Voir également Cour de cassation, chambre criminelle, 2 mai 2012, pourvoi n°11-84017 Par deux décisions distinctes en date des 2 et 16 mai 2012, la chambre criminelle de la Cour de cassation a définitivement condamné pour blessures involontaires et altération de preuve, un gynécologue-obstétricien qui a essayé de falsifier un dossier médical afin de couvrir ses négligences et imprudences lors d’un accouchement au terme duquel l’enfant est resté lourdement handicapé. Cette condamnation au pénal pour altération de preuve est une première en France. En l’espèce, ce gynécologue-obstétricien a été condamné en appel à 10 000€ d’amende pour blessures involontaires et à 3 000€ d’amende pour altération de document concernant un délit pour faire obstacle à la vérité. Le Cour de cassation approuve le raisonnement de la Cour d’appel qui a reproché à ce médecin d’avoir commis plusieurs négligences et imprudences au cours de l’accouchement de la parturiente qui a eu lieu en 2000 au sein d’une clinique. Selon la Cour d’appel, il « a été négligent dans l'assistance de la patiente en se déchargeant sur la sage-femme et en partant à son domicile pendant près de deux heures, en contravention avec son obligation d'assurer à sa patiente des soins attentifs et consciencieux ». Son absence ne lui a pas permis d’observer « le rythme cardiaque saltatoire avec ralentissements et bradycardies ». Au cours de la procédure, il a admis qu’il aurait immédiatement décidé de pratiquer une césarienne s’il avait été présent. A son retour auprès de la parturiente, la Cour d’appel a considéré qu’il a été imprudent d’avoir réalisé en vain, avec l’aide de la sage-femme une tentative de rotation puis d’extraction du fœtus à l’aide de spatules alors que la tête du fœtus était mal engagée. La Cour a également relevé qu’il s’est montré négligent vis-à-vis du fœtus en tardant à s’assurer de l’évolution clinique de celui-ci et à mettre en place un monitoring du rythme cardiaque fœtal. Elle a également souligné l’impréparation de l’intervention. De plus, la Cour de cassation valide également l’analyse de la Cour d’appel concernant la condamnation pour altération de preuve en ce que le praticien, « conscient d’un risque d’engagement de sa responsabilité par les parents, a ainsi altéré son rapport qui, dans sa nouvelle version, était susceptible de faire obstacle à la manifestation de la vérité notamment en cas de poursuites pour blessures involontaires ». |
Cour de cassation
chambre criminelle
Audience publique du mercredi 16 mai 2012
N° de pourvoi: 11-83834
Publié au bulletin Rejet
Mme Desgrange (conseiller le plus ancien faisant fonction de président), président
SCP Baraduc et Duhamel, SCP Boré et Salve de Bruneton, avocat(s)
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
Statuant sur le pourvoi formé par :
- M. Toufik X...,
contre l'arrêt de la cour d'appel d'AIX-EN-PROVENCE, 7e chambre, en date du 11 avril 2011, qui, pour altération de preuve, l'a condamné à 3 000 euros d'amende, et a prononcé sur les intérêts civils ;
La COUR, statuant après débats en l'audience publique du 3 mai 2012 où étaient présents dans la formation prévue à l'article 567-1-1 du code de procédure pénale : M. Louvel président, Mme Moreau conseiller rapporteur, Mme Desgrange conseiller de la chambre ;
Greffier de chambre : Mme Krawiec, aux débats ; Mme Randouin, au prononcé ;
Sur le rapport de Mme le conseiller référendaire MOREAU, les observations de la société civile professionnelle BARADUC et DUHAMEL, de la société civile professionnelle BORÉ et SALVE de BRUNETON, avocats en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général SALVAT ;
Vu les mémoires en demande, en défense et les observations complémentaires produits ;
Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles 111-3, 434-4 du code pénal, 7, 8, 515 et 593 du code de procédure pénale, 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, 6 et 7 de la Convention européenne des droits de l'homme, défaut de motifs, manque de base légale ;
"en ce que la cour d'appel a déclaré le docteur X... coupable du délit d'altération de document concernant un délit pour faire obstacle à la vérité et, d'une part, l'a condamné à une amende délictuelle de 3 000 euros et l'a déclaré responsable des conséquences du dommage subi par M. et Mme Z... et leur fils Philippe Z... et l'a condamné à verser à chacun, la somme de 1 500 euros à titre de dommages-intérêts ;
"aux motifs qu'il résulte de la procédure et des débats que les mentions incriminées ont effectivement été apposées par le docteur X..., six ou sept jours après l'accouchement avant la sortie de sa patiente de la clinique et que ces modifications ont été révélées par la sage-femme qui a participé à l'accouchement et qui avait fait une déclaration de sinistre à sa compagnie d'assurances en joignant une photocopie du dossier médical tel qu'il existait initialement ; que c'est notamment au vu de ce document ainsi modifié que les expert-judiciaires ainsi que les autres praticiens sollicités par les parties ont élaboré leurs travaux ; que lesdites modifications ont été révélées plus de trois ans après leur ajout, lors de la première audience devant la juridiction de jugement, à l'occasion de l'intervention de la sage-femme qui a indiqué avoir fait une copie du rapport initial lequel ne porte pas trace des mentions en cause ; que l'infraction dont s'agit n'est donc pas atteinte par la prescription laquelle n'a commencé à courir qu'à compter de sa révélation, et, depuis les différents actes de poursuites initiés ont interrompu la prescription triennale, s'agissant d'un délit ; que le docteur X... a déclaré que de telles corrections étaient habituelles, qu'elles étaient faites au moment de la sortie des patientes lors de la mise à jour de leur dossier médical afin d'apporter plus de précisions, que la correction "OIDP défléchie" en "OIDP mal fléchie" lui semblait plus appropriée à la situation, que le rajout du terme "flexion" à la mention "un essai de flexion extraction par spatules "avait été effectué pour préciser le geste et que le rajout de la mention "engagée partie moyenne" avait été fait dans la mesure où il s'était aperçu à la relecture du compte-rendu que la position de la tête n'était pas mentionnée ; que, toutefois, les débats ont établi que la sage femme qui avait assisté le docteur X... lors de l'accouchement de Mme Z..., avait tenté vainement d'amener le docteur X... à pratiquer une césarienne plus tôt compte-tenu du déroulement inquiétant des opérations pour le foetus ; que, consciente de l'état anormal de l'enfant à la naissance, et se reprochant de n'avoir pas plus insisté, elle avait fait une déclaration de sinistre à son assureur en joignant une copie du rapport établi par le docteur X... lequel ne comportait pas les mentions incriminées ; que la direction de la clinique avait tenté d'imposer à cette sage-femme de modifier les informations relatives au déroulement de l'accouchement au regard du développement péjoratif de l'enfant transporté en urgence dans un établissement doté des moyens nécessaires pour assurer son suivi ; que l'état gravissime de l'enfant était connu tant par l'administration de la clinique que par le docteur X... ; qu'en effet, le docteur X... fut dans les heures qui ont suivi l'accouchement en relation avec l'équipe pédiatrique qui voulait savoir si l'enfant avait subi une souffrance foetale aiguë, ce que le docteur X... avait nié alors qu'il l'avait lui-même mentionnée sur le partogramme ainsi qu'il l'a indiqué à la cour ; que le docteur X... savait que les parents de l'enfant voulaient des réponses pour comprendre les raisons de l'état de leur fils, la situation étant parfaitement normale avant les opérations d'accouchement qui avaient duré plusieurs heures après la rupture de la poche des eaux suivie, après une stagnation de plusieurs heures de la dilatation du col avec en cours une souffrance foetale aiguë, puis d'une tentative de verticalisation manuelle pour défléchir la tête, puis à nouveau d'une autre tentative de défléchissement de la tête à l'aide d'une spatule et encore d'une troisième vaine tentative d'extraction avec les spatules et enfin d'une césarienne pratiquée trente minutes après, le foetus enclavé dans le bassin ayant dû être retiré au moyen d'un instrument qui n'était pas à disposition au bloc opératoire ; que, si des corrections d'un rapport médical qui doit être le fidèle reflet du déroulement de l'intervention ne sont pas interdites, les ajouts, rectifications ou précisions apportés ne peuvent être inclus dans le corps du document à peine de porter atteinte à sa sincérité mais à la suite pour en expliquer les motifs et les identifier ; qu'en l'espèce, le docteur X..., en insérant dans le corps de son rapport initial les modifications qu'il reconnaît, a ainsi altéré la sincérité des opérations, en particulier en portant la mention "engagée partie moyenne" qui était erronée puisque l'impossibilité de procéder à l'accouchement par voies basses était due au fait que la tête n'était pas engagée en raison de son fléchissement, mais seulement fixée ; que cette mention n'avait pas seulement pour but de se conformer au protocole d'usage qui est d'indiquer le positionnement de la tête dans le rapport mais aussi d'induire en erreur sur la pertinence du choix de l'accouchement par voies basses ; que le docteur X..., conscient d'un risque d'engagement de sa responsabilité par les parents, a ainsi altéré son rapport, qui, dans sa nouvelle version, était susceptible de faire obstacle à la manifestation de la vérité, notamment en cas de poursuites pour blessures involontaires ;
"1°) alors que les juges du second degré, saisis du seul appel de la partie civile, ne peuvent prononcer aucune peine contre le prévenu définitivement relaxé ; que le ministère public qui, après avoir interjeté appel du jugement de relaxe, conclut à la relaxe du prévenu, doit être réputé s'être désisté de son appel ; qu'en l'espèce, le ministère public, après avoir interjeté appel du jugement du 4 janvier 2010 ayant renvoyé le docteur X... des fins de la poursuite, a conclu à sa renvoyé ; que, dès lors, en déclarant le docteur X... coupable du délit prévu à l'article 434-4 du code pénal, la cour d'appel a violé les textes visés au moyen ;
"2°) alors que le délit prévu à l'article 434-4 du code pénal ne saurait, sous peine de renverser le fardeau de la preuve, s'appliquer à l'auteur de l'infraction principale ; qu'en l'espèce, le docteur X... poursuivi pour délit de blessures involontaires sur la personne de Philippe Z..., a été déclaré coupable par la cour d'appel, sur le fondement de l'article 434-4 du code pénal, d'avoir altéré le dossier médical de Philippe Z... «pour faire obstacle à la manifestation de la vérité notamment en cas de poursuites pour blessures involontaires» ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a méconnu le sens et la portée des textes visés au moyen ;
"3°) alors que le délit prévu à l'article 434-4 du code pénal se prescrit à compter du jour où il a été commis ; que, dès lors, en déclarant le docteur X... coupable du délit prévu à l'article 434-4 du code pénal, au motif que le délai de prescription de l'infraction dont s'agit n'avait commencé à courir qu'à compter de sa révélation, la cour d'appel a méconnu le sens et la portée des textes visés au moyen ;
"4°) alors que le délit de l'article 434-4 du code pénal exige un dol spécial consistant à altérer un document dans le dessein de mettre obstacle à l'action de la justice conduite par les personnes habilitées à rechercher les preuves ou à poursuivre le châtiment des crimes et délits ; que les corrections apportées à un rapport médical, sans doute par souci de rigueur et d'exhaustivité, ne caractérisent pas l'élément intentionnel dudit délit, quand bien même ces corrections auraient eu pour effet de faire obstacle à la manifestation de la vérité ; que l'arrêt est entaché d'un manque de base légale au regard des textes précités ;
"5°) alors que le juge ne peut fonder sa décision sur des preuves qui lui sont apportées au cours des débats à la suite de procédés illicites ou déloyaux, non justifiés par la nécessité dans laquelle serait une victime d'assurer sa défense ; qu'en se fondant sur le compte rendu des opérations, obtenu illicitement par la sage femme impliquée dans les faits reprochés au docteur X... et sur les affirmations de celle-ci, la cour d'appel a méconnu le principe de loyauté de la preuve, ensemble les dispositions de l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme ;
"6°) alors que nul ne peut être puni pour un crime ou pour un délit dont les éléments ne sont pas définis par la loi ; qu'aucune disposition légale ou réglementaire n'interdit aux médecins d'apporter des corrections dans le corps de leur compte-rendu ; qu'en énonçant, pour considérer que l'élément matériel du délit de l'article 434-4 du code pénal était constitué, que si des corrections d'un rapport médical qui doit être le fidèle reflet du déroulement de l'intervention ne sont pas interdites, les ajouts, rectifications ou précisions apportés ne peuvent être inclus dans le corps du document à peine de porter atteinte à sa sincérité mais à la suite pour en expliquer les motifs et les identifier, la cour a méconnu les textes susvisés et le principe ci-dessus énoncé ;
"7°) alors qu'en se bornant à affirmer, pour décider que le docteur X... avait altéré la sincérité des opérations, en portant la mention "engagée partie moyenne", que celui-ci avait voulu induire en erreur sur la pertinence du choix de l'accouchement par voie basse, sans rechercher, comme elle y était invitée, si le docteur X... n'avait pu, de bonne foi, en raison de la présence d'une bosse séro-sanguine, considérer que la tête du foetus était engagée, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision" ;
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure que Mme Z... a mis au monde, le 29 juillet 2000, un enfant atteint d'un handicap cérébral et moteur profond ; que, suite à une information judiciaire ouverte du chef de blessures involontaires, M. X..., gynécologue obstétricien, a été renvoyé devant le tribunal correctionnel ; que, lors des débats, une sage-femme a produit le compte-rendu d'accouchement de Mme Z... rédigé par le praticien immédiatement après la naissance de l'enfant ; qu'il a été alors constaté que le document remis par le médecin aux parents, et sur lequel se sont prononcés les experts commis au cours de l'information judiciaire, n'était pas identique au document produit lors des débats ; que le procureur de la République a fait citer directement M. X... devant le tribunal correctionnel du chef d'altération de preuve ;
Attendu que, pour écarter l'exception de prescription de l'action publique soulevée par le prévenu et le déclarer coupable des faits poursuivis, l'arrêt relève que les modifications ont été révélées plus de trois ans après leur ajout, que la prescription n'a commencé à courir qu'à compter de la révélation du délit et a été interrompue par les différents actes de poursuites initiés ; que les juges ajoutent que M. X..., en insérant dans le corps de son rapport initial les modifications qu'il reconnaît, a ainsi altéré la sincérité des opérations, notamment pour induire en erreur sur la pertinence du choix de l'accouchement par voies basses ; que, conscient d'un risque d'engagement de sa responsabilité par les parents, il a modifié son rapport de sorte que sa nouvelle version était susceptible de faire obstacle à la manifestation de la vérité, notamment en cas de poursuites pour blessures involontaires ;
Attendu qu'en l'état de ces énonciations, la cour d'appel a, sans méconnaître l'étendue de sa saisine, justifié sa décision ;
Que, d'une part, la volonté du ministère public de se désister de son appel ne saurait se déduire de ce que, appelant d'un jugement de relaxe prononcé par le tribunal correctionnel, il en a demandé la confirmation alors qu'il n'a fait qu'user de la liberté de parole que lui confère l'article 33 du code de procédure pénale ;
Que, d'autre part, le délit de destruction, soustraction ou altération de preuve prévu à l'article 434-4 du code pénal ne constitue pas une suite indivisible du délit de blessures involontaires faisant obstacle à l'exercice de poursuites à l'égard de leur auteur de ce chef ;
D'où il suit que le moyen, qui se borne, pour le surplus, à remettre en question l'appréciation souveraine par les juges du fond, des faits et circonstances de la cause, ainsi que des éléments de preuve contradictoirement débattus, ne saurait être admis ;
Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;
REJETTE le pourvoi ;
FIXE à 3 000 euros la somme globale que M. X... devra payer à M. et Mme Z..., parties civiles, au titre de l'article 618-1 du code de procédure pénale ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le seize mai deux mille douze ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;