Par cet arrêt, la chambre criminelle de la Cour de cassation précise que l’audition d’un suspect hospitalisé dans un service de réanimation à la suite d’une blessure intervenue au cours de son interpellation méconnaît les exigences de l’article 3 de la Convention relatif au traitement inhumain et dégradant s’il n’est pas établi que les policiers ont agi avec l’autorisation préalable d’un médecin. En l’espèce, M. X, armé d’un couteau a été surpris par les forces de police alors qu’il venait visiblement de rouer de coups une personne dans l’enceinte d’une résidence. En résistant à son interpellation, le suspect a été blessé à l’abdomen et a dû être transporté à l’hôpital où il a subi en urgence une intervention chirurgicale. A la suite de l’intervention, le médecin de garde s’est opposé à l’audition de M. X qui n’était pas apte à être entendu le jour même. Toutefois, le lendemain, les policiers ont entendu le suspect après s’être renseigné sur son état de santé auprès de l’infirmière qui, selon toute vraisemblance, s’est adressée au préalable au médecin traitant pour solliciter son avis et cette autorisation. La Cour de cassation casse et annule l’arrêt de la chambre d’instruction en faisant grief aux juges du fond de ne pas avoir recherché si un médecin avait pu constater par lui-même l’état de santé de l’intéressé avant son audition pour vérifier si celle-ci pouvait se dérouler dans des conditions respectant les exigences de l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme.
Cour de cassation
chambre criminelle
Audience publique du mardi 25 octobre 2011
N° de pourvoi: 11-82780
Publié au bulletin
M. Louvel (président), président
SCP Lyon-Caen et Thiriez, avocat(s)
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
Statuant sur le pourvoi formé par :
- M Jean-Charles X...,
contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de MONTPELLIER, en date du 8 février 2011, qui dans l'information suivie contre lui des chefs de violences aggravées et dégradation volontaire, a prononcé sur sa demande aux fins d'annulation de la procédure ;
La COUR, statuant après débats en l'audience publique du 27 septembre 2011 où étaient présents : M. Louvel président, M. Guérin conseiller rapporteur, M. Blondet, Mmes Koering-Joulin, Guirimand, MM. Beauvais, Straehli, Finidori, Monfort, Buisson, Mmes Mirguet, Caron conseillers de la chambre, Mme Divialle, M. Maziau conseillers référendaires ;
Avocat général : M. Sassoust ;
Greffier de chambre : Mme Daudé ;
Sur le rapport de M. le conseiller GUÉRIN, les observations de la société civile professionnelle LYON-CAEN et THIRIEZ, avocat en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général SASSOUST ;
Vu l'ordonnance du président de la chambre criminelle, en date du 16 mai 2011, prescrivant l'examen immédiat du pourvoi ;
Vu le mémoire produit ;
Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles 3 et 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme, préliminaire, 63 à 65, 591 et 593 du code de procédure pénale ;
" en ce que l'arrêt attaqué a rejeté la requête en nullité de la procédure suivie contre M. X... et dit qu'il n'y avait pas lieu d'annuler le procès-verbal de son audition réalisée alors qu'il était encore en réanimation et la procédure subséquente ;
" aux motifs qu'aux termes de l'article 63 du code de procédure pénale, l'officier de police judiciaire peut, pour les nécessités de l'enquête, placer en garde à vue toute personne à l'encontre de laquelle il existe une ou plusieurs raisons plausibles de soupçonner qu'elle a commis ou tenté de commettre une infraction ; qu'il résulte de la terminologie employée par le législateur, qu'il s'agit d'une faculté laissée à l'appréciation de l'officier de police judiciaire et non pas d'une obligation mise à sa charge ; qu'ainsi, le placement en garde à vue n'est obligatoire que lorsque la personne est retenue sous la contrainte à la disposition des services de la police et qu'elle est privée de sa liberté d'aller et venir par les enquêteurs ; que tel n'est pas le cas en l'espèce, M. X... ne faisant l'objet d'aucune mesure coercitive par les forces de l'ordre, mais se trouvait hospitalisé pour recevoir les soins nécessités par son état ; que l'éventuelle entrave à sa liberté d'aller et venir n'était donc pas imputable à l'enquête en cours, mais à des nécessités médicales ; qu'en tout état de cause, il pouvait refuser de répondre aux questions des enquêteurs ; qu'il s'en suit que le moyen de nullité tiré du défaut de placement en garde à vue de M. X... et de notification de ses droits sera écarté ; que l'avocat du mis en examen fait valoir que l'absence de certificat médical constatant son aptitude à être entendu par les forces de l'ordre fait grief à son client dès lors que ses déclarations ont pu être faussées à la fois par son état physique, au sortir d'une importante intervention chirurgicale, mais aussi par son état psychique du fait du traumatisme subi et conclut en cet état à la nullité du procès-verbal d'audition de M. X... ; qu'en l'espèce, qu'après admission du mis en cause à l'hôpital, les enquêteurs ont interrogé le personnel médical pour savoir s'il pouvait être immédiatement entendu ; qu'il résulte du certificat médical figurant en procédure, qu'il ne pouvait être entendu le jour de l'intervention chirurgicale (cote D 47) ; que le lendemain, ils ont à nouveau interrogé les services hospitaliers afin de savoir si l'audition pouvait être réalisée ; qu'il est constant que ne figure à la procédure aucun certificat en date du jour de l'audition, constatant que l'état de santé de M. X..., permettait d'être entendu ; que, cependant, figure cote D. 44, un procès-verbal relatant les diligences effectuées par les enquêteurs pour s'assurer de la compatibilité de l'état de santé de l'intéressé avec une audition, et que la réponse leur a été transmise par une infirmière qui selon toute vraisemblance s'est adressée au préalable au médecin traitant pour solliciter son avis et partant cette autorisation ; qu'il s'en suit que ce deuxième moyen de nullité tiré de l'absence de certificat médical sera également écarté ;
" 1°) alors qu'il résulte de l'article 63 du code de procédure pénale que, lorsqu'elle est placée, sous la contrainte, à la disposition de l'officier de police judiciaire pour les nécessités de l'enquête, peu important que cette contrainte soit exercée par la police elle-même ou qu'elle résulte d'une situation de fait, telle une hospitalisation supprimant toute liberté d'aller et venir, la personne à l'encontre de laquelle il existe des indices faisant présumer qu'elle a commis ou tenté de commettre une infraction doit être placée en garde à vue et recevoir notification de ses droits, dont le droit de s'entretenir avec un avocat ; qu'en vertu de l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme, figure parmi ces droits celui de se taire et de ne pas contribuer à sa propre incrimination ; que la chambre de l'instruction considère que dès lors que le mis en examen ne faisait l'objet d'aucune mesure coercitive par les forces de l'ordre, mais se trouvait hospitalisé pour recevoir les soins nécessités par son état, seule cause de son absence de liberté d'aller et venir, l'officier de police judiciaire qui était venu l'interroger n'était pas tenu de le placer en garde à vue et de lui notifier ses droits avant de procéder à son interrogatoire ; qu'en l'état de tels motifs, refusant de prendre en compte le fait que le mis en examen étant hospitalisé et intubé, il ne pouvait s'opposer à l'interrogatoire qui avait eu lieu, la chambre de l'instruction a méconnu, par fausse interprétation de la notion de garde à vue, l'article 63 du code de procédure pénale ;
" 2°) alors que toute personne, même placée en garde à vue bénéficie du droit de se taire ; que, par conséquent, en considérant que dès lors que le mis en examen pouvait s'opposer à son interrogatoire, il ne pouvait être considéré qu'une contrainte avait été exercée sur cette personne par les policiers, la chambre de l'instruction qui s'appuie sur une circonstance impropre à exclure la contrainte, refusant encore ainsi de prendre en compte la contrainte inhérente à l'hospitalisation et l'intubation, a encore méconnu le sens de la notion de garde à vue et ainsi méconnu l'article 63 du code de procédure pénale ;
" 3°) alors qu'en tout état de cause, la recherche de la preuve ne saurait autoriser l'utilisation de traitements inhumains ou dégradants pour obtenir des aveux, sauf à méconnaitre l'article 3 de la Convention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; qu'il résulte des termes de l'arrêt qu'alors que le mis en examen, opéré la veille d'une blessure par balle à l'abdomen, était encore hospitalisé dans le service de réanimation, deux policiers sont venus l'interroger sans même l'informer du fait qu'il avait le droit de se taire, ce qui seul aurait été de nature à neutraliser la violence de l'intervention auprès d'une personne qui était dans un état jugé grave pour être maintenu en réanimation ; que, faute d'avoir constaté que les policiers avaient ainsi fait subir au mis en examen un traitement inhumain, la chambre de l'instruction a méconnu l'article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
" 4°) alors qu'à tout le moins, en vertu de l'article 6 § 1 et 2 de la Convention européenne des droits de l'homme comme de l'article préliminaire du code de procédure pénale, le droit de ne pas s'incriminer soi-même implique que l'accusation ne puisse recourir à des éléments de preuve obtenus par la contrainte ou des pressions, au mépris de la volonté de la personne soupçonnée ; qu'il en résulte nécessairement que toute personne qui est privée de la liberté d'aller et venir, quelle qu'en soit la cause, et ne peut physiquement échapper aux policiers venus l'interroger, doit bénéficier de l'assistance d'un avocat et à défaut, être informée immédiatement de son droit de garder le silence ; que dès lors, en refusant d'annuler le procès-verbal d'audition du mis en examen intervenu alors qu'il était en réanimation et intubé, faute pour les policiers d'avoir informé cette personne qui ne pouvait leur échapper qu'elle avait le droit à l'assistance d'un avocat et, à tout le moins, le droit de se taire, la chambre de l'instruction a méconnu l'article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme ;
" 5°) alors qu'enfin et en tout état de cause, la liberté d'administration des preuves trouve sa limite dans le respect du principe de légalité et du principe de loyauté, condition d'un procès équitable ; qu'il en résulte nécessairement qu'une personne hospitalisée en réanimation ne peut être interrogée par les enquêteurs, sans que ceux-ci aient obtenu une autorisation formelle d'un médecin attestant que l'état du patient lui permet de répondre en toute conscience à leurs questions ; que, pour conclure à la légalité de l'audition de la personne suspectée malgré l'absence d'autorisation écrite d'un médecin permettant aux policiers qui s'étaient déplacés à cette fin d'entendre cette personne, la chambre de l'instruction constate que le procès-verbal d'enquête établissait que les policiers qui s'étaient préoccupés de la possibilité pour eux d'entendre le blessé avaient au moins reçu la " réponse d'une infirmière qui selon toute vraisemblance s'est adressée au préalable au médecin traitant pour solliciter son avis et partant cette autorisation " ; qu'en l'état de motifs purement hypothétiques quant à l'existance d'une autorisation donnée par un médecin d'entendre le blessé, la chambre de l'instruction a privé sa décision de base légale " ;
Vu l'article 593 du code de procédure pénale ;
Attendu que tout arrêt de la chambre de l'instruction doit comporter les motifs propres à justifier la décision et répondre aux articulations essentielles des mémoires des parties ; que l'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence ;
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure que, surpris dans l'enceinte d'une résidence par un habitant qu'il aurait roué de coups, M. X... a été, lors de son interpellation par les services de police auxquels il se serait opposé en faisant usage d'un couteau, blessé à l'abdomen par le tir de l'un des policiers ; qu'à son admission au service hospitalier d'anesthésie et de réanimation, il était constaté qu'il souffrait de lésions intra-abdominales secondaires au passage d'un projectile d'arme à feu, dont la trajectoire était de l'avant vers l'arrière, du haut vers le bas, de la droite vers la gauche, avec une sortie au niveau de la fesse gauche ; que le médecin de garde attestait que l'intéressé n'était pas apte à être entendu le jour même ; que le lendemain, un officier de police judiciaire contactait une infirmière du service de réanimation qui lui indiquait que le patient était audible ; qu'après avoir relevé que M. X..., alité et intubé, n'était plus sous assistance respiratoire mais que les conditions d'audition n'étaient pas optimales, il l'entendait sur les faits à l'origine de son interpellation et sur l'interpellation elle-même ;
Attendu que M. X... a ensuite été mis en examen des chefs de dégradations volontaires, violences volontaires n'ayant pas entraîné une incapacité totale de travail supérieure à huit jours et violences volontaires avec arme sur personne dépositaire de l'autorité publique ; que son avocat a déposé une requête en nullité de son audition aux motifs, d'une part, que son client, qui était empêché d'aller et venir, était sous la contrainte et aurait dû être placé en garde à vue avant d'être entendu et, d'autre part, que son audition sans qu'un certificat médical l'ait déclaré apte à cette mesure lui faisait grief ;
Attendu que, pour rejeter cette requête, l'arrêt énonce notamment que, pour s'assurer de la compatibilité de l'état de santé de M. X... avec une audition, les enquêteurs ont reçu une réponse transmise par une infirmière qui, selon toute vraisemblance, s'est adressée au préalable au médecin traitant pour solliciter son avis et, partant, cette autorisation ;
Mais attendu qu'en statuant ainsi, par des motifs hypothétiques et sans rechercher si un médecin avait lui-même constaté que l'état de santé de cette personne hospitalisée était compatible avec son audition et si celle-ci pouvait ainsi se dérouler dans des conditions respectant les exigences résultant de l'article 3 de la Convention européenne des droits de l'homme, la chambre de l'instruction n'a pas justifié sa décision ;
D'où il suit que la cassation est encourue ;
Par ces motifs :
CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt susvisé de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Montpellier, en date du 8 février 2011 et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi,
RENVOIE la cause et les parties devant la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Nîmes, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Montpellier et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt annulé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le vingt-cinq octobre deux mille onze ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;