En l’espèce, une patiente est décédée dans un établissement public de santé lors d’une cœlioscopie pratiquée par le gynécologue de l’hôpital assisté d’une interne. La Cour de cassation casse et annule en toutes ses dispositions l’arrêt par lequel la cour d’appel de Versailles a relaxé le médecin au motif qu’en se déterminant ainsi, sans rechercher si le prévenu, auquel il incombait de contrôler l’acte pratiqué par l’interne, n’avait pas commis une faute entretenant un lien direct de causalité avec la mort de la patiente, la cour d’appel n’a pas justifié sa décision. |
Cour de cassation
Chambre criminelle
Audience publique du mardi 10 février 2009
N° de pourvoi: 08-80679
Cassation
Publié au bulletin
M. Pelletier (président), président
Me Le Prado, SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat(s)
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
Statuant sur le pourvoi formé par :
- X... Jacques, agissant en son nom personnel et en qualité de représentant de ses enfants Yoann et Priscilla,
- X... Natacha,
- X... Sandra,
- Y... Christiane,
- Z... Erika,
- A... Cathy,
- A... Béatrice,
- A... Corinne,
- A... François,
- A... Jean-Charles,
- A... Julien, parties civiles,
contre l'arrêt de la cour d'appel de VERSAILLES, 8e chambre, en date du 5 décembre 2007, qui, après relaxe de Benoît B... du chef d'homicide involontaire, s'est déclarée incompétente pour connaître de leurs demandes en réparation ;
I- Sur le pourvoi en ce qu'il est formé par Christiane Y..., Erika Z... et les consorts A... :
Attendu qu'aucun moyen n'est produit ;
II- Sur le pourvoi en ce qu'il est formé par les consorts X...
Vu le mémoire produit ;
Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles 121-3 et 221-6 du code pénal, 460 et 513 du code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale ;
"en ce que l'arrêt attaqué a relaxé le docteur Benoît B... des fins de poursuite ;
"aux motifs que la mort de Françoise X... est due à une hémorragie secondaire à une plaie chirurgicale de l'aorte ; que l'incision cutanée pratiquée par l'interne sous le contrôle du docteur Benoît B..., premier geste de la coelioscopie, est responsable de la plaie vasculaire ; que l'aorte était directement sous la peau, que l'excès de pénétration de la pointe de la lame a pu facilement passer inaperçue ; que le saignement inhabituel constaté par le docteur Benoît B... a été attribué à la blessure d'un vaisseau pariétal ; qu'il avait la conviction que l'accident ne pouvait être d'origine chirurgicale ; qu'il a diagnostiqué l'hémorragie interne par plaie vasculaire après la reconnaissance de l'accident au bout de 25 minutes ; qu'il n'est pas possible d'affirmer qu'une reconnaissance plus précoce aurait permis de sauver Françoise X... qui a été immédiatement dans un état catastrophique ; que le retard du traitement lié à la découverte tardive de l'origine de l'accident constitue une perte de chance de survie de Françoise X... ; qu'il appartient à la cour d'apprécier l'existence d'une faute caractérisée du docteur Benoît B... qui exposait Françoise X... à un risque d'une particulière gravité qu'il ne pouvait ignorer ; que le docteur Benoît B..., alerté par le saignement inhabituel, par le signalement par une infirmière d'une chute brutale de CO2, relayée par l'anesthésiste, n'a pas réalisé immédiatement qu'il était en présence d'une hémorragie interne due à l'acte chirurgical pratiqué par son interne sous son contrôle ; qu'ainsi, il a tardé dans son diagnostic erroné au départ ; qu'il n'est pas établi que le docteur Benoît B..., bien que connaissant sa patiente, aurait dû penser que compte tenu de sa morphologie, l'aiguille ait pu atteindre l'aorte immédiatement sous la peau de l'abdomen ; que la complication exceptionnelle à laquelle il a été confronté, n'apparaissait pas dans la littérature consacrée aux complications et accident de coelioscopie lors de l'intervention, et ce même s'il avait en sa qualité d'étudiant, fait sa thèse sur les coelioscopies et qu'il avait depuis acquis une expérience de ces interventions ; qu'en outre, il a pu être rassuré par la mise en place d'un point trans-fixant au saignement qui a masqué l'hémorragie ; que dès lors, il n'est pas établi une faute pénale caractérisée ; que le retard de diagnostic et erroné dans un premier temps pouvant lui être reproché s'explique et ne peut être considéré comme fautif au regard des données de la connaissance médicale ;
"alors que, d'une part, ayant constaté que la patiente était décédée des suites d'une hémorragie que le prévenu avait tardé à diagnostiquer du fait de ses convictions personnelles erronées, qu'ayant en outre relevé que la cause du décès de la patiente était l'incision cutanée trop profonde réalisée par une étudiante en médecine effectuée au cours d'une opération réalisée à la demande et sous la responsabilité du docteur Benoît B... à qui il appartenait de contrôler ce geste, la cour d'appel aurait dû en déduire que la défaillance de son contrôle ajoutée à son retard de diagnostic avaient causé directement le décès et rechercher s'il avait accompli les diligences normales compte tenu de ses missions, de ses compétences et des moyens dont il disposait ; qu'en recherchant l'existence d'une faute caractérisée au lieu d'une faute simple, la cour d'appel n'a pas déduit les conséquences légales de ses constatations en violation des textes susvisés ;
"alors que, d'autre part, le juge correctionnel a le devoir de restituer aux faits dont il est saisi leur véritable qualification ; que les actes chirurgicaux maladroits sur un patient qui ont entraîné son décès, alors que son état n'aurait pas spontanément connu une évolution aussi tragique sont en lien de causalité directe avec la mort de celui-ci ; que la cour d'appel a retenu que le décès de la patiente, entrée en consultation pour de simples douleurs pelviennes et dont les jours n'étaient pas immédiatement en danger, est dû à une incision cutanée maladroite pratiquée pendant l'opération de la patiente, réalisée sans urgence sous le contrôle du docteur Benoît B... et qu'elle est décédée des suites d'une hémorragie qu'il a tardé à diagnostiquer ; qu'en l'état de ces énonciations d'où il résulte un lien de causalité directe entre les fautes du prévenu et le décès de la victime, la cour d'appel aurait dû requalifier les faits de la prévention et rechercher si le prévenu avait commis une faute simple et non une faute caractérisée ;
"alors que, également, la défaillance du docteur Benoît B... dans son devoir de contrôle relevé par la cour d'appel, sur un geste réalisé par une étudiante en médecine, à laquelle il avait confié le soin de réaliser une incision abdominale, correspond à une faute de négligence ; que le retard de diagnostic de l'hémorragie malgré l'alerte d'un saignement inhabituel et d'une chute de CO2, également constaté par la cour d'appel, correspond à une faute d'inattention ; qu'en tout état de cause, ayant constaté que le décès de la patiente était la conséquence exclusive certaine et directe d'une succession de fautes survenues lors de l'opération dont le docteur Benoît B..., particulièrement expérimenté en matière de coelioscopie, était l'initiateur, le responsable et le superviseur, la cour d'appel aurait dû en déduire qu'il avait commis des fautes qui, cumulées, étaient constitutives d'une faute caractérisée, dont, compte tenu de son expérience, il ne pouvait ignorer le risque, et ayant entraîné le décès de la victime ;
"alors que, enfin en tout état de cause, la cour d'appel aurait dû constater que le docteur Benoît B... n'avait pas accompli les diligences normales compte tenu de la nature de sa mission et de ses fonctions, de ses compétences ainsi que du pouvoir et des moyens dont il disposait et que ces fautes, ayant causé directement le décès de la patiente, devaient être sanctionnées au titre de l'homicide involontaire" ;
Sur le même moyen, relevé d'office au profit de Christiane Y..., d'Erika Z... et des consorts A... ;
Les moyens étant réunis ;
Vu l'article 593 du code de procédure pénale ;
Attendu que tout jugement ou arrêt doit comporter les motifs propres à justifier la décision ; que l'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence ;
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure que Françoise X... est décédée, le 1er novembre 1997, à l'hôpital de Pontoise, lors d'une cœlioscopie pratiquée, en vue de rechercher l'origine de douleurs pelviennes, par Benoît B..., gynécologue de l'hôpital, assisté de l'interne Anne C... ; que l'information a établi que la mort était due à une hémorragie secondaire à une plaie chirurgicale de l'aorte provoquée par l'incision sous-ombilicale effectuée par Anne C..., dès le début de l'intervention ; que la chambre de l'instruction, infirmant l'ordonnance de non-lieu rendue par le magistrat instructeur, a renvoyé Anne C... et Benoît B... devant le tribunal correctionnel, du chef d'homicide involontaire, la première pour avoir directement causé la mort de Françoise X..., le second pour l'avoir indirectement causée en commettant une faute caractérisée ; qu'Anne C... a été relaxée et Benoît B... déclaré coupable ; que celui-ci a interjeté appel, de même que, contre lui seul, le ministère public et les parties civiles ;
Attendu que, pour infirmer le jugement et relaxer Benoît B..., l'arrêt prononce par les motifs reproduits au moyen ;
Mais attendu qu'en se déterminant ainsi, sans rechercher si le prévenu, auquel il incombait de contrôler l'acte pratiqué par l'interne, n'avait pas commis une faute entretenant un lien direct de causalité avec la mort de la patiente, la cour d'appel n'a pas justifié sa décision ;
D'où il suit que la cassation est encourue ;
Par ces motifs :
CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions relatives à l'action civile, l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Versailles, en date du 5 décembre 2007, et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi,
RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Paris, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Versailles et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement annulé ;
Ainsi jugé et prononcé par la Cour de cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ;
Etaient présents aux débats et au délibéré : M. Pelletier président, M. Delbano conseiller rapporteur, MM. Farge, Blondet, Palisse, Le Corroller, Mme Radenne, M. Bloch conseillers de la chambre, Mme Agostini, M. Chaumont conseillers référendaires ;
Avocat général : M. Davenas ;
Greffier de chambre : Mme Lambert ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;