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Ordonnance Référé TA Paris – 4 novembre 2006 – Mme H (la protection de la santé à l’épreuve du service public hospitalier mise en cause au travers d’un référé liberté)

Rappel : le référé liberté (article L.521-1 et 2 du Code de justice Administrative).

Le référé liberté est une procédure juridictionnelle administrative d’urgence, tendant à protéger une liberté fondamentale.

Afin que cette procédure soit admise par le Juge, quatre conditions cumulatives doivent être réunies.

- une liberté fondamentale

- une atteinte grave et manifestement illégale à cette liberté

- une atteinte portée par une personne morale de droit public dans l’exercice de ses pouvoirs

- une demande justifiée par l’urgence d’obtenir des mesures tendant à mettre fin à l’atteinte

Si l’une de ces conditions vient à faire défaut, le juge rejettera la requête.

Considérant de Principe

« Considérant qu’il appartient à toute personne morale de droit public ou chargé de la gestion d’un service public de respecter les droits et libertés fondamentaux ; qu’il en va ainsi d’un établissement public hospitalier, tout spécialement lorsqu’ils poursuivent une exigence aussi impérieuse que la protection de la santé publique ; que toutefois, la mise en œuvre de ces exigences impérieuses n’a pas, par elle même pour effet de permettre à un patient ou,en cas d’empêchement de pouvoir exprimer son consentement éclairé, à son représentant légal, à son tuteur ou curateur, de choisir le mode d’intervention médical, notamment de préférer un médecin libéral ou un professionnel des services paramédicaux habilité à délivrer des soins spécialisés exerçant une activité libérale plutôt que s’en tenir à l’intervention d’un membre du personnel attaché à l’hôpital ; qu’en l’espèce, il n’est pas établi que l’intervention du kinésithérapeute exerçant suivant le mode libéral soit nécessaire pour éviter d’engager le pronostic vital de la requérante ; qu’il résulte de ce qui précède que le directeur général de l’Assistance Publique - Hôpitaux de Paris n’a pas, dans l’exercice de son pouvoir de refus d’autorisation de soins par un praticien libéral, porter une atteinte grave et manifestement illégale à la liberté de protection de la santé au sens de l’article 3 de la loi n°2002-303 du 4 mars 2002 ; que, par suite, la requête de Monsieur et Madame H. doit être rejetée ».

Commentaire

Le refus opposé à un patient par la direction d’un hôpital quant à la délivrance de soins par un praticien libéral est-il constitutif d’une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale ?
Telle est la question posée par Monsieur H. aux termes de la requête en référé liberté qu’il a initiée devant le TA de Paris.

Les faits

Mme H. placée sous la tutelle de son époux M. H. et hospitalisée depuis 2002, était prise en charge dans le service de Pneumologie où cinq séances de kinésithérapie lui ont été prescrites.
M. H a souhaité que ces séances soient réalisées par Monsieur G., kinésithérapeute libéral.
La directrice de l’hôpital s’est opposée à cette intervention par une lettre en date du 12 septembre 2006 estimant que les soins prescrits pour des personnes hospitalisées devaient être pris en charge par les professionnels hospitaliers sous la responsabilité du Chef de service.
Le 3 novembre 2006, M. H a déposé une requête en référé liberté compte tenu de l’atteinte grave et manifestement illégale que cette décision porterait selon lui à une liberté fondamentale : la protection de la santé.
Le 4 novembre 2006, le juge des référés statuant en urgence a rejeté la requête de M. H.
Constatant le caractère d’exigence impérieuse de la protection de la santé, ce dernier rejette néanmoins la requête en l’absence d’urgence et d’atteinte grave et manifestement illégale à cette liberté.

La solution

1.l’absence d’urgence :

Le juge des référés rappelle qu’il appartient au requérant de justifier de circonstances caractérisant une situation d’urgence qui implique qu’une mesure visant à sauvegarder une liberté fondamentale doive être prise dans les 48 heures.

La mise en œuvre de la protection juridictionnelle particulière instituée par l’article L.521-2 du CJA implique qu’il soit satisfait non seulement à la condition d’urgence inhérente à la procédure de référé mais également que l’illégalité commise par une personne publique revête un caractère manifeste et ait pour effet de porter une atteinte grave à une liberté fondamentale.

En l’espèce, il n’est pas établi que l’intervention du kinésithérapeute libéral soit nécessaire pour éviter d’engager le pronostic vital de la requérante et ce d’autant plus que l’établissement en cause dispose d’une équipe pluridisciplinaire en mesure de prendre en charge la patiente.

2. La protection de la santé publique à l’épreuve du Service Public hospitalier

Le juge des référés procède à un rappel initial en indiquant que toute personne morale de droit public ou chargée de la gestion d’un service public doit respecter tous les droits et libertés fondamentaux (ex : liberté d’aller et venir, liberté de réunion, droit de propriété, liberté de culte et d’opinion).

La liberté fondamentale mise en cause est la protection de la santé telle qu’énoncée par l’article L.1110-1 du code de la santé publique.

La protection de la santé publique constitue un principe constitutionnel reconnu par différents textes : Déclaration Universelle des Droits de l’Homme, Déclaration de l’Organisation Mondiale de la Santé sur la Promotion des droits des patients, etc…

Cette liberté s’articule autour de plusieurs principes parmi lesquels la prévention, l’égal accès et la continuité des soins et la meilleure sécurité sanitaire.

Le juge des référés précise que cette liberté constitue pour les établissements publics de santé une exigence impérieuse dans le cadre de la prise en charge des patients.

Cependant, le respect de cette liberté au sein du service public hospitalier ne permet pas au patient de solliciter l’intervention d’un praticien extérieur.

En effet, la présence d’une équipe pluridisciplinaire habilitée à dispenser des soins appropriés à l’état de santé permet d’assurer la protection de la santé publique au sein des établissements publics de santé.

TRIBUNAL ADMINISTRATIF DE PARIS

N°0616110
M. et Mme H
M. K Juge des référés

Ordonnance du 4 novembre 2006

Vu la requête, enregistrée le 3 novembre 2006 sous le n° 0616110, présentée pour M. et Mme H, élisant domicile 3 rue E.F , par Me L; M. et Mme H demandent au juge des référés d'autoriser l'intervention de M. G, kinésithérapeute, à l'intérieur de l'établissement X, Rossini aux fins de prodiguer à Madame O , épouse H, 14 séances de kinésithérapie respiratoire conformément à la prescription médicale du 18 juin 2006 ;
il soutient que

- la requérante présente des troubles majeurs l'empêchant d'exprimer sa volonté, souffrant notamment de la maladie d'Alzheimer, et ce, depuis 1999, étant à ce jour âgée de 86 ans, est hospitalisée au sein de l'établissement Sainte-Perine depuis 2002 ; qu'elle souffre en particulier d'une toux grasse chronique ; qu'ont été prescrits par les services de pneumologie compétents deux ordonnances, dont l'une prescrit des séances de kinésithérapie par l'intervention de M.G, kinésithérapeute extérieur à l'établissement ; que ce dernier ne peut continuer son intervention qu'avec l'accord de la direction du groupe hospitalier X ; que, sommé d'accorder cette autorisation, la directrice a opposé, par lettre du 12 septembre 2006, un refus catégorique à cette intervention d'un personnel médical ou para-médical extérieur à l'établissement ; qu'il est vrai que le médecin responsable de l'unité de court séjour gériatrique au centre hospitalier Sainte-Perine avait prescrit au début du mois de mai 2006 cinq séances de kinésithérapie hebdomadaire ; que seulement trois séances ont été effectuées les 11, 12 et 18 mai 2006 sans plus de suite ; que la directrice dudit établissement avait également refusé pour un motif d'ordre financier, les prestations d'un intervenant extérieur étant facturées deux fois à l'assurance maladie ;

- que l'urgence est constituée par l'atteinte grave et immédiate à la situation de santé de la requérante ;
- que l'atteinte à un droit fondamental et à une liberté fondamentale est constituée en ce que l'article 3 de la loi n°2002-303 du 4 mars 2002 a institué en tant que droit fondamental la possibilité pour chacun aux soins nécessités par son état de santé ainsi que la continuité de ces
soins par tous les professionnels et établissements de santé ;
- que cette atteinte est manifestement grave et illégale : la gravité résulte de l'urgence, mais le caractère manifestement illégal résulte de ce que l'article L 1110-1 du code de la santé publique précise que tous les professionnels, sans distinction de qualité, publics ou privés, doivent concourir aux soins nécessités par l'état de santé des malades ;

Vu, enregistré le 3 novembre 2006 le mémoire présenté par l'Assistance Publique-Hôpitaux de Paris tendant au rejet de la requête part le moyen que la condition d'urgence n'est pas constituée, l'oedème pulmonaire de la requérante s'étant révélée par un scanner réalisé le 2 juin 206, qui fait l'objet d'une prise en charge médicale réalisée par l'hôpital X réalisé le 2 juin 2006 ; que le traitement d'un oedème pulmonaire ne saurait se limiter à des actes de kinésithérapie ;que l'hôpital en cause dispose d'une équipe pluridisciplinaire incluant notamment des kinésithérapeutes qualifiés et parfaitement habilités à délivrer à la requérante les soins nécessités par son état de santé ; qu'à supposer que la protection de la santé constitue une liberté fondamentale, l'atteinte alléguée par le requérante ne présente aucun caractère de gravité ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code de justice administrative ;

Vu la décision en date du 2 novembre 2006 , par laquelle le président du tribunal a désigné M. K, président, pour statuer sur les demandes de référé ;

Après avoir convoqué à une audience publique :
- Me L, représentant M. et Mme H ;
- Le directeur général de l'Assistance Publique - Hôpitaux de Paris et le groupe hospitalier X ;

Vu le procès-verbal de l'audience publique du 4 novembre 2006 à 10 heures 30 au cours de laquelle ont été entendus :
- le rapport de M. K, juge des référés ;
- Me L, représentant M. et Mme H, lequel déclare que le pronostic vital étant engagé, l'urgence est constituée ; que , depuis le mois de mai 2006, aucun soin de kinésithérapie n'a été prodigué à la requérante ;

Ladite audience ayant été tenue en présence de Mme F, greffier ;

Sur les conclusions présentées au titre de l'article L. 521-2 du code de justice administrative :

Considérant qu'aux termes de l'article L. 521-2 du code de justice administrative : « Saisi d'une demande en ce sens justifiée par l'urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public aurait porté, dans l'exercice d'un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. Le juge des référés se prononce dans un délai de quarante-huit heures. » et qu'aux termes de l'article L. 522-1 dudit code : "Le juge des référés statue au terme d'une procédure contradictoire écrite ou orale. Lorsqu'il lui est demandé de prononcer les mesures visées aux articles L. 521-1 et L. 521-2, de les modifier ou d'y mettre fin, il informe sans délai les parties de la date et de l'heure de l'audience publique (...) " ; que l'article L. 522-3 du même code dispose : « Lorsque la demande ne présente pas un caractère d'urgence ou lorsqu'il apparaît manifeste, au vu de la demande, que celle-ci ne relève pas de la compétence de la juridiction administrative, qu'elle est irrecevable ou qu'elle est mal fondée, le juge des référés peut la rejeter par une ordonnance motivée sans qu'il y ait lieu d'appliquer les deux premiers alinéas de l'article L. 522-1" ; qu'enfin aux termes du premier alinéa de l'article R. 522-1 dudit code : "La requête visant au prononcé de mesures d'urgence doit (...) justifier de l'urgence de l'affaire » ;

Considérant qu'il n'y a urgence à ordonner la suspension d'une décision administrative que s'il est établi qu'elle préjudicie de manière suffisamment grave et immédiate à un intérêt public, à la situation de l'auteur du pourvoi ou aux intérêts qu'il entend défendre ; qu'en outre, lorsque le requérant fonde son intervention non sur la procédure de suspension régie par l'article L. 521-1 du code de justice administrative mais sur la procédure de protection particulière instituée par l'article L. 521-2 de ce code, il lui appartient de justifier de circonstances caractérisant une situation d'urgence qui implique, sous réserve que les autres conditions posées par l'article L. 521-2 soient remplies qu'une mesure visant à sauvegarder une liberté fondamentale doive être prise dans les quarante huit heures ;

Considérant que la mise en oeuvre de la protection juridictionnelle particulière instituée par l'article L. 521-2 du code de justice administrative implique qu'il soit satisfait non seulement à la condition d'urgence inhérente à la procédure de référé mais également que l'illégalité commise par une personne publique revête un caractère manifeste et ait pour effet de porter une atteinte grave à une liberté fondamentale ;

Considérant qu' il appartient à toute personne morale de droit public ou chargée de la gestion d'un service public de respecter les droits et libertés fondamentaux ; qu'il en va ainsi d'un établissement public hospitalier, tout spécialement lorsqu'ils poursuivent une exigence aussi impérieuse que la protection de la santé publique ; que, toutefois, la mise en oeuvre de ces exigences impérieuses n'a pas, par lui-même, pour effet de permettre à un patient ou, en cas d'empêchement de pouvoir d'exprimer son consentement éclairé, à son représentant légal , à son tuteur ou curateur, de choisir le mode d'intervention médical, notamment de préférer un médecin libéral ou un professionnel des services para-médicaux habilité à délivrer des soins spécialisés exerçant une activité libérale plutôt que s'en tenir à l'intervention d'un membre du personnel attaché à l'hôpital ; qu'en l'espèce, il n'est pas établi que l'intervention du kinésithérapeute exerçant suivant le mode libéral soit nécessaire pour éviter d'engager le pronostic vital de la requérante ; qu'il résulte de ce qui précède le directeur général de l'Assistance Publique - Hôpitaux de Paris n'a pas, dans l'exercice de son pouvoir de refus d'autorisation de soins par un praticien libéral, porté une atteinte grave et manifestement illégale à la liberté de protection de la santé au sens de l'article 3 de la loi n°2002-303 du 4 mars 2002 ; que, par suite, la requête de M. et Mme H doit être rejetée ;

ORDONNE

Article 1 : La requête de M. et Mme H est rejetée.

Article 2 : La présente ordonnance sera notifiée à M. et Mme H, à la le directeur général de l'Assistance Publique - Hôpitaux de Paris et à la groupe hospitalier X.

Fait à Paris, le 4 novembre 2006