M. Z, hospitalisé pour des troubles psychiatriques dans le cadre d'une hospitalisation d'office au sein d’un centre hospitalier spécialisé depuis le 7 avril 2009, a présenté dans la nuit du 8 au 9 avril un état de souffrance et un comportement très agité ; que des coups ont été portés à Mme X., infirmière, après que celle-ci eut pénétré dans la chambre d'isolement de l'intéressé afin de lui donner un traitement oral, et ont donné lieu à une mesure de contention par laquelle Mme X., assistée de Mme Y., aide-soignante, a maîtrisé le patient au sol en s'allongeant sur son bassin et ses jambes et en utilisant un drap enroulé autour de son bras et passé autour de son cou afin de lui administrer un calmant ; que M. Z a fait alors un malaise et est décédé ; Une information judiciaire a été ouverte pour homicide involontaire au terme de laquelle les prévenues ont été renvoyées devant le tribunal correctionnel qui les a relaxées ; le ministère public et les parties civiles ont interjeté appel de cette décision. La Cour d’appel a condamné Mmes X et Y le 4 juillet 2013 pour homicide involontaire à un mois d’emprisonnement avec sursis. Ces dernières ont formé un pourvoi en cassation. Cette affaire revête deux volets. Sur le volet pénal, la Cour de cassation confirme l’arrêt qui déclarait Mmes X et Y coupables d’homicide involontaire en retenant que « si elles ont répondu à leurs obligations professionnelles d'intervention auprès d'un patient en état de souffrance et très agité, elles ont décidé de lui administrer un médicament dans la chambre d'isolement malgré le désaccord d'une autre infirmière et de ne pas appeler du renfort ; que les juges ajoutent que, face aux violences commises par lui, elles ont alors procédé à un acte de contention réalisé avec maladresse et imprudence dès lors que le drap enroulé autour du poignet et passé autour du cou de la victime, face contre terre, a provoqué une incapacité ventilatoire par suffocation entraînant son décès ; Attendu qu'en l'état de ces énonciations, qui établissent que les prévenues n'ont pas accompli les diligences normales, compte tenu de la nature de leurs fonctions ainsi que du pouvoir et des moyens dont elles disposaient, et d'où il résulte que la faute commise par elles a directement causé le dommage, la cour d'appel a justifié sa décision ». |
Cour de cassation
chambre criminelle
Audience publique du mardi 18 novembre 2014
N° de pourvoi: 13-86284
Non publié au bulletin Cassation partielle
M. Guérin (président), président
Me Bouthors, Me Foussard, avocat(s)
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
Statuant sur les pourvois formés par :
- Mme X...,
- Mme Y...,
contre l'arrêt de la cour d'appel de FORT-DE-FRANCE, chambre correctionnelle, en date du 4 juillet 2013, qui, pour homicide involontaire, les a condamnées chacune à un mois d'emprisonnement avec sursis, et a prononcé sur les intérêts civils ;
La COUR, statuant après débats en l'audience publique du 7 octobre 2014 où étaient présents dans la formation prévue à l'article 567-1-1 du code de procédure pénale : M. Guérin, président, Mme Harel-Dutirou, conseiller rapporteur, M. Pers, conseiller de la chambre ;
Greffier de chambre : Mme Randouin ;
Sur le rapport de Mme le conseiller référendaire HAREL-DUTIROU, les observations de Me BOUTHORS, de Me FOUSSARD, avocats en la Cour, et les conclusions de M. le premier avocat général RAYSSÉGUIER ;
Joignant les pourvois en raison de la connexité ;
Vu le mémoire commun aux demanderesses et le mémoire en défense produits ;
Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation de l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme, 121-3 et 221-6 du code pénal, 1383 et 1384, alinéa 5, du code civil, de l'article préliminaire et des articles 2, 10, 591 et 593 du code de procédure pénale ;
" en ce que l'arrêt infirmatif de la cour de Fort-de-France a retenu les requérantes dans les liens de la prévention d'homicide involontaire et les a déclaré tenues à réparation ;
" aux motifs que s'il n'est pas contesté que les deux prévenues ont répondu à leurs obligations professionnelles d'intervention auprès d'un patient en situation de souffrance et très agité, il n'en demeure pas moins qu'elles ont décidé de lui apporter un médicament dans la chambre d'isolement malgré le désaccord manifesté par la troisième infirmière (Mme Z...) qui souhaitait plutôt faire appel au renfort ; que confrontées à un déclenchement de violences subit très important de la victime (violents coups portés à Mme X...sur tout le corps) les prévenues ont dû procéder à une mesure de contention pour mettre un terme aux gestes dangereux tant pour la victime que pour le personnel soignant ; que toutefois l'acte de contention a été réalisé avec maladresse et imprudence dès lors que le drap enroulé autour du poignet et passé autour du cou de la victime, face contre terre, a provoqué une incapacité ventilatoire par suffocation entraînant son décès comme l'a relevé l'expert ; que cette maladresse étant à l'origine du décès, la décision de première instance sur la culpabilité sera infirmée ; qu'en raison des circonstances particulières de la cause, notamment de l'extrême violence subite du patient à laquelle elles ont été confrontées, de leur personnalité, notamment de leur dévouement constant pour une activité exigeante pour laquelle elle n'ont reçu aucune formation particulière, il convient de faire une application adaptée de la loi pénale en limitant l'emprisonnement un mois assorti du sursis simple ; qu'afin de préserver la situation professionnelle des deux prévenues qui n'ont fait l'objet d'aucune sanction disciplinaire à la suite des présents faits, il sera fait application des dispositions de l'article 775-1 du code de procédure pénale conduisant à la non-inscription au bulletin numéro 2 du casier judiciaire des présentes condamnations ; que sur le plan civil, il convient de recevoir Mmes et B... ainsi que Mme B..., épouse C..., en leur constitution de partie civile, de déclarer les prévenues seules et entièrement responsables et de les renvoyer sur les intérêts civils ;
" 1°) alors que l'auteur d'une faute d'imprudence source directe du dommage ne peut engager sa responsabilité pénale qu'autant qu'il est démontré qu'il n'a pas accompli les diligences normales compte tenu de la nature de ses missions ou de ses fonctions, de ses compétences ainsi que du pouvoir et des moyens dont il disposait ; qu'en l'état de la violence d'un patient agité que le personnel soignant a dû maîtriser dans l'urgence sans le secours du moindre service de sécurité, la contention exercée sur le patient ne pouvait relever d'une imprudence fautive sans examen préalable des moyens mis à disposition du personnel soignant, ni de la formation spécifique de ce dernier dans les situations d'urgence ; qu'en l'absence d'appréciation in concreto de la faute d'imprudence retenue contre les requérantes au regard des critères prévus par les articles 121-3 et 221-6 du code pénal, la cour a privé son arrêt de toute base légale ;
" 2°) alors que le préposé qui agit sans excéder les limites de la mission qui lui a été impartie par son commettant ne saurait, même auteur d'une infraction pénale non-intentionnelle commise dans l'exercice de ses fonctions, être civilement responsable du dommage causé par l'infraction ; qu'en affirmant que les requérantes étaient « seules » et « entièrement responsables » à raison d'une infraction involontaire non détachable de leur service, les juges du fond ont derechef violé les articles 1383 et 1384, alinéa 5, du code civil " ;
Sur le moyen, pris en sa première branche :
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure que B..., hospitalisé pour des troubles psychiatriques dans le cadre d'une hospitalisation d'office au centre hospitalier spécialisé de Colson à Fort-de-France depuis le 7 avril 2009, a présenté dans la nuit du 8 au 9 avril un état de souffrance et un comportement très agité ; que des coups ont été portés à Mme X..., infirmière, après que celle-ci eut pénétré dans la chambre d'isolement de l'intéressé afin de lui donner un traitement oral, et ont donné lieu à une mesure de contention par laquelle Mme X..., assistée de Mme Y..., aide-soignante, a maîtrisé le patient au sol en s'allongeant sur son bassin et ses jambes et en utilisant un drap enroulé autour de son bras et passé autour de son cou afin de lui administrer un calmant ; que B... a fait alors un malaise et est décédé ; qu'une information judiciaire a été ouverte pour homicide involontaire au terme de laquelle les prévenues ont été renvoyées devant le tribunal correctionnel qui les a relaxées ; que le ministère public et les parties civiles ont interjeté appel de cette décision ;
Attendu que, pour infirmer le jugement et déclarer les Mmes X...et Y...coupables d'homicide involontaire, l'arrêt retient que si elles ont répondu à leurs obligations professionnelles d'intervention auprès d'un patient en état de souffrance et très agité, elles ont décidé de lui administrer un médicament dans la chambre d'isolement malgré le désaccord d'une autre infirmière et de ne pas appeler du renfort ; que les juges ajoutent que, face aux violences commises par lui, elles ont alors procédé à un acte de contention réalisé avec maladresse et imprudence dès lors que le drap enroulé autour du poignet et passé autour du cou de la victime, face contre terre, a provoqué une incapacité ventilatoire par suffocation entraînant son décès ;
Attendu qu'en l'état de ces énonciations, qui établissent que les prévenues n'ont pas accompli les diligences normales, compte tenu de la nature de leurs fonctions ainsi que du pouvoir et des moyens dont elles disposaient, et d'où il résulte que la faute commise par elles a directement causé le dommage, la cour d'appel a justifié sa décision ;
D'où il suit que le grief invoqué ne saurait être retenu ;
Mais sur le moyen, pris en sa seconde branche :
Vu la loi des 16-24 août 1790 ;
Attendu que l'agent d'un service public n'est personnellement responsable des conséquences dommageables de l'acte délictueux qu'il a commis que si celui-ci constitue une faute détachable de ses fonctions ;
Attendu que, sur l'action civile, l'arrêt déclare les prévenues seules et entièrement responsables ;
Mais attendu qu'en se reconnaissant ainsi compétente pour statuer sur la responsabilité civile de Mmes X...et Y..., infirmière et aide soignante au centre hospitalier spécialisé de Colson ayant agi dans l'exercice de leurs fonctions, sans rechercher, même d'office, si la faute imputée à celles-ci présentait le caractère d'une faute personnelle détachable du service, la cour d'appel a méconnu le texte susvisé et le principe rappelé ci-dessus ;
D'où il suit que la cassation est encourue de ce chef ;
Par ces motifs :
CASSE et ANNULE l'arrêt susvisé de la cour d'appel de FORT-DE-FRANCE, en date du 4 juillet 2013, en ses seules dispositions civiles, toutes autres dispositions étant expressément maintenues ;
Et pour qu'il soit à nouveau statué, conformément à la loi, dans les limites de la cassation ainsi prononcée,
RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Fort-de-france autrement composée, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;
DIT n'y avoir lieu à application de l'article 618-1 du code de procédure pénale ;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Fort-de-France et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement annulé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le dix-huit novembre deux mille quatorze ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;