Appelant,
COMPOSITION DE LA COUR :
lors des débats et du délibéré:
Président Conseillers
Monsieur DILLANGE Monsieur PETIT
Madame TARDY-JOUBERT
Prononcé à l'audience du 14 janvier 2010 par Monsieur DILLANGE, conformément aux dispositions de l'article 485 alinéa 3 du Code de Procédure Pénale
MINISTÈRE PUBLIC : en présence de Monsieur l'Avocat Général lors des débats et lors du prononcé de l'arrêt
GREFFIER : en présence de Mlle DELAUNAY lors des débats et de Mme BLIN lors du prononcé de l'arrêt
A l'audience publique du 03 décembre 2009, le Président a constaté l'identité du prévenu comparant en personne, assisté de Me PERU, la Cour déclarant le présent arrêt contradictoire. A cet instant, le conseil du prévenu et le conseil de la partie civile ont déposé des conclusions.
Ont été entendus :
M. DILLANGE, en son rapport,
Le prévenu sur les motifs de son appel et en son interrogatoire, La partie civile en ses observations,
Maître OF- SAVARY en sa plaidoirie,
M. l ' Avocat Général en ses réquisitions,
Maître PERU en sa plaidoirie,
Le prévenu a eu la parole en dernier;
Puis, la Cour a mis l'affaire en délibéré pour son arrêt être rendu à l'audience publique du 14 janvier 2010 ;
Conformément aux prescriptions de l'article 462 alinéa 2 du Code de Procédure Pénale, le Président a avisé les parties présentes de la date de l'audience à laquelle l'arrêt serait rendu;
LE JUGEMENT:
Le Tribunal Correctionnel de QUIMPER par jugement Contradictoire en date du 17 JUILLET 2008, pour ATTEINTE AU SECRET OU SUPPRESSION DE CORRESPONDANCES PAR CHARGE DE MISSION DE SERVICE PUBLIC, NATINF
Sur l'action publique
a condamné S. Gilles à la peine d'amende de 3.000 euros avec sursis a ordonné l'exclusion de la condamnation au B2 de Gilles S.
Sur l'action civile
a condamné Gilles S. à payer à Monsieur V. Thierry la somme de 1 euro à titre de dommages et intérêts
Appel a été interjeté par:
Monsieur S. Gilles, le 21 juillet 2008 à titre principal sur les dispositions pénales et civiles
M. le Procureur de la République, le 21 juillet 2008 à titre incident sur les dispositions pénales
Considérant qu'il est fait grief à Gilles S. :
correspondance, en l'espèce un message électronique privé adressé par Monsieur Thierry V. à Monsieur Didier J. pour joindre une copie de ce mail au dossier administratif de Thierry V. à l'appui d'une procédure disciplinaire.
Faits prévus par l'article 432-9 al. 1 du Code Pénal et réprimés par les articles 432-9 al. 1, 432-17 du Code Pénal.
Les faits, matériellement incontestés, à l'origine de la présente instance sont rapportés avec rigueur et précision dans le jugement dont appel, auquel il conviendra expressément de se reporter. La Cour en retiendra qu'une plainte avec constitution de partie civile contre X ... a été déposée par Thierry V. devant le doyen des juges d'instruction de QUIMPER, pour atteinte au secret de la correspondance dans les circonstances suivantes : ingénieur principal de la Ville de DOUARNENEZ il était l'objet début 2005 d'une procédure disciplinaire. Il avait à cette occasion accès à son dossier dans lequel il découvrait un courriel qu'il avait adressé à un collègue le 8 décembre 2004 ; cette pièce étant censée illustrer l'état d'esprit de Thierry V. vis à vis de son administration.
L'objet de ce courriel était mixte: il comprenait une première partie dans lequel l'auteur moquait sur un mode humoristique l'organisation des services administratifs de la municipalité de DOUARNENEZ, tandis que la seconde partie répondait à une demande de nature professionnelle émanant du destinataire, M. J..
La partie civile faisait valoir que ce courriel avait un unique destinataire et était de nature privée. Le prévenu indiquait qu'il avait eu connaissance par un tiers de ce document, ce qui l'amenait à en demander copie à M. J., qui, après quelques hésitations se pliait à l'exigence de son supérieur.
Le Tribunal relevait qu'il n'existait pas de règlement ou de charte d'usage de l'informatique au sein de la mairie de DOUARNENEZ.
Pour plaider sa relaxe, Gilles S. faisait valoir que s'agissant d'un message transmis sur le réseau interne d'une administration, ayant un objet professionnel, il n'avait pas le caractère d'une correspondance privée et avait un objet " administratif ", par nature communicable et ne relevant pas de la protection offerte par l'article 432-9 du code pénal. Il avançait encore que le fait de
verser le document au dossier personnel d'un agent - par nature confidentiel - ne constituait pas davantage la "révélation" prohibée par le même texte.
Pour entrer en voie de condamnation, le tribunal relevait en premier lieu qu'il n'était pas contestable que les faits sont imputés à une personne chargée d'une mission de service public, dans le cadre de cette mission. En deuxième lieu, le premier juge rappelait que le secret de la correspondance relève de la sphère de vie privée protégée par la CEDH; que dans ce cadre le terme "correspondance" intéresse tout échange écrit, quelque soit son support, "adressé par une personne nommément désignée à une personne elle aussi nommément désignée".
En troisième lieu le Tribunal estimait que l'aspect privé d'une correspondance résultait non seulement de son objet mais encore de l'intention des correspondants. En l'espèce, le premier juge déduisait de différents faits la volonté de la partie civile de donner un caractère privé à son courriel : ainsi, quoique répondant à une circulaire, Thierry V. n'activait pas la touche " répondre à tous" pour rédiger le message litigieux, le limitant au seul Didier J. ; le double objet de ce message était encore illustré par la différence du ton utilisé pour chacune des deux parties; enfin, Didier J. rapportait au juge d'instruction ses réticences pour remettre à son supérieur copie du courriel.
En quatrième lieu, il était opposé au prévenu qui avançait le caractère indissociable des deux parties du message litigieux, le fait qu'il avait demandé cette copie, parce qu'il en connaissait déjà le contenu, et que son intérêt n'était donc pas motivé par la partie strictement professionnelle et utilitaire de l'envoi.
Le tribunal considérait encore que le fait de verser le document au dossier administratif d'un agent constitue bien une révélation au sens du texte précité; que le fait de lui donner cette destination contre la volonté des deux correspondants constitue bien l'élément intentionnel de l'infraction.
Chacune des parties reprenait devant la Cour la même argumentation. La partie civile sollicitait dans ses écritures, et reprenait à l'audience une demande au titre de l'article 475-1 du Code de Procédure Pénale d'un montant de 1500 euros. Le prévenu posait encore la question de l'applicabilité à l'espèce du texte visé par la prévention, dans la mesure ou la protection qu'il offre ne concernait que la période séparant l'envoi de la correspondance de sa réception.
SUR CE,
Considérant que, même si le point ne donnait pas lieu à débat, il était opportun que le premier juge relève que les faits de la cause était imputés à une personne investie d'une mission de service public, dans l'exercice de celle-ci;
Considérant que la Cour fera encore sienne la définition de la correspondance proposée par le tribunal ; définition applicable à toutes formes - matérielle ou immatérielle - de correspondance;
Considérant que n'ont pas été abordés en première instance le temps et la place de la protection offerte par l'article 432-9 du code pénal ; qu'en effet les notions de détournement, suppression ou ouverture de correspondance supposent une intervention de l'auteur de l'interception pendant le délai et le parcours de transmission de la correspondance de son expéditeur à son destinataire; qu'un tel geste suppose encore une clandestinité de l'action et une indifférence à la nature de la correspondance, dont le contenu n'est pas encore connu, l'interception étant effectuée en raison de la seule qualité ou identité des correspondants;
Considérant qu'à l'évidence l'hypothèse susdécrite n'intéresse pas les faits de la cause, s'agissant d'un courrier obtenu en copie auprès du destinataire, au vu et au su de celui-ci; qu'en conséquence, le seul des éléments constitutifs alternatifs de l'article 432-9 du code pénal qui puisse intéresser le cas d'espèce est celui de la révélation de correspondance ;
Considérant à ce titre, que le prévenu ne peut utilement opposer le caractère confidentiel du dossier dans lequel la pièce litigieuse à été déposée ; qu'en effet, la confidentialité signifie seulement que ce dossier n'est accessible qu'à un nombre déterminé de personnes habilitées ; que cette limite dépasse néanmoins la relation bilatérale d'origine des correspondants, qui n'ont pas la possibilité de contrôler ni les conditions de la prise de connaissance de leur échange, ni la qualité des personnes qui y auront accès; que, quelque soit son ampleur, il y a donc bien révélation;
Considérant qu'il convient dès lors de prendre en compte la nature de la correspondance révélée; qu'il n'est en premier lieu, pas indifférent de relever que, par opposition à ce qui a été dit du détournement de correspondance, cette révélation est intervenue en raison même du contenu du courriel en cause;
Considérant en deuxième lieu que ce document a été rédigé et saisi sur un site professionnel non réglementé ; qu'ainsi il est a priori de caractère professionnel, sauf à ce que son contenu intéresse de manière évidente la vie privée de son auteur dans les aspects que la loi protège de manière privilégiée, à savoir la santé, le patrimoine et la vie affective ou sexuelle; que tel n'est pas en l'espèce le cas;
Considérant en troisième lieu que le caractère mixte de ce courriel s'analyse comme suit: d'une part il exprime des opinions personnelles du rédacteur relatives à l'organisation du service auquel il appartient, d'autre part ce même rédacteur répond de façon strictement pratique à une sollicitation du destinataire concernant le fonctionnement matériel de ce même service ;
Considérant que ce dernier objet apparaît comme le prétexte du premier ; qu'ainsi, indépendamment du ton employé et de la restriction d'une réponse faite au seul expéditeur d'un message général, la correspondance litigieuse est bien d'essence professionnelle;
Considérant enfin que les éléments constitutifs de l'infraction visée à la prévention ne sont donc pas réunis; que la Cour constate qu'aucune autre infraction ne peut être constituée par les faits dénoncés; que notamment les éléments de fraude ou de mauvaise foi dont dispose l'article 226-15 du code pénal ne sont établis; qu'il convient en conséquence de renvoyer le prévenu des fins de la poursuite et de débouter la partie civile de ses demandes indemnitaires.
LACOUR,
Après en avoir délibéré conformément à la loi,
Statuant publiquement, par arrêt contradictoire à l'égard de S. Gilles et à l'égard de V. Thierry
EN LA FORME
Reçoit les appels,
AU FOND
Infirmant le jugement du 17 juillet 2008,
Prononce la relaxe de Gilles S.,
Déboute Thierry V. de sa constitution de partie civile.