Cour de cassation
chambre criminelle
Audience publique du mercredi 30 janvier 2013
N° de pourvoi: 11-88847
Non publié au bulletin Rejet
M. Louvel (président), président
SCP Gatineau et Fattaccini, SCP Lesourd, SCP Piwnica et Molinié, avocat(s)
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
Statuant sur le pourvoi formé par :
- M. X...,
contre l'arrêt de la cour d'appel de CAEN, chambre correctionnelle, en date du 23 novembre 2011, qui, pour escroquerie et exercice illégal de la médecine, l'a condamné à un an d'emprisonnement avec sursis et mise à l'épreuve, six mois d'interdiction professionnelle et a prononcé sur les intérêts civils ;
Vu les mémoires produits en demande et en défense ;
Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 6 de la Convention européenne des droits de l'homme, 313-1 et 313-7 du code pénal, 591 et 593 du code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ;
" en ce que l'arrêt attaqué a déclaré M. X...coupable d'escroquerie, en répression l'a condamné à une peine de un an d'emprisonnement avec sursis mise à l'épreuve et d'interdiction d'exercer, pendant une durée de six mois, l'activité de kinésithérapeute, et a prononcé sur les intérêts civils ;
" aux motifs qu'il résulte des éléments du dossier et des débats, que M. X...était (et est toujours) kinésithérapeute à …, précision apportée qu'il n'a pas de cabinet et travaille uniquement au domicile de ses clients ; que sa clientèle est donc composée, essentiellement, de personnes âgées, dépendantes et parfois très fragilisée ; que la dépendance est confirmée par le fait que le prévenu se chargeait de toutes les démarches pour ses patients et, notamment, la demande d'entente préalable adressée aux caisses d'assurance sociale ; qu'au début de l'année 2008, trois caisses (la Caisse primaire d'assurance de la Manche, le Régime social des Indépendants de Basse-Normandie et la Mutualité sociale agricole des Côtes Normandes) ont saisi le Procureur de la République de Cherbourg en expliquant qu'une parente d'une patiente s'était étonnée de la différence entre le relevé de prestations servies par X...(et à lui payées) et la réalité des actes effectués sur la malade ; qu'une enquête interne a montré que l'activité du prévenu, mesurée à partir du chiffre d'affaires, excédait très largement la moyenne régionale des kinésithérapeutes (ainsi, pour 2006, 49. 693 coefficients AMK pour une moyenne de 16. 669 ; moyenne de 507. 07 AMK par patient au lieu de 60. 61) ; que l'enquête de gendarmerie a permis d'établir :- que partie des ordonnances adressées aux Caisses, par le prévenu, à l'appui des demandes d'entente préalables, étaient des faux ou des montages par photocopies ; que plusieurs médecins prescripteurs ont confirmé ne pas être les auteurs de ces ordonnances de prescriptions d'actes de kinésithérapie, certaines portant d'ailleurs des dates correspondant à une période où le médecin n'exerçait pas (cf. auditions des docteurs A..., B..., C..., D..., E..., F..., G..., H..., I..., J..., K..., L..., M..., O..., P..., Q..., R..., S...) ;- que pour les ordonnances falsifiées par usage d'une photocopie, toutes les photocopies présentaient, en bas à droite de la page, une tâche caractéristique, venant d'une trace ou imperfection sur la vitre ou le capot intérieur de la (même) photocopieuse utilisée ; que lors de la perquisition chez le prévenu, il a été trouvé une photocopieuse, à usage professionnel, reproduisant exactement la même tâche ;- que contrairement à l'argument essentiel du prévenu, les caisses acceptaient des demandes d'entente préalable accompagnées d'une photocopie de l'ordonnance de prescription et non de l'original ;- que les explications de M. X..., qui reconnaît la matérialité des fausses ordonnances mais soutient qu'il n'en est pas l'auteur, sont invraisemblables puisqu'il affirme qu'une personne voulant lui nuire a scanné le défaut produit par sa photocopieuse et l'a reproduit sur de fausses ordonnances envoyées aux caisses, juste pour lui nuire, et surtout parce que ces explications ne seraient valables que si le prévenu n'avait pas été réglé de ces actes faussement prescrits (et, pour certains, manifestement non réalisés). Or le prévenu a été payé de ces nombreux actes faussement prescrits et n'a pas réagi alors que le total des sommes perçues s'élève à plus de 76 000 euros pour la période de prévention ; qu'il est donc établi que M. X...a fabriqué et utilisé de fausses ordonnances de prescription ; qu'il a adressé ou fait adresser en pleine conscience (le prévenu a clairement mis hors de cause son épouse, à l'audience) ces fausses ordonnances à la Caisse primaire d'assurance Maladie de la Manche, à la MSA des Côtes Normandes et au RSI de Basse-Normandie, à l'appui de demandes d'ententes préalables ; qu'il a reçu paiement, par les caisses, des actes prescrits ; que la question de savoir si ces actes ont été ou non réalisés est sans incidence sur le délit puisque les manoeuvres frauduleuses (ci-dessus décrites) ont abouti, au moins, à l'obtention de paiements relatifs à des actes non médicalement prescrits, donc à des actes que le prévenu n'avait pas le droit de faire et pour lesquels il ne pouvait prétendre à une rémunération par les caisses sociales ; que ceci étant, à titre superfétatoire, il sera relevé que les rares patients qui ont pu s'expliquer (souvent par l'intermédiaire de parents) ont indiqué que les seules séances de kinésithérapie prescrites par leur médecin (c'est-à-dire celles pour lesquelles l'ordonnance n'a pas été falsifiée) ont été réalisées ; qu'il doit en être déduit que les autres actes, non médicalement prescrits, n'ont pas été réalisés, bien que payés au prévenu ; que le délit d'escroquerie est donc caractérisé ;
" 1°) alors que, l'escroquerie ne peut résulter que d'un acte positif ; qu'en retenant, pour déclarer M. X...coupable d'escroquerie, que celui-ci n'avait pas réagi lorsqu'il avait reçu paiement, par les caisses, des actes prescrits, quand cette abstention n'était pas de nature à caractériser une manoeuvre frauduleuse, la cour d'appel a privé sa décision de base légale ;
" 2°) alors qu'en déclarant X...coupable d'escroquerie pour avoir adressé ou fait adresser de fausses ordonnances aux caisses de sécurité sociale, sans relever d'élément extérieur y donnant force et crédit, la cour d'appel a privé sa décision de base légale ;
" 3°) alors que l'escroquerie est un délit intentionnel ; que la question de savoir, si les actes avaient été ou non réalisés, n'était donc pas sans incidence sur l'appréciation de la bonne foi ; qu'en décidant le contraire, la cour d'appel a méconnu les textes susvisés " ;
Sur le deuxième moyen de cassation, pris de la violation des articles 6 de la Convention européenne des droits de l'homme, L. 4161-1 du code de la santé publique, 591 et 593 du code de procédure pénale, défaut et contradiction de motifs, manque de base légale ;
" en ce que, l'arrêt attaqué a déclaré M. X...coupable d'exercice illégal de la médecine, en répression l'a condamné à peine de un an d'emprisonnement avec sursis mise à l'épreuve et d'interdiction d'exercer, pendant une durée de six mois, l'activité de kinésithérapeute, et a prononcé sur les intérêts civils ;
" aux motifs que, le délit d'escroquerie est donc caractérisé, comme le délit subséquent d'exercice illégal de la médecine ; qu'en effet, ce délit découle, automatiquement, de l'établissement de prescriptions médicales (peu important qu'il s'agisse de faux peut être jamais suivis d'effet autre que le paiement) pour des actes de kinésithérapie ;
" 1°) alors qu'ayant décidé que le délit d'exercice illégal de la médecine était caractérisé subséquemment au délit d'escroquerie, la cassation prononcée concernant l'escroquerie entraînera par voie de conséquence la censure de l'arrêt concernant l'exercice illégal de la médecine ;
" 2°) alors que, le fait, à le supposer établi, pour un kinésithérapeute, de falsifier une prescription médicale aux fins d'obtenir paiement d'une prestation par les caisses de sécurité sociale ne constitue pas un acte médical ; qu'en décidant, pour déclarer M. X...coupable d'exercice illégal de la médecine, que l'établissement de prescriptions médicales pour des actes de kinésithérapie, peu important qu'il s'agisse de faux peut être jamais suivis d'effets autres que le paiement, constituait l'élément matériel du délit d'exercice illégal de la médecine, la cour d'appel a méconnu les textes susvisés " ;
Les moyens étant réunis ;
Attendu que les énonciations de l'arrêt attaqué mettent la Cour de cassation en mesure de s'assurer que la cour d'appel a, sans insuffisance ni contradiction, répondu aux chefs péremptoires des conclusions dont elle était saisie et caractérisé en tous leurs éléments, tant matériels qu'intentionnel, les délits dont elle a déclaré le prévenu coupable ;
D'où il suit que les moyens, qui se bornent à remettre en question l'appréciation souveraine, par les juges du fond, des faits et circonstances de la cause, ainsi que des éléments de preuve contradictoirement débattus, ne sauraient être admis ;
Sur le troisième moyen de cassation, pris de la violation des articles 6, 7, 8 de la Convention européenne des droits de l'homme, 132-24, 132-30, 132-40, 313-1 et 313-7 du code pénal, L. 4161-1 et L. 4165-5 du code de la santé publique, 591 et 593 du code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ;
" en ce que, l'arrêt attaqué a condamné M. X...à une peine de un an d'emprisonnement mais dit qu'il sera sursis à l'exécution de cette peine et l'a placé sous le régime de la mise à l'épreuve pendant deux ans, avec comme obligation celle de réparer, en tout ou en partie, en fonction de ses facultés contributives, les dommages causés par l'infraction (article 132-45 5° du code pénal) et fait interdiction à M. X...d'exercer, pendant une durée de six mois, l'activité de kinésithérapeute, et a prononcé sur les intérêts civils ;
" aux motifs que, la peine doit tenir compte de la gravité des faits (au préjudice, finalement, de la collectivité des assurés sociaux), du recours à des artifices impliquant une population fragilisée (même si celle-ci n'est pas directement victime) et de l'absence évidente de prise de conscience du prévenu (qui continue à jouer le naïf outragé) ; que ces éléments doivent conduire au prononcé d'une peine d'emprisonnement d'une durée d'un an, assortie d'un sursis et mise à l'épreuve, pendant deux ans (le casier judiciaire interdisant un sursis simple) avec obligation de réparer, en tout ou partie, en fonction de ses facultés contributives, les dommages causés par l'infraction ; que par ailleurs, les faits délictueux étant en lien étroit avec l'activité professionnelle du prévenu (activité qui les a permis), il lui sera fait interdiction d'exercer, pendant six mois, l'activité de kinésithérapeute ;
" 1°) alors que la nature, le quantum et le régime des peines prononcées sont fixés de manière à concilier la protection effective de la société, la sanction du condamné et les intérêts de la victime avec la nécessité de favoriser l'insertion ou la réinsertion du condamné et de prévenir la commission de nouvelles infractions ; qu'en prononçant, tout à la fois, une peine d'emprisonnement assortie du sursis avec mise à l'épreuve pendant deux ans avec l'obligation de réparer les dommages causés par l'infraction et une peine d'interdiction d'exercer pendant six mois l'activité de kinésithérapeute, la cour d'appel qui a prononcé deux peines inconciliables a méconnu les textes susvisés ;
" 2°) alors qu'en énonçant, pour octroyer le bénéfice du sursis avec mise à l'épreuve, au lieu du sursis simple, prononcé par les premiers juges, que le casier judiciaire interdisait le sursis simple, sans préciser la nature et le montant des éventuelles condamnations antérieures, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision " ;
Attendu que, hormis les cas expressément prévus par la loi, les juges ne sont pas tenus de motiver spécialement le choix des sanctions qu'ils prononcent dans les limites légales, que tel est le cas en l'espèce ;
D'où il suit que le moyen doit être écarté ;
Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;
REJETTE le pourvoi ;
FIXE, sur le fondement de l'article 618-1 du code de procédure pénale :
- à 2 000 euros la somme que M. X...devra payer à la Caisse nationale du régime social des indépendants de Basse-Normandie ;
- à 2 000 euros la somme globale que M. X...devra payer à la Caisse primaire d'assurance maladie de La Manche et à la Mutualité sociale agricole des côtes normandes ;
Ainsi jugé et prononcé par la Cour de cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ;
Etaient présents aux débats et au délibéré, dans la formation prévue à l'article 567-1-1 du code de procédure pénale : M. Louvel président, Mme Moreau conseiller rapporteur, M. Dulin conseiller de la chambre ;
Greffier de chambre : Mme Leprey ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;