Le juge du droit s’est prononcé sur l’étendue de l’indemnisation d’un preneur à bail commercial évincé alors qu’il a, en cours de bail à construction et avec l’accord du bailleur, édifié une construction sur un terrain loué nu. En l’espèce, le bail commercial comportait une clause aux termes de laquelle la construction faisait accession au bailleur en fin de jouissance, sans indemnité. Nonobstant les dispositions de l’article L. 145-14 du code de commerce, la Cour de Cassation constate qu’en application de la clause d’accession, le locataire a régulièrement été évincé d’un terrain nu.
Cour de cassation
chambre civile 3
Audience publique du mercredi 21 mai 2014
N° de pourvoi: 13-10257
Publié au bulletin Cassation partielle
M. Terrier (président), président
Me Haas, SCP Boulloche, avocat(s)
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le second moyen :
Vu l'article 1134 du code civil, ensemble l'article L. 145-14 du code de commerce ;
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 5 octobre 2012), que par acte du 1er mars 1990, la société X. a consenti à la société Y. un bail commercial portant sur un terrain sur lequel le preneur s'engageait à construire un bâtiment devant accéder au bailleur sans indemnité en fin de jouissance ; que par acte du 22 avril 1999, la société X. a refusé la demande de renouvellement de bail formée le 3 mars précédent par la société Y. sans offrir d'indemnité d'éviction ; que celle-ci l'a alors assignée notamment en paiement d'une telle indemnité ;
Attendu que pour fixer l'indemnité revenant à la société Y., l'arrêt retient que celle-ci a pu transférer son fonds mais a dû construire un nouveau bâtiment pour exercer son activité dont elle demandait le coût au titre des frais de réinstallation, que la clause du bail prévoyant que les constructions effectuées sur le terrain de la société X. reviendrait à cette dernière sans indemnité à la libération dudit terrain était inopérante pour écarter la demande du locataire qui ne se fondait pas sur l'indemnisation du bâtiment abandonné mais sur le coût imposé pour en construire un autre sur le nouveau terrain, que la nouvelle location conclue par la société Y. stipulait comme le bail conclu avec la société X. une obligation de construire, qu'il fallait comparer le local commercial délaissé avec bâtiment, et non un terrain nu, avec la nouvelle location et que l'édification d'un nouveau bâtiment pour exercer son activité donnait donc droit à indemnisation à la société Y. ;
Qu'en statuant ainsi, alors que le refus de renouvellement avait mis fin au bail et permis au bailleur d'accéder aux constructions sans indemnité, ce dont il résultait que le preneur avait été évincé d'un terrain sans bâtiment, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;
Et attendu qu'il n'y a pas lieu de statuer sur le premier moyen qui ne serait pas de nature à permettre l'admission du pourvoi ;
PAR CES MOTIFS :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il a fixé l'indemnité d'éviction due par la société X. à la société Y. à la somme de 920 318,25 euros, avec intérêts à compter du prononcé de la décision, l'arrêt rendu le 5 octobre 2012, entre les parties, par la cour d'appel d'Aix-en-Provence ; remet, en conséquence, sur ce point, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel d'Aix-en-Provence, autrement composée ;
Condamne la société Y. aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, condamne la société Y. à payer à la société X.la somme de 3 000 euros ; rejette sa demande ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt et un mai deux mille quatorze, signé par M. Terrier, président, et par Mme Berdeaux, greffier de chambre, qui a assisté au prononcé de l'arrêt.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt
Moyens produits par Me Haas, avocat aux Conseils, pour la société X.
PREMIER MOYEN DE CASSATION
Il est fait grief à l'arrêt attaqué D'AVOIR débouté la société X.de ses demandes dirigées contre les décisions du juge de la mise en état des 21 janvier et 18 mars 2010 et D'AVOIR fixé l'indemnité d'éviction due par la société X. à la société Y. à la somme de 920.318,25 euros, avec intérêts à compter du prononcé de la décision.
AUX MOTIFS QUE l'ordonnance du 21 janvier 2010 a révoqué l'ordonnance de clôture du 10 décembre 2009 ; que cette révocation s'avère fondée ; qu'en effet, rien n'établit que la société Y. avait eu connaissance de la date à laquelle cette ordonnance devait intervenir, l'avis du juge de la mise en état du 24 septembre 2009 indiquant seulement que l'affaire est renvoyée pour nouvel examen de la procédure au 10 décembre 2009 pour conclusions de la SCP (avocat de la société X.) ; qu'en l'absence d'avis de clôture et de conclusions de la société Y. établissant que l'affaire était en l'état, l'ordonnance de clôture ne pouvait intervenir et sa révocation s'imposait ; que l'ordonnance du 21 janvier 2010 ne prévoit aucune date pour une nouvelle clôture de l'instruction de l'affaire ; que l'ordonnance du 18 mars 2010 révoque de nouveau l'ordonnance de clôture du 10 décembre 2009 alors que cette ordonnance était déjà révoquée et n'a de ce chef aucune portée ; qu'elle clôture l'affaire ; qu'ainsi toutes les écritures déposées devant le premier juge étaient recevables et celui-ci pouvait statuer sur les prétentions chiffrées de la société Y. ; qu'au surplus admettre une irrégularité de la procédure en première instance ne priverait pas la société Y. de son droit à présenter une demande chiffrée en appel ; qu'en effet, le premier juge , par un jugement du 7 novembre 2002, confirmé par un arrêt du 28 septembre 2006, avait retenu le droit de la société Y. à une indemnité d'éviction et que ne constitue pas une demande nouvelle prohibée par l'article 564 du code de procédure civile, le chiffrage d'une demande formulée en première instance car elle en est le complément ;
ALORS, 1°), QU'une ordonnance portant rabat de l'ordonnance de clôture doit être motivée ; qu'en ne répondant pas au moyen de l'absence de motivation de l'ordonnance du 21 janvier 2010, la cour d'appel n'a pas satisfait aux exigences de l'article 455 du code de procédure civile ;
ALORS, 2°), QUE l'ordonnance de clôture ne peut être révoquée que s'il se révèle une cause grave depuis qu'elle a été rendue ; qu'en considérant que l'ordonnance de clôture du 10 décembre 2009 avait pu être légalement révoquée par l'ordonnance du 21 janvier 2010 sans constater l'existence d'une cause grave survenue entre ces deux dates, la cour d'appel a violé l'article 784 du code de procédure civile ;
ALORS, 3°), QU'en ne recherchant pas, ainsi qu'elle était invitée, si la clôture de l'instruction n'était pas justifiée du fait qu'elle était intervenue, le 10 décembre 2009, à raison de la carence de la société Y. à produire ses conclusions en dépit de l'injonction qui lui avait été adressée en ce sens par une ordonnance du juge de la mise en état du 28 mai 2009, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision au regard des articles 16, 783 et 784 du code de procédure civile ;
ALORS, 4°), QU'en l'état d'une décision mixte constatant le droit du locataire évincé au paiement d'une indemnité d'éviction et ordonnant une expertise en vue d'en déterminer le montant, il appartient au preneur de faire connaître, avant la clôture de l'instruction, le montant des sommes qu'il revendique ; que la demande chiffrée formulée en ce sens pour la première fois en appel est nouvelle ; qu'en décidant le contraire, la cour d'appel a violé l'article 564 du code de procédure civile.
SECOND MOYEN DE CASSATION
Il est fait grief à l'arrêt attaqué D'AVOIR fixé l'indemnité d'éviction due par la société X. à la société Y. à la somme de 920.318,25 euros, avec intérêts à compter du prononcé de la décision ;
AUX MOTIFS QUE la société Y. reconnaît avoir pu déplacer son fonds et conserver la majeure partie de sa clientèle ; que, sur l'indemnité de remploi, l'indemnité de remploi indemnise le preneur des frais et droits de mutation à payer pour l'acquisition d'un fonds de même valeur ou d'un droit au bail équivalent ; que la société Y. réclame la somme de 3.192,50 euros, montant des frais de rédaction du bail à construire relatif au nouveau terrain sur lequel elle s'est installée et la somme de 25.153 euros représentant la taxe locale d'équipement ; que les frais de rédaction d'acte se trouvent justifiés ; que la société Y. établit également qu'elle a dû verser au titre de la taxe locale d'équipement générée par la construction qu'elle a édifiée sur le terrain où elle a déplacé son fonds la somme de 25.153 euros ; que contrairement à ce que soutient son adversaire, il importe peu que cette construction ait été réalisée dans le cadre d'un bail à construire, l'assujetti à cette taxe étant le titulaire du permis de construire et son titre d'occupation important peu ; que la taxe locale d'équipement constitue un frais de remploi ; qu'ainsi, le montant des frais de remploi s'élève à la somme de 28.345,50 euros ; que, sur les frais de déménagement, la société Y. réclame la somme de 61.929,39 euros qu'elle ventile en 37.103,77 euros pour les dépenses effectuées et de 24.825,62 euros représentant le salaire de sept de ses salariés affectés au mois de décembre 2010 à ce transfèrement du matériel et autres meubles de l'ancien local au nouveau ; que le coût de cette main d'oeuvre ne ressort que d'une lettre établie par elle-même au commissaire aux compte insuffisante à démontrer une charge de ce montant ; que l'évaluation de ces frais de déménagement à la somme de 60.000 euros doit être confirmée ; que, sur les frais normaux de réinstallation, les frais normaux d'installation du locataire évincé dans ses nouveaux locaux y compris ceux nécessités pour l'aménagement de ceux-ci à son activité ouvrent droit à indemnisation ; que la société Y. expose qu'elle a dû faire construire un nouveau bâtiment pour exercer son activité d'un coût de 1.645.607 euros ; que pour rejeter sa demande de ce chef, le premier juge s'est fondé sur la clause du bail prévoyant que les constructions effectuées sur le terrain de la société X. donné en location lui reviendrait sans indemnité à la libération dudit terrain ; que la demande du locataire ne se fonde pas sur l'indemnisation du bâtiment abandonné mais sur le coût imposé pour en construire un autre sur le nouveau terrain ; que ce motif du rejet de l'indemnisation pour frais normaux de réinstallation est inopérant ; que le bail liant la société X.et la société Y. imposait à celle-ci de construire un bâtiment d'environ 1.200 m² ; qu'ainsi, cette édification ressort d'une obligation du bail et non pas d'un choix du seul preneur ; que la nouvelle location conclue le 17 janvier 2002 stipule également une obligation de construire, étant précisé qu'elle ne constitue pas un bail commercial mais un bail à construction d'une durée de 20 ans ; que les frais de réinstallation doivent prendre en compte l'obligation où se trouve la société Y. pour se réinstaller d'édifier un immeuble équivalent à celui qu'elle occupait ; que contrairement à ce que soutient la société X., il ne convient pas de comparer le terrain nu avec obligation de construire qu'elle a donné à bail à la société Y. le 1er mars 1990 avec le terrain nu pris en location avec aussi obligation de construire par celle-ci le 17 janvier 2002 mais le local commercial délaissé avec bâtiment avec la nouvelle location ; qu'ainsi, l'édification d'un nouveau bâtiment pour exercer son activité donne droit à indemnisation à la société Y. ; que cependant, la somme de 1.645.607 euros réclamée ne peut être allouée pour ce montant ; qu'en effet, l'expertise judiciaire montre que la valeur neuve du bâtiment édifié sur le terrain de la société X. était de 975.000 euros ; que la différence de prix établit que la nouvelle construction ne correspond pas à l'ancienne et s'avère soit en importance soit en aménagement d'un niveau supérieur ; qu'ensuite, l'ancienne construction édifiée entre 1992 et 1996 présentait une certaine vétusté qui aurait occasionné des frais d'entretien supérieurs à ceux du nouveau bâtiment ; qu'en raison de ces considérations, il convient d'évaluer l'indemnité de réinstallation à la somme de 750.000 euros ;
ALORS, 1°), QUE l'indemnité d'éviction comprend notamment la valeur marchande du fonds de commerce, déterminée selon les usages de la profession, augmentée éventuellement des frais normaux de déménagement et de réinstallation, ainsi que les frais et droits de mutation à payer pour un fonds de même valeur, sauf dans le cas où le propriétaire fait la preuve que le préjudice est moindre ; que, dans ses conclusions d'appel, la société X. faisait valoir que le montant de la taxe locale d'équipement était déterminé en fonction de la nature des construction réalisées et qu'en l'espèce, la construction nouvelle édifiée par la société Y. n'était pas de même valeur que celles édifiées sur son terrain ; que la cour d'appel a elle-même constaté que la nouvelle construction ne correspondait pas à l'ancienne et s'avérait soit en importance, soit en aménagement d'un niveau supérieur ; qu'en octroyant néanmoins à la société Y. la somme de 25.153 euros à titre d'indemnité de remploi correspondant à la taxe locale d'équipement réglée par elle, la cour d'appel a violé l'article L. 145-14 du code de commerce, ensemble le principe de réparation intégrale du préjudice ;
ALORS, 2°), QUE seuls les frais normaux de déménagement et de réinstallation peuvent être pris en considération, dans l'évaluation du préjudice du locataire évincé ; qu'en octroyant à la société Y. la somme de 60.000 euros au titre des frais de déménagement, après avoir expressément retenu que sur la somme de 61.929,39 euros réclamée par la société locataire, la charge de la somme de 24.825,62 euros représentant le salaire de sept de ses salariés affectés au déménagement n'était pas établie, ce dont il résultait nécessairement qu'elle ne pouvait prétendre à une somme supérieure à 37.103,77 euros au titre des frais de déménagement, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé l'article L. 145-14 du code de commerce, ensemble le principe de la réparation intégrale du préjudice ;
ALORS, 3°), QU'aux termes de l'article 14 du bail liant les parties, « Les constructions édifiées par le preneur, et les aménagements qui y auront été effectuées, resteront la propriété du preneur pendant toute la durée du bail et de ses éventuels renouvellements. En fin de jouissance du Preneur, toutes les constructions édifiées deviendront la propriété du bailleur sans indemnité d'aucune sorte au Preneur et sans que cette accession ait besoin d'être constatée par acte. (¿) » ; que cette stipulation, qui valait renonciation du preneur à tout droit sur les construction édifiées, contractuellement réputées devenir la propriété du bailleur sans indemnité, s'opposait à ce que la construction que le preneur pourrait être tenu réaliser dans le cadre de sa réinstallation donne lieu à une indemnité à son profit ; que, dès lors, en considérant qu'il y avait lieu de prendre en considération le local commercial délaissé « avec bâtiment » pour en déduire que l'édification d'un nouveau bâtiment pour exercer devait donner lieu à indemnisation, la cour d'appel, qui a méconnu la loi des parties, a violé les articles 1134 du code civil et L. 145-14 du code de commerce ;
ALORS, 4°), QUE seuls les frais normaux de déménagement et de réinstallation peuvent être pris en considération, dans l'évaluation du préjudice du locataire évincé ; que le préjudice doit être évalué au regard du bien objet du bail ; qu'en l'espèce, par un acte sous seing privé du 1er mars 1990, la société X. a donné à bail à la société Y. un terrain nu sur lequel elle s'engagée à édifier, pour les besoins de son activité, une construction que la clause d'accession prévoyait d'attribuer à la société bailleresse à la fin du bail ; qu'en ne recherchant pas, ainsi qu'il lui était demandé, si, du fait de la clause d'accession, le refus de renouvellement du bail à son terme n'était pas sans incidence sur le coût imposé à la société Y. pour construire un nouveau bâtiment, de sorte qu'aucune indemnité de lui était due à ce titre, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision au regard de l'article L. 145-14 du code de commerce, ensemble le principe de réparation intégrale du préjudice.