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Tribunal administratif de Paris, 24 mars 2009, n° 0516334/6-2 (Infections nosocomiales – Cause étrangère)

Un patient a été hospitalisé dans un service d’ophtalmologie, au sein d’un hôpital de l’AP-HP, afin d’y être traité pour un œdème rétinien maculaire, par injection médicamenteuse d’un anti-inflammatoire cortisonique à l’intérieur de l’œil. Le lendemain, ce patient a ressenti une impression de voile et de points noirs et le surlendemain, il a souffert de son œil gauche et constaté une baisse visuelle très importante. Des prélèvements, réalisés trois jours après l’infiltration, ont permis d’isoler un staphylocoque doré comme étant le germe infectieux à l’origine de cette endophtalmie. Il résulte de l’instruction que l’œil gauche était stérile avant la réalisation de l’infiltration. Dès lors et compte tenu du délai d’apparition du phénomène infectieux, le tribunal considère que le requérant doit être regardé comme établissant le caractère nosocomial de cette infection. Le tribunal relève que le service hospitalier avait pris toutes les précautions d’usage et que, comme l’a indiqué le rapport de l’expert, on peut concevoir que la contamination a eu lieu à partir de la flore propre du patient, compte tenu du fait que le germe à l’origine de l’infection est généralement considéré comme un germe de ville par opposition aux germes résistants par sélection qui sont plus souvent observés dans les hôpitaux. Par ailleurs, comme le souligne l’expert, la circonstance que le patient était sous l’effet d’un traitement immunodépresseur a constitué un facteur favorisant l’infection, en altérant les défenses de l’organisme contre une infiltration bactérienne. Toutefois, le tribunal rappelle, qu’en application de l’article L. 1142-1 I du Code de la santé publique, les établissements, services et organismes susmentionnés sont responsables des dommages résultant d’infections nosocomiales sauf s’ils rapportent la preuve d’une cause étrangère et considère que l’AP-HP ne peut être regardée comme établissant, sur la base de ces circonstances, que l’infection dont a été victime le requérant serait imputable à une cause étrangère.

TRIBUNAL ADMINISTRATIF DE PARIS

0516334/6-2

M. Laurent, président,

M. Biju-Duval, premier conseiller,

Mlle Barthélemy, conseiller,

Audience du 10 mars 2009

Lecture du 24 mars 2009

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

Vu la requête, enregistrée le 13 octobre 2005, présentée pour M., demeurant ..., par Me ... ; M. demande au tribunal :

1°) de dire et juger qu'il a été victime d'une infection nosocomiale survenue le 15 novembre 2004 au décours d'une opération chirurgicale ;

2°) de condamner l'Assistance publique – Hôpitaux de Paris à l'indemniser de l'ensemble des séquelles en rapport avec cette infection ;

3°) de surseoir à statuer dans l'attente du dépôt du rapport de l'expertise sollicitée par voie de référé ;

4°) de mettre à la charge de l'Assistance publique - Hôpitaux de Paris la somme de 2 500 euros sur le fondement de l'article L.761-1 du code de justice administrative ;

Vu le mémoire, enregistré le 16 décembre 2005, présenté par la CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE (Service Recours Tiers), dont le siège est ..., qui demande au Tribunal de condamner, le cas échéant, l'Assistance publique – Hôpitaux de Paris à lui rembourser le montant des débours qu'elle a versés pour le compte de M., avec intérêts de droit, et 760 euros d'indemnité forfaitaire ;

Vu le mémoire en défense, enregistré le 6 novembre 2008, présenté par le directeur général de l'Assistance publique - Hôpitaux de Paris, qui conclut au rejet de la requête ;

Vu le nouveau mémoire, enregistré le 28 novembre 2008, présenté pour M. par Me ..., qui conclut aux mêmes fins que la requête initiale ;

Vu le nouveau mémoire, enregistré le 14 janvier 2009, présenté par le directeur général de l'Assistance publique - Hôpitaux de Paris, qui conclut aux mêmes fins que ses précédentes écritures, et fait valoir, à titre subsidiaire, que les prétentions indemnitaires du requérant sont excessives ; qu'il ne justifie d'aucune perte salariale ;

Vu le mémoire, enregistré le 16 janvier 2009, présenté par la CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE, qui conclut aux mêmes fins que ses précédentes écritures, par les mêmes moyens, et indique que le montant de ses débours s'élève à 5 187,43 euros, soit un montant global de 6 142,43 euros incluant l'indemnité de gestion ;

Vu la mise en demeure adressée le 14 octobre 2008 au directeur général de l'assistance publique - Hôpitaux de Paris, en application de l'article R. 612-3 du code de justice administrative, et l'avis de réception de cette mise en demeure ;

Vu l'ordonnance en date du 8 décembre 2008 fixant la clôture d'instruction au 15 janvier 2009, en application des articles R. 613-1 et R. 613-3 du code de justice administrative ;

Vu l'ordonnance en date du 20 janvier 2009 fixant la réouverture de l'instruction, en application de l'article R. 613-4 du code de justice administrative ;

Vu la décision, en date du 23 août 2005, par laquelle l'Assistance publique – Hôpitaux de Paris a rejeté la demande d'indemnisation présentée par M. ;

Vu l'entier dossier de l'instance en référé administratif, enregistrée sous le numéro 0516884, y compris l'ordonnance, en date du 13 décembre 2005, le rapport d'expertise établi par M. ... et son sapiteur M. ..., enregistré le 18 octobre 2006, et l'ordonnance, en date du 1' décembre 2006, par laquelle le président du Tribunal de céans a liquidé et taxé les frais et honoraires de l'expertise, y inclus les frais du sapiteur, à la somme de 2 000 euros ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code de la santé publique ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 10 mars 2009 :

- le rapport de M. Biju-Duval, rapporteur ;

- les observations de Me ..., substituant Me ..., représentant M. ;

- les conclusions de M. Julinet, Rapporteur public ;

- et les brèves observations de Me ... ;

Sur la fin de non-recevoir opposée par l'Assistance publique – Hôpitaux de Paris, tirée de l'irrecevabilité de la requête :

Considérant que M. a chiffré ses prétentions indemnitaires dans son mémoire communiqué après le dépôt du rapport de l'expert ; que, dès lors, la fin de non recevoir susvisée opposée par l'Assistance publique – Hôpitaux de Paris, et tirée du défaut de chiffrage de ces conclusions, ne peut qu'être écartée ;

Sur la responsabilité :

Considérant qu'aux termes du I de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique : « (...) Les établissements, services et organismes susmentionnés sont responsables des dommages résultant d'infections nosocomiales sauf s'ils rapportent la preuve d'une cause étrangère. » ;

Considérant qu'il est constant que M. a été hospitalisé le 15 novembre 2004 dans le service d'ophtalmologie de ... pour y être traité pour un oedème rétinien maculaire, par injection médicamenteuse d'un anti-inflammatoire cortisonique à l'intérieur de l'oeil ; que, le lendemain, il a ressenti une impression de voile et de points noirs, et, le surlendemain 17 novembre, il a souffert de son oeil gauche et constaté une baisse visuelle très importante ; que son médecin traitant, chez qui il s'est rendu dans l'après-midi, a diagnostiqué une endophtalmie ; que les prélèvements réalisés le 18 novembre, soit trois jours après l'infiltration, ont permis d'isoler un Staphylocoque doré (aureus) comme étant le germe infectieux à l'origine de cette endophtalmie ;

Considérant, en premier lieu, qu'il résulte de l'instruction, et notamment du rapport de l'expert nommé par le Tribunal dans le cadre d'une instance en référé, que l'oeil gauche de M. était stérile avant l'infiltration pratiquée le 15 novembre 2004 ; que, dès lors, et compte tenu du délai d'apparition du phénomène infectieux, le requérant doit être regardé comme établissant le caractère nosocomial de cette infection, alors même que l'expert, tout en affirmant en conclusion de son rapport qu'« Il s'agit d'une infection nosocomiale », indique également que les séquelles imputables à cette infection « sont le résultat (...) - d'un aléa thérapeutique : une infection oculaire (...) – d'un facteur favorisant (...) – d'un mauvais pronostic de l'affection pour laquelle l'injection médicamenteuse incriminée a été réalisée (...) » ;

Considérant, en second lieu, comme le fait valoir l'Assistance publique – Hôpitaux de Paris en défense, qu'il résulte également de l'instruction, et notamment du rapport de l'expert, que le service hospitalier avait pris toutes les précautions d'usage, et que, comme l'indique l'expert, « on peut concevoir que la contamination a eu lieu à partir de la flore propre du patient », compte tenu du fait que le germe à l'origine de l'infection est « généralement considéré comme un germe de « ville » par opposition aux germes résistants par sélection qui sont plus souvent observés dans les hôpitaux » ; que, par ailleurs, comme le souligne également l'expert, la circonstance que M. était sous l'effet d'un traitement immunodépresseur a constitué un facteur favorisant l'infection, en altérant les défenses de l'organisme contre une infiltration bactérienne ; que, toutefois, l'Assistance publique – Hôpitaux de Paris ne peut être regardée comme établissant, sur la base de ces circonstances, que l'infection dont a été victime le requérant serait imputable à une cause étrangère ;

Considérant qu'il résulte de l'ensemble de ce qui précède que M. est fondé, en application des dispositions précitées du code de la santé publique, à demander que l'Assistance publique – Hôpitaux de Paris soit condamnée à réparer les conséquences dommageables de l'infection dont il a été atteint ;

Sur le préjudice :

Considérant qu'aux termes de l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale, « Lorsque, sans entrer dans les cas régis par les dispositions législatives applicables aux accidents du travail, la lésion dont l'assuré social ou son ayant droit est atteint est imputable à un tiers, l'assuré ou ses ayants droit conserve contre l'auteur de l'accident le droit de demander la réparation du préjudice causé, conformément aux règles du droit commun, dans la mesure où ce préjudice n'est pas réparé par application du présent livre. - Les caisses de sécurité sociale sont tenues de servir à l'assuré ou à ses ayants droit les prestations prévues par le présent livre, sauf recours de leur part contre l'auteur responsable de l'accident dans les conditions ci-après. - Los recours subrogatoires des caisses contre les tiers s'exercent poste par poste sur les seules indemnités qui réparent des préjudices qu'elles ont pris en charge, à l'exclusion des préjudices à caractère personnel. (...) » ;

En ce qui concerne les dépenses de santé :

Considérant, que la CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE justifie des frais médicaux et pharmaceutiques ainsi que des frais d'hospitalisation qu'elle a pris en charge pour le compte de M. pour un montant de 5 187,43 euros ; que, l'Assistance publique – Hôpitaux de Paris n'ayant pas utilement contesté l'imputabilité de ces sommes à l'infection litigieuse, il sera fait une exacte appréciation des dépenses de santé à mettre à sa charge en retenant ce montant ; que M. n'a pas fait état d'autres dépenses de santé ;

En ce qui concerne le préjudice personnel :

Considérant, en premier lieu, qu'il résulte de l'instruction, et notamment du rapport d'expertise, que, malgré les traitements entrepris, qui ont permis de juguler l'infection, la dégradation visuelle qui affectait M. s'est poursuivie jusqu'au stade actuel de quasi-cécité de l'oeil gauche ; que l'hospitalisation du requérant est entièrement imputable à l'infection survenue ; que l'expert a retenu une période d'incapacité temporaire totale de trois mois et demi ; que le requérant souffre aujourd'hui de photophobie, ne regarde plus la télévision, a abandonné les activités sportives qu'il pratiquait antérieurement, ne va plus au cinéma, est victime de maladresses et de chutes, du fait qu'il perçoit mal les obstacles ; que l'expert indique que l'infection dont M. a été victime n'est que l'une des causes des séquelles dont il reste atteint, ces dernières étant également imputables, notamment, au « mauvais pronostic spontané de l'affection pour laquelle l'injection médicamenteuse incriminée a été réalisée », en l'espèce un oedème rétinien maculaire aggravant une maladie ischémique de la rétine ; que l'expert a évalué à 23 % le taux d'incapacité permanente partielle lié à la quasi-cécité de l'oeil gauche (vision 1/20ème), alors que cette vision était d'1/10ème avant le 15 novembre 2004, soit un taux de 16 % ; que, dès lors, compte tenu de l'ensemble des circonstances ci-dessus rappelées, ainsi que du taux d'incapacité permanente partielle directement imputable à cette infection, et en y incluant le préjudice d'agrément ci-dessus mentionné, il sera fait une juste appréciation des troubles dans les conditions d'existence du requérant, dans leur dimension non pécuniaire, en les fixant à 8 500 euros, à mettre à la charge de l'Assistance publique – Hôpitaux de Paris ;

Considérant, en deuxième lieu, qu'il résulte de l'instruction, et notamment du rapport d'expertise, que M. a ressenti de vives douleurs le 17 novembre 2004, ainsi que les jours suivants ; qu'il a subi deux interventions dans le cadre du traitement de son endophtalmie, respectivement le 18 novembre et le 29 novembre 2004 ; qu'il sera fait une juste appréciation des souffrances qu'il a endurées, et qui ont été évaluées par l'expert à un niveau 3 sur une échelle de 7, en retenant le montant de 3 000 euros au titre de ce poste de préjudice ;

Considérant, en troisième lieu, que l'expert a retenu un préjudice esthétique très léger, correspondant à une légère ptose de l'oeil gauche, dont il sera fait une juste appréciation en le fixant à hauteur de 500 euros ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède que le préjudice total de M. s'élève à la somme de 17 187, 43 euros, qui doit être mise à la charge de l'Assistance publique – Hôpitaux de Paris ;

Sur les droits de M. :

Considérant que M. est fondé à demander que l'Assistance publique – Hôpitaux de Paris soit condamnée à lui verser la part correspondant aux préjudices personnels qu'il a subis, selon les montants retenus ci-dessus, soit la somme de 12 000 euros ;

Sur les droits de la CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE :

Considérant que la CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE est fondée à demander que l'Assistance publique soit condamnée à lui rembourser le montant de 5 187,43 euros au titre des débours qu'elle a versés à M., assortie d'un montant de 955 euros au titre de l'indemnité de gestion, soit un montant global de 6 142,43 euros ;

Sur les intérêts et la capitalisation des intérêts :

Considérant que M. a droit à ce que l'indemnité qui lui est accordée par le présent jugement soit majorée des intérêts de droit, à compter, comme il le demande, de la date d'introduction de sa requête au fond, soit le 13 octobre 2005 ;

Considérant que la CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE a droit à ce que l'indemnité qui lui est accordée par le présent jugement soit majorée des intérêts de droit, à compter de sa première demande, soit le 16 décembre 2005 ;

Considérant que la CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE a demandé la capitalisation des intérêts par un mémoire enregistré le 16 janvier 2009 ; qu'à cette date, des intérêts étaient dus pour une année entière ; qu'il y a lieu, dès lors, de faire droit à cette demande ;

Sur les frais d'expertise :

Considérant qu'il y a lieu, en application de l'article R. 761-1 du code de justice administrative, de mettre les frais d'expertise, liquidés et taxés par ordonnance du président du Tribunal en date du 1 décembre 2006, y inclus le montant de l'allocation provisionnelle, à la somme de 2 000 euros, dont 1 000 euros représentent les frais du sapiteur, à la charge de l'Assistance publique – Hôpitaux de Paris ;

DECIDE :

Article 1er : Le présent jugement est déclaré commun à M. et à la CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE.

Article 2 : L'Assistance publique – Hôpitaux de Paris est condamnée à verser à M. la somme de 12 000 (douze mille) euros, assortie des intérêts de droit à compter du 13 octobre 2005.

Article 3 : L'Assistance publique – Hôpitaux de Paris est condamnée à verser à la CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE la somme de 6 142,43 euros (six mille cent quarante-deux euros et quarante-trois centimes), assortie des intérêts de droit à compter du 16 décembre 2005. Les intérêts échus le 16 janvier 2009 porteront eux-mêmes intérêt, à cette date et à chaque échéance annuelle ultérieure.

Article 4 : Les frais d'expertise, liquidés et taxés à la somme de 2 000 (deux mille) euros sont mis à la charge de l'Assistance publique – Hôpitaux de Paris.

Article 5 : L'Assistance publique – Hôpitaux de Paris versera à M. la somme de 1 000 (mille) euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 6 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.

Article 7 : Le présent jugement sera notifié à M., à la CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE et au directeur général de l'Assistance publique - Hôpitaux de Paris. Copie du jugement sera transmise, pour information, à M., sapiteur, et à M., expert.

Délibéré après l'audience du 10 mars 2009, à laquelle siégeaient :

M. Laurent, président,

M. Biju-Duval, premier conseiller,

Mlle Barthélemy, conseiller,

Lu en audience publique le 24 mars 2009.