La cour de cassation précise en l'espèce un cas où l'erreur de diagnostic peut être retenue comme une faute engageant la responsabilité du médecin qui en est l'auteur : le praticien s'est abstenu de faire effectuer un examen de routine indispensable, entraînant un retard de plusieurs mois dans le traitement d'un cancer qui a causé le décès du patient. Les juges retiennent que "si l'erreur de diagnostic ne saurait constituer une faute lorsqu'elle s'explique par la complexité des symptômes et la difficulté de leur constatation ou interprétation, en revanche le diagnostic rendu impossible par des négligences, notamment par l'omission d'un examen de routine, est constitutif d'une faute en relation de causalité avec le préjudice subi, consistant en un retard au diagnostic et en une perte de chance d'un traitement conservateur". Toutefois, cette faute n'est à l'origine que d'une perte de chance, "que la cour d'appel a souverainement évaluée à 40% du préjudice total".
LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE.
Formation restreinte.
30 septembre 2010
Pourvoi n° 09-68.372.
Arrêt n° 808.
Cassation partielle sans renvoi
Statuant sur le pourvoi formé par :
1°/ la société La Médicale de France, société anonyme, dont le siège est [...],
2°/ M. Pierre-Marie X..., domicilié [...],
contre l'arrêt rendu le 26 mars 2009 par la cour d'appel de Versailles (3e chambre), dans le litige les opposant :
1°/ à Mme Juliette Y...,
2°/ à Mme Michelle Z..., veuve Y...,
3°/ à M. Vincent Y..., domiciliés [...], agissant tous tant en leur nom personnel qu’en leur qualité d’héritiers de Alain Y...,
4°/ à la caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) des Yvelines, dont le siège est [...], défendeurs à la cassation ;
Les demandeurs invoquent, à l'appui de leur pourvoi, les trois moyens de cassation annexés au présent arrêt ;
Moyens produits par la SCP Richard, avocat de la société La Médicale de France et de M. X...
PREMIER MOYEN DE CASSATION
IL EST FAIT GRIEF à l’arrêt attaqué d’avoir dit que l’absence de cystoscopie dans le bilan diagnostic de Monsieur Alain Y..., patient tabagique à fort risque tumoral, présentant une hématurie inexpliquée et récurrente, constituait un manque de précaution, de la part du Docteur Pierre-Marie X..., praticien qualifié en cancérologie urologique, d’avoir décidé que le préjudice subi par Monsieur A... s’analyse en une perte de chance d’éviter les conséquences d’un retard de diagnostic, d’avoir fixé le taux de cette perte de chance à 40 % du préjudice total et d’avoir condamné le Docteur X..., ainsi que son assureur, la MÉDICALE DE FRANCE, à indemniser de leurs préjudices les consorts Y..., agissant tant en leurs noms personnels qu’en leur qualité d’héritiers de Monsieur Alain Y..., ainsi que de les avoir condamnés à rembourser à la Caisse primaire d’assurance maladie des Yvelines le montant de ses débours ;
AUX MOTIFS QUE les premiers juges ont rappelé à bon droit que l'obligation pesant sur le médecin à l'égard de son patient est celle de lui donner des soins attentifs, consciencieux et conformes aux données acquises de la science, tel en outre suivant les dispositions de l'article 33 du code de déontologie médicale , en s'aidant dans toute la mesure du possible de toutes les méthodes scientifiques les mieux adaptées ; que les premiers juges, rappelant la chronologie des examens cliniques à la lumière des pièces médicales et du rapport d'expertise judiciaire, ont dit qu'il ne peut être fait grief au Docteur Pierre-Marie X... de ne pas avoir pratiqué une cystoscopie plus précoce et notamment dès le mois d'avril 2003 avant de s'orienter vers une pathologie d'origine non tumorale, que la tumeur affectant le patient, plane de 2 cm de diamètre, était difficile à détecter par le biais de cet examen, qui est invasif et que les autres examens pratiqués ne révélaient pas d'anomalie vésicale ; qu'une erreur de diagnostic n'est pas constitutive d'une faute lorsque le médecin, qui n'est tenu que d'une obligation de moyens, a agi conformément aux données acquises de la science ; que de même, ne commet pas de faute, le médecin qui ne peut poser le diagnostic exact lorsque les symptômes rendent ce diagnostic particulièrement difficile à établir ; qu'en l'espèce, il ressort du rapport d'expertise judiciaire que le diagnostic de la pathologie du cancer de la vessie, était difficile à établir au premier trimestre 2003, du fait que les examens réalisés en mars 2003 étaient normaux : examen de l'abdomen (ASP), échographie rénale, urographie intra-veineuse, scanner abdominal et pelvien, examens qui ne signalent que «des kystes rénaux banaux, une mauvaise visualisation d'une tige calicielle supérieure droite, une minime calcification vésicale droite évoquant un éventuel calcul juxta-méatique», de même que la cytologie urinaire effectuée en avril 2003 était négative et ne signalait pas de lésion tumorale ; que si l'erreur de diagnostic ne saurait constituer une faute lorsqu'elle s'explique par la complexité des symptômes et la difficulté de leur constatation ou interprétation, comme en l'espèce, en revanche, le diagnostic rendu impossible par des négligences, notamment par omission d'un examen de routine, est constitutif d'une faute en relation de causalité avec le préjudice subi, consistant en un retard au diagnostic et en une perte de chance d'un traitement conservateur ; que dans le présent cas, l'expert judiciaire a affirmé, sans être contredit, que la cystoscopie était un examen de routine (p. 7), indispensable surtout chez un patient tabagique, précisant même que «une hématurie chez un tabagique doit faire évoquer une éventuelle tumeur jusqu'à preuve du contraire» (rapp. p. 10 et 13) ; qu'il est constant que M. Alain Y..., patient fumeur (deux paquets par jour depuis 30 ans), présentait un terrain à haut risque cancérologique ; que le 5 mai 2003, le Docteur Pierre-Marie X... adressait un courrier au médecin traitant de M. Alain Y..., le Docteur B..., indiquant : «J'ai exploré ton patient Alain Y..., 50 ans, d'une hématurie totale inexpliquée avec lombalgie droite et brûlures urinaires persistantes. Il existe également une dysurie et une impériosité évoquant des troubles prostatiques. Les explorations complètes permettent d'éliminer une tumeur rénale ou vésicale et une lithiase. La seule anomalie est la présence d'oxalate de calcium dans les urines avec un pH urinaire à 5. Je lui propose un traitement alpha bloquant, OMIX, la prise de Vichy Célestin et des boissons abondantes. Je le reverrai dans trois mois avec échographie vésicale et frottis urinaire» ; que le 25 septembre 2003, le Docteur C..., chef du service de néphrologie à l'hôpital Foch de Suresnes, adressait un courrier au médecin traitant de M. Alain Y... et au Docteur Pierre-Marie X..., précisant : «Je n'ai pas explication à vous proposer concernant ces épisodes d'hématurie. Le diagnostic d'une néphropathie glomérulaire du type maladie de Berger paraît très peu probable, compte tenu de l'absence de facteur déclenchant clair, de la présence de caillots et des signes urinaires associés. Je pense donc qu'il n'y a pas lieu de pousser plus loin les explorations strictement néphrologiques. Je rassure dans l'ensemble M. Y... en lui expliquant que les pathologies "ennuyeuses" ont été écartées par les explorations précédentes. Je lui conseille de consulter à nouveau M. X... qui pourrait peut-être lui faire bénéficier d'une cystoscopie en particulier en phase hématurique» ; que le Docteur Pierre-Marie X... ne pouvait considérer que les explorations étaient complètes, alors que la cystoscopie, examen clé n'avait pas été effectuée et que le diagnostic posé de «lithiase méatique droite» n'était que «probable» (compte-rendu opératoire du 19 décembre 2003) ; que par voie de conséquence, il convient de juger que l'omission de la cystoscopie, examen de référence pour le diagnostic et la surveillance des tumeurs vésicales, alors que l'hématurie chez le tabagique qu'était M. Alain Y..., restait inexpliquée et récurrente (récidive le 26 juin 2003) et devait faire évoquer une éventuelle tumeur jusqu'à preuve du contraire, constitue un manque de précaution fautif, pour le Docteur Pierre-Marie X..., praticien qualifié en cancérologie urologique ; que l'indemnisation de la victime et de ses ayants droit, s'analyse en une perte de chance, d'un diagnostic plus précoce, et d'un traitement conservateur, du fait que l'examen de cystoscopie n'a été effectué que huit mois après les premiers signes cliniques ; qu'en effet, l'expert judiciaire souligne que néanmoins, la symptomatologie clinique (rassurante), l'aspect particulier de la tumeur (fort potentiel agressif), doivent pondérer ce dossier, que rien ne permet d'affirmer que la tumeur plane de 2 cm aurait pu être visible ou repérée huit mois auparavant, soit en avril 2003, qu'un diagnostic plus précoce aurait probablement pu permettre une vessie de remplacement et améliorer le pronostic, qu'il n'est néanmoins pas certain qu'une cystoscopie faite plus tôt aurait visualisé une tumeur qui s'étendait en profondeur, que cet examen, fait dans les premiers mois, aurait pu être considéré comme faussement normal ; que le Docteur D..., urologue, consulté par le Docteur Pierre-Marie X..., a émis le même avis le 16 septembre 2007 en précisant : «Il n'est pas certain que si le diagnostic avait été porté plus tôt, c'est-à-dire en mars ou avril 2003, le traitement n'aurait pas finalement été le même et avec les mêmes complications et la même évolution défavorable» ; que la tumeur de la vessie découverte chez M. Alain Y... présentait un haut grade histologique ; qu'en effet, les examens de cythologie pratiqués le 8 janvier 2004 ont mis en évidence «l'existence d'un carcinome urothélial de haut grade G3 envahissant la musculeuse» ; qu'il est établi dans la littérature médicale produite aux débats que ce type de tumeur, particulièrement invasive, nécessite un traitement lourd, qui n'offre qu'un faible pourcentage de chance de guérison au patient ; que dès lors, compte tenu de l'incertitude qui pesait sur les chances de découvrir la tumeur par la réalisation d'une cystoscopie en avril 2003 et de la nature agressive et hautement évolutive de la tumeur, il y a lieu de fixer le taux de cette perte de chance à 40 % du préjudice total ;
1°) ALORS QU’en se bornant, pour décider que le Docteur X... avait commis une faute en s’abstenant de prescrire plus tôt une cystoscopie, à affirmer qu’il s’agit d’un examen de routine qui s’imposait chez un patient tabagique, au regard des symptômes présentés, sans rechercher, comme elle y était invitée, si le Docteur X... avait pu légitimement considérer que cet examen n’était pas utile au regard du fait, d’une part, que les résultats de tous les examens antérieurement prescrits n’avaient fait apparaître aucune anomalie et, d’autre part, que la cystoscopie est un examen invasif, réalisé sous anesthésie générale et qui, en conséquence, présente un certain risque, de sorte qu’il ne pouvait être prescrit à défaut d’utilité certaine, la Cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard de l’article L. 1142-1, I, alinéa 1er, du Code de la santé publique ;
2°) ALORS QUE la responsabilité du médecin n’est engagée que s’il existe un lien de causalité certain entre le fait qui lui est reproché et le dommage dont il est demandé réparation, quand bien même ce dommage serait constitué par une perte de chance ; qu’en décidant néanmoins que la responsabilité du Docteur X... était engagée au titre d’une perte de chance, pour ne pas avoir prescrit l’examen qui s’imposait, après avoir pourtant constaté qu’une « incertitude… pesait sur les chances de découvrir la tumeur par la réalisation » de cet examen, ce dont il résultait qu’il n’existait pas de lien de causalité certain entre la faute invoquée et la perte de chance dont il était demandé réparation, la Cour d’appel a violé L 1142-1, I, alinéa 1er, du Code de la santé publique.
DEUXIÈME MOYEN DE CASSATION (subsidiaire)
IL EST FAIT GRIEF à l’arrêt attaqué d’avoir condamné le Docteur Pierre-Marie X... et la Société LA MÉDICALE DE FRANCE à payer à la Caisse primaire d’assurance maladie des Yvelines la totalité des débours exposés au profit de Monsieur Alain Y..., bien qu’étant indéterminés ;
AUX MOTIFS QUE, compte tenu de l’incertitude qui pesait sur les chances de découvrir la tumeur par la réalisation d’une cystoscopie en avril 2003 et de la nature agressive et hautement évolutive de la tumeur, il y a lieu de fixer le taux de cette perte de chance à 40 % du préjudice total ; que concernant les dépenses de santé actuelles, la Caisse primaire d’assurance maladie des Yvelines a mentionné une créance pour mémoire ; que la demande des intimés tendant à dire et juger que la créance de la CPAM des Yvelines «s'imputera sur la fraction correspondant à l'indemnisation en termes de perte de chance, des préjudices soumis à recours», sera rejetée en l'absence de demande expresse de l'organisme social, étant rappelé que l'organisme social a précisé qu'il n'est pas en mesure de communiquer sa créance et que son préjudice n'est pas dissociable de l'ensemble des soins nécessités par la pathologie que présentait Monsieur Alain Y... ; que concernant les pertes de gains professionnels actuels, il convient de retenir la créance de la Caisse primaire d’assurance maladie pour mémoire ;
1°) ALORS QUE les prestations versées par la caisse de sécurité sociale à la victime doivent être déduites de l’indemnité à laquelle le tiers responsable est tenu envers la victime pour réparer les atteintes à son intégrité physique ; que la caisse, admise à poursuivre le remboursement des prestations versées par elle à du-concurrence de cette indemnité, doit, lorsqu’elle n’est pas constituée à l’instance, indiquer au président de la juridiction saisie le décompte des prestations versées à la victime et celles qu’elle envisage de lui faire servir ; qu’il en résulte que le juge ne peut condamner le tiers responsable à indemniser l’organisme social de ses débours, sans procéder à l’évaluation des prestations de cette dernière, dont il constate pourtant l’existence ; qu’en mettant à la charge du Docteur X... et de la MÉDICALE DE FRANCE la créance «pour mémoire» de la Caisse primaire d’assurance maladie des Yvelines, la Cour d’appel a violé les articles L. 1142-1, I, alinéa 1er, du Code de la santé publique et L. 376-1 du Code de la sécurité sociale ;
2°) ALORS QUE le recours de l’organisme social à l’encontre du tiers responsable s’exerce dans la double limite de l’indemnité mise à la charge du responsable et de la part de responsabilité qui incombe à celui-ci, notamment lorsque le préjudice est constitué par une perte de chance ; qu’en décidant de mettre à la charge du Docteur X... et de la MÉDICALE DE FRANCE l’intégralité des débours exposés par la Caisse primaire d’assurance maladie des Yvelines, après avoir pourtant estimé que le Docteur X... était uniquement responsable, non de la totalité du préjudice, mais d’une perte de chance évaluée à 40 % du préjudice total, la Cour d’appel a violé l’ article L. 376-1 du Code de la sécurité sociale , dans sa rédaction issue de la
loi n° 2006-1640 du 21 décembre 2006 .
TROISIÈME MOYEN DE CASSATION (également subsidiaire)
IL EST FAIT GRIEF à l’arrêt attaqué d’avoir condamné in solidum le Docteur Pierre-Marie X... et la Société MÉDICALE DE FRANCE à payer aux consorts Y..., ès qualités d’héritiers de leur père décédé, après abattement pour perte de chance de 40 %, les sommes de 8.000 € au titre du pretium doloris, 4.000 € au titre du préjudice d’agrément, 5.600 € au titre du préjudice esthétique et 6.000 € au titre du préjudice sexuel ;
AUX MOTIFS QUE s’agissant du pretium doloris, après abattement pour perte de chance de 40 % sur la somme de 20.000 €, le préjudice est évalué à 8.000 € ; que s’agissant du préjudice d’agrément, après abattement pour perte de chance de 40 % sur la somme de 10.000 €, le préjudice s’évalue à 4.000 € ; que concernant le préjudice esthétique, après abattement pour perte de chance de 40 % sur la somme de 14.000 €, le préjudice s’évalue à 5.600 € ; que pour le préjudice sexuel, après abattement pour perte de chance de 40 % sur la somme de 15.000 €, le préjudice s’évalue à 6.000 € ;
ALORS QUE les héritiers de la victime ne peuvent obtenir l’indemnisation des préjudices personnels qui auraient été subis par celle-ci pour la période postérieure à son décès, celui-ci serait-il consécutif à la faute justifiant la mise en oeuvre de l’action en responsabilité ; qu’en s’abstenant d’indiquer la période qu’elle a retenue pour fixer le montant des indemnités dues au titre des préjudices personnels subis par Monsieur Y..., la Cour d’appel, qui n’a pas mis la Cour de cassation en mesure de s’assurer qu’elle n’a pas alloué une indemnité au titre de la période postérieure au décès, a privé sa décision de base légale au regard de l’
article L. 1142-1 du Code de la santé publique .
Vu la communication faite au procureur général ;
LA COUR, en l'audience publique du 29 juin 2010, où étaient présents : M. Charruault, président, Mme Dreifuss-Netter, conseiller rapporteur, M. Bargue, conseiller, Mme Collet, greffier de chambre ;
Attendu qu’Alain Y... a consulté à plusieurs reprises, entre les mois de février et de novembre 2003 M. X..., médecin urologue, pour une hématurie urinaire persistante et des douleurs lombaires ; que plusieurs examens ont été réalisés mais n’ont pas permis à celui-ci d’établir un diagnostic ; qu’en décembre 2003, une cytologie suivie d’une biopsie ont révélé qu’Alain Y... était atteint d’un cancer de la vessie qui a nécessité une intervention et plusieurs chimiothérapies ; qu’Alain Y... et ses deux enfants, Juliette Y... et Vincent Y..., ont assigné en responsabilité M. X... et son assureur la société Médicale de France ainsi que la CPAM des Yvelines devant le tribunal de grande instance de Versailles ; qu’Alain Y... étant décédé en cours d’instance, ses enfants ont interjeté appel, tant en leur nom personnel qu’en qualité d’héritiers de ce dernier ;
Sur le premier moyen pris en ses deux branches :
Attendu que M. X... et la société Médicale de France font grief à l’arrêt attaqué d’avoir dit que l’absence de cytoscopie dans le bilan diagnostic d’Alain Y... constituait un manque de précaution de la part de M. X... et d’avoir décidé que le préjudice subi par Alain Y... constituait une perte de chance d’éviter les conséquences d’un retard de diagnostic, qu’elle a fixée à 40% du préjudice total, de les avoir condamnés à indemniser les consorts Y... et à rembourser à la CPAM des Yvelines le montant de ses débours, alors, selon le moyen :
1°/ qu’en se bornant, pour décider que M. X... avait commis une faute en s’abstenant de prescrire plutôt une cytoscopie, à affirmer qu’il s’agit d’un examen de routine qui s’imposait chez un patient tabagique, au regard des symptômes présentés, sans rechercher, comme elle y était invitée, si M. X... avait pu légitimement considérer que cet examen n’était pas utile au regard du fait, d’une part, que les résultats de tous les examens antérieurement prescrits n’avaient fait apparaître aucune anomalie et, d’autre part, que la cytoscopie est un examen invasif, réalisé sous anesthésie générale et qui, en conséquence, présente un certain risque, de sorte qu’il ne pouvait être prescrit à défaut d’utilité certaine, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard de l’article L. 1142-1, I, alinéa 1er, du code de la santé publique ;
2°/ que la responsabilité du médecin n’est engagée que s’il existe un lien de causalité certain entre le fait qui lui est reproché et le dommage dont il est demandé réparation, quand bien même ce dommage serait constitué par une perte de chance ; qu’en décidant néanmoins que la responsabilité de M. X... était engagée au titre d’une perte de chance, pour ne pas avoir prescrit l’examen qui s’imposait, après avoir pourtant constaté qu’une incertitude pesait sur les chances de découvrir la tumeur par la réalisation de cet examen, ce dont il résultait qu’il n’existait pas de lien de causalité certain entre la faute invoquée et la perte de chance dont il était demandé réparation, la cour d’appel a violé l’article L. 1142-1, I, alinéa 1er, du code de la santé publique ;
Mais attendu que la cour d’appel a retenu à juste titre que si l’erreur de diagnostic ne saurait constituer une faute lorsqu’elle s’explique par la complexité des symptômes et la difficulté de leur constatation ou interprétation, en revanche le diagnostic rendu impossible par des négligences, notamment par l’omission d’un examen de routine, est constitutif d’une faute en relation de causalité avec le préjudice subi, consistant en un retard au diagnostic et en une perte de chance d’un traitement conservateur ; qu’elle a constaté que, selon l’expert, la cytoscopie était un examen de routine indispensable surtout chez un patient tabagique, que M. X... avait considéré, dans un courrier au médecin traitant d’Alain Y..., qu’il avait procédé à des explorations complètes bien que la cytoscopie, examen-clé, n’eût pas été effectuée et que le diagnostic posé de «lithiase méatique droit» ne fût que «probable» ; qu’elle en a exactement déduit que l’omission de cet examen constituait un manque de précaution fautif et que, compte tenu de l’incertitude affectant la découverte de la tumeur s’il avait été effectué plus tôt, cette faute n’avait été à l’origine que d’une perte de chance, qu’elle a souverainement évaluée à 40% du préjudice total ; que le moyen n’est fondé en aucune de ses branches ;
Et sur le troisième moyen :
Attendu que les demandeurs font grief à l’arrêt de les avoir condamnés in solidum à payer aux consorts Y..., ès qualités d’héritiers de leur père décédé, les sommes de 8 000 euros au titre du pretium doloris, 4 000 euros au titre du préjudice d’agrément, 5 600 euros au titre du préjudice esthétique et 6 000 euros au titre du préjudice sexuel, alors que les héritiers de la victime ne peuvent obtenir l’indemnisation des préjudices personnels qui auraient été subis par celle-ci pour la période postérieure à son décès, celui-ci serait-il consécutif à la faute justifiant la mise en oeuvre de l’action en responsabilité ; qu’en s’abstenant d’indiquer la période qu’elle a retenue pour fixer le montant des indemnités dues au titre des préjudices personnels subis par Alain Y..., la cour d’appel, qui n’a pas mis la Cour de cassation en mesure de s’assurer qu’elle n’a pas alloué une indemnité au titre de la période postérieure au décès, a privé sa décision de base légale au regard de l’ article L. 1142-1 du code de la santé publique ;
Mais attendu qu’il résulte de l’arrêt que la cour d’appel n’a pas indemnisé des préjudices personnels postérieurs au décès d’Alain Y... ; que le grief n’est pas fondé ;
Mais sur le deuxième moyen, pris en sa première branche :
Vu l’ article L. 376-1 du code de la sécurité sociale;
Attendu que les recours subrogatoires des caisses contre les tiers s'exercent poste par poste sur les seules indemnités qui réparent des préjudices qu'elles ont pris en charge, à l'exclusion des préjudices à caractère personnel ; qu’il en résulte que la juridiction saisie doit procéder à l’évaluation de la créance objet du recours, pour la déduire, le cas échéant, de l’indemnité attribuée à la victime ;
Attendu que la cour d’appel a condamné M. X... et son assureur à rembourser à la CPAM des Yvelines ses débours selon sa créance «pour mémoire» ;
Qu’en statuant ainsi, quand elle avait constaté que cette dernière, appelée en déclaration de jugement commun par les consorts Y..., n'était ni présente ni représentée à l'audience et qu’elle avait fait savoir qu’il ne lui était pas possible de chiffrer sa créance, laquelle intéressait des chefs de préjudice dont l'indemnisation n'était pas réclamée par les consorts Y..., la cour d’appel a violé le texte susvisé ;
Et attendu qu’il y a lieu de faire application de l’ article 627, alinéa 2, du code de procédure civile , la Cour étant en mesure de mettre fin au litige ;
PAR CES MOTIFS, et sans qu’il y ait lieu de statuer sur la seconde branche du deuxième moyen :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu’il a condamné in solidum M. X... et la société La Médicale de France à payer à la CPAM des Yvelines sa créance pour mémoire, au titre des préjudices patrimoniaux temporaires et au titre des préjudices patrimoniaux permanents subis par Alain Y..., l'
arrêt rendu le 26 mars 2009 , entre les parties, par la cour d'appel de Versailles ;
DIT n'y avoir lieu à renvoi ;
REJETTE la demande formée par la CPAM des Yvelines contre M. X... et la société La Médicale de France ;
Condamne la CPAM des Yvelines aux dépens ;
Vu l’ article 700 du code de procédure civile , rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du trente septembre deux mille dix.
Sur le rapport de Mme Dreifuss-Netter, conseiller, les observations de la SCP Richard, avocat de la société La Médicale de France et de M. X..., de Me de Nervo, avocat des consorts Y..., les conclusions écrites de M. Mellottée, premier avocat général, telles qu’elles figurent sur son rôle d’audience, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;
M. CHARRUAULT, président.