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Tribunal administratif de Marseille, 5 novembre 2002, Mme X. (Responsabilité de l'Etat - vaccination obligatoire)

 

Le Tribunal administratif de Marseille décide que la responsabilité de l’Etat est engagée en raison des conséquences dommageables d’une vaccination obligatoire.

En l’espèce, Madame X. a développé une affection (sclérose en plaque) dans le cadre d’une vaccination obligatoire contre l’hépatite B.

La commission des accidents vaccinaux, mise en place dans le cadre de vaccination obligatoire du personnel soignant (Cf. circulaire du 7 septembre 1978), a en effet conclu après expertise que le vaccin contre l’hépatite B pouvait avoir eu un rôle déclenchant ou aggravant de l’état de santé de Madame X. Cette commission a donc proposé une indemnisation que Madame X. a refusé. Elle a déposé une requête auprès du tribunal administratif de Marseille.

Le juge administratif considère que “ l’existence d’une possible prédisposition (à la maladie) n’est pas de nature à entraîner une diminution de la réparation incombant à l’Etat dès lors que seule la vaccination a déclenché l’évolution d’une affection ”.

Par conséquent, “ l’Etat doit être déclaré entièrement responsable des conséquences de l’affection qui s’est développée en conséquence de la vaccination obligatoire réalisée conformément aux dispositions de l’article L.3311-4 du code de la santé publique ”.
 

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

Le Tribunal administratif de MARSEILLE, (3ème chambre),

Audience du 22 octobre 2002
Lecture du 5 novembre 2002

Vu la requête, enregistrée le 19 septembre 2001, présentée pour Mme X., demeurant (…), par Me Gisèle RAYNAUD-BREMOND avocat ;
Mme X. demande que le Tribunal :

- dise que la responsabilité de l’Etat est engagée en raison des conséquences dommageables de a vaccination obligatoire qu’elle a subie ;

- condamne I’Etat à lui verser les sommes de :
270.000 F au titre de l’ITT,
2.522.000 F au titre de I’IPP,
250.000 F au titre du préjudice personnel,
100.000 F au titre du préjudice esthétique,
150.000 F au titre du préjudice d’agrément,
100.000 F au titre du préjudice sexuel,
100.000 F au titre de la souffrance morale de son conjoint et de ses deux filles ;

- condamne l’Etat à lui verser une somme de 10.000 F au titre de l’article 700 du Nouveau code de procédure civile ainsi qu’aux dépens;

Elle soutient que :

- elle a été dans l’obligation de se soumettre à une vaccination obligatoire contre l’hépatite B suite à une circulaire ministérielle obligeant toute personne travaillant en milieu médical à se faire vacciner ;

- les premiers symptômes sont apparus en 1996 et son état s’est ensuite aggravé au point de l’empêcher de travailler ;

- une expertise a été ordonnée et l’expert a admis le lien de causalité avec la vaccination ;

- le tribunal des affaires sanitaires et sociales (TASS) de Marseille a rendu le 6 juillet 2000 un jugement admettant que la pathologie dont souffre Mme X. est en relation directe avec la vaccination obligatoire ;

- elle doit bénéficier des dispositions de l’article L. 311 1-9 du code de la santé publique ;

- elle a saisi la commission de règlement amiable des accidents vaccinaux qui a proposé que lui soit allouée une rente viagère annuelle de 60.000 F ; cette proposition étant dérisoire, Mme X. a saisi la juridiction administrative;

- avant la vaccination, Mme X. avait eu une activité professionnelle à plein temps quelle avait réduite à mi-temps pour s’occuper de ses deux filles et espérait reprendre à plein temps; elle avait de nombreuses activités extra-professionnelles et associatives ; aujourd’hui elle est très fortement diminuée et subit une souffrance physique et morale très grave ;

- l'ITT doit être calculée sur une base de 6.000 F par mois (SMIG) depuis le 1er janvier 1996 jusqu’à la consolidation du 30 septembre 1999, soit 270.000 F ;

- l’IPP évaluée à 60% en 1999 puis à 80 % en 2000 aboutit à une demande d’indemnité de 1.160.000 F ;

- la perte de revenus professionnels ô partir de novembre 1999 et jusqu’à l’âge de la retraite s’établit à 1.092.000 F;

- Mme X. aurait besoin d’une tierce personne mais n’a pas les moyens de la rémunérer ;

- le pretium doloris a été évalué à 5/7 alors qu’elle n’avait pas encore subi les inconvénients de la chimiothérapie ; il pourrait être évalué à 250.000 F;

- du fait de la perte de poids, de la perte des cheveux et de la démarche lente avec canne ou en fauteuil, le préjudice esthétique pourrait être évalué à 100.000 F ;

- du fait de l’impossibilité de se livrer à des activités ludiques et associatives antérieures (peinture, chant), le préjudice d’agrément peut être évalué à 150.000 F;

- le préjudice sexuel, indubitable pour les deux époux, peut être évaluée à 100.000 F ;

- la souffrance morale de tous les jours du conjoint et des enfants peut être évalué à 100.000F ;

- l'indemnité devra être versée sous forme de capital ou subsidiairement sous la forme mixte d’un capital et d’une rente ;

Vu, enregistré le 24 janvier 2002, le mémoire présenté par le ministre de l’emploi et de la solidarité qui conclut à ce que le Tribunal rejette comme non fondée la requête de Mme X. tendant au versement par l’Etat d’un capital de 709.192,81 euros sans s’opposer à une nouvelle estimation de ses préjudices ;

Il soutient que :

- dans la mesure où l’Etat a reconnu l’engagement de sa responsabilité légale en émettant une offre de réparation en application de l’article L. 3111-9 du Code de la santé publique, la requête s’analyse en une demande de réévaluation de l’indemnisation proposée ;

- les dommages imputables à la vaccination contre l’hépatite B des professionnels de santé sont entrés dans le champ d’application du dispositif depuis que l’article 1er de la (art. L. 3111-4 du code de la santé publique) a rendu cette vaccination obligatoire pour les professionnels de santé et les étudiants se préparant à l’exercice d’une profession de santé ;

- la circulaire du 7 septembre 1978 a mis en place une procédure d’indemnisation à caractère amiable et une commission nationale a reçu mission de formuler un avis sur les demandes d’indemnité après expertise par un médecin agréé ;

- dans le cas de Mme X., l’expert a mis en évidence un terrain dysimmunitaire préexistant ;

- le début de l’atteinte neurologique ayant suivi de 4 ans au moins la primo-vaccination ne peut être valablement imputé à celle-ci ; en revanche le rappel quinquennal a été suivi à quelques semaines d’une aggravation du syndrome ;

- l’expert en déduit que l’imputabilité de la vaccination n’est que partielle à hauteur de 50% ;

- il n’est nullement avéré qu’en l’absence de vaccination, Mme X. n’aurait pas continué à développer la pathologie neurologique dont elle situe le début en 1995/96 ;

- la requérante n’a communiqué que des pièces figurant dans le dossier examiné par la commission de règlement amiable ;

- la décision du TASS est complètement étrangère à la procédure de règlement des accidents vaccinaux ;

Vu, enregistré le 1er mars 2002, le mémoire présenté par Me Reynaud-Bremond pour Mme X. qui conclut aux mêmes fins par les mêmes moyens et soutient en outre que :

- I’Etat a accepté de l’indemniser au motif que la vaccination contre l’hépatite B pouvait être regardée comme un facteur déclenchant de son état de santé ;

- le TASS de Marseille a jugé le 6 juillet 2001 que la maladie de Mme X. constituait un accident du travail ;

- l’expert a admis que la pathologie s’est déclarée dans le cadre d’une vaccination obligatoire contre l’hépatite B et que le rappel est en relation directe avec ta pathologie en cause ;

- la sclérose en plaques dont elle souffre est une maladie évolutive qui s’est déclarée très lentement ;

- tenter de mettre en avant un soi disant terrain préexistant n’enlève en rien l’aggravation des troubles provoqués par la vaccination obligatoire contre l’hépatite B ;

- il résulte d’articles de presse que 2000 personnes se disent actuellement victimes du vaccin, 170 procédures sont en cours devant les tribunaux et 5 au pénal ;

- la Cour d’appel de Versailles a jugé par un arrêt du 21 mars 2001 qu’il existe un lien de causalité entre le vaccin contre l’hépatite B et les scléroses en plaques ;

- le dossier et les pièces complémentaires justifiant la demande d’indemnisation de Mme X. ont été réceptionnés le jour même de la réunion de la commission de règlement amiable et après que celle-ci ait décidé du montant à allouer ;

- il serait de bonne justice d’accorder à Mme X. un capital plutôt qu’une rente qui ne lui permet pas de faire face aux réels besoins correspondant à son état d’handicapé et notamment d’adapter son logement et d’acheter un véhicule automatique ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la loi n° 2002-303 du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé ;

Vu le code de la santé publique ;

Vu le code de la sécurité sociale ;

Vu le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du tour de l’audience ;

Après avoir entendu au cours de l’audience publique du 22 octobre 2002 :
- le rapport de M. PAILLET, conseiller ;
- les observations de Me RAYNAUD BREMOND pour Mme X. ;
- et les conclusions de M. FEDOU, commissaire du gouvernement ;

Considérant que Mme X., après avoir refusé comme insuffisante l’offre d’indemnité faite par l’Etat, réclame que celui-ci soit condamné à l’indemniser intégralement des conséquences dommageables du préjudice qu’elle soutient avoir subi en conséquence de la vaccination contre l’hépatite B à laquelle elle a été soumise à partir du 4 octobre 1991 dans le cadre de son activité professionnelle d’agent d’entretien auprès d’une maison de retraite ;

Sur le principe de la responsabilité :

Considérant d’une part qu’aux termes de l’article L. 3111-4 dans sa rédaction résultant de la : “Une personne qui, dans un établissement ou organisme public ou privé de prévention ou de soins, exerce une activité professionnelle l’exposant à des risques de contamination doit être immunisée contre l’hépatite B (…)” ; que selon les dispositions de l’article L. 3111-9 du même code : “Sans préjudice des actions qui pourraient être exercées conformément au droit commun, la réparation d’un dommage imputable à une vaccination obligatoire pratiquée dans les conditions mentionnées au présent chapitre, est supportée par l’Etat” ; que celui-ci ne conteste pas au cas d’espèce que la vaccination contre le virus de l’hépatite B dont a été l’objet Mme X. en octobre, novembre et décembre 1991, avec rappels en décembre 1992 et octobre 1997, entre dans le champ d’application de ces dispositions ;

Considérant d’autre part que l’Etat soutient en défense que l’imputabilité des troubles subis par Mme X. aux opérations de vaccination obligatoire sus évoquées doit être réduite à la moitié de leurs conséquences dommageables dès lors qu’il ressortirait du rapport de l’expert commis dans le cadre de la procédure d’indemnisation amiable que la pathologie neurologique dont est atteinte Mme X. serait au moins pour partie la conséquence de son terrain dysimmunitaire préexistant; que cependant, si les premiers signes de sclérose en plaque ne se sont manifestés que plusieurs années après le début des vaccinations en cause, il n’est pas contesté par le même expert ni par l’Etat que l’aggravation des symptômes de la maladie est directement la conséquence du rappel quinquennal du vaccin effectué en 1997 ; qu’ainsi, et alors qu’antérieurement aux débuts de la vaccination en cause, Mme X. n’avait pas manifesté de signes de la maladie, l’existence d’une possible prédisposition n’est pas de nature à entraîner une diminution de la réparation incombant à l’Etat dès lors que seule la vaccination a déclenché l’évolution d’une affection qui, tant qu’elle restait à l’état latent, ne compromettait pas l’état physique de Mme X. ; que dès lors l’Etat doit être déclaré entièrement responsable des conséquences de l’affection qui s’est développée en conséquence de la vaccination obligatoire réalisée conformément aux dispositions de l’article L 3311-4 précité du code de la santé publique ;

Sur le préjudice :

Considérant d’une part que l’état du dossier ne permet pas au Tribunal de déterminer avec précision l’étendue du préjudice éprouvé par Mme X. dont doit répondre l’Etat ; qu’il convient en premier lieu de prescrire une expertise aux fins ci-après indiquées et en second lieu de demander à Mme X. de préciser les conditions dans lesquelles elle a été amenée à interrompre son activité professionnelle et de produire un état exhaustif des sommes qu’elle a perçues et qu’elle continue à percevoir depuis le déclenchement de l’affection dont elle est atteinte à la suite de la vaccination contre le virus de l’hépatite B ;

Considérant d’autre part que dans l’attente du dépôt du rapport de l’expert il y a lieu de condamner l’Etat à verser à Mme X. une provision de 30.000 euros ;

DECIDE :

Article 1er : L’Etat est déclaré entièrement responsable des conséquences de la vaccination contre l’hépatite B qu’a subie Mme X. à partir d’octobre 1991.

Article 2 : Il sera, avant de statuer sur le préjudice subi par Mme X., procédé à une expertise médicale.

Article 3 : L’expert sera désigné par le Président du Tribunal. Il accomplira sa mission dans les conditions prévues par les articles R. 621-2 à R. 621-14 du code de justice administrative.

L’expert aura pour mission :

1) de préciser la date à partir de laquelle se sont manifestés les troubles découlant de la sclérose en plaques dont est atteinte Mme X., et spécialement celle à laquelle son état de santé est devenu incompatible avec la poursuite d’une activité professionnelle,

2) d’évaluer le taux et la durée des périodes d’incapacité temporaire partielle ou totale, l’évolution du taux d’incapacité permanente partielle, les souffrances physiques, le préjudice esthétique et le préjudice d’agrément éventuellement éprouvés par Mme X.,

3) d’évaluer la nécessité éventuelle et le temps de présence d’une tierce personne au regard de l’état de santé de l’intéressée.

Article 4 : L’expert, pour l’accomplissement de sa mission, examinera Mme X. et se fera communiquer tous documents relatifs à son état de santé et notamment ceux intéressant les examens et traitements qu’elle a subis depuis les vaccinations obligatoires intervenues à partir de 1991. Il déposera son rapport en cinq exemplaires dans un délai de quatre mois à compter de la réception du présent jugement.

Article 5 : L’expertise sera réalisée au contradictoire de Mme X., de l’Etat et de la caisse primaire centrale d’assurance maladie des Bouches du Rhône.

Article 6 : Mme X. est invitée d’une part à fournir au Tribunal dans un délai de trois mois tous éléments permettant d’établir les conditions dans lesquelles elle a été amenée à cesser son activité professionnelle et d’autre part à produire un état exhaustif des sommes qu’elle a perçues et continue à percevoir depuis le déclenchement de l’affection dont elle est atteinte à la suite des vaccinations contre le virus de l’hépatite B.

Article 7 : L’Etat est condamné à verser à Mme X. une provision de 30.000 (trente mille) euros.

Article 8 : Tous droits et moyens des parties sur lesquels il n’est pas expressément statué par le présent jugement sont réservés jusqu’en fin d’instance.

Article 9 : Le présent jugement sera notifié à Mme X., au ministre de la santé et à la caisse primaire centrale d’assurance maladie des Bouches du Rhône.

Délibéré à l’issue de l’audience du 22 octobre 2002.
Prononcé en audience publique le 5 novembre 2002.