Melle N, alors âgée de dix huit ans, est admise au sein d'un service des urgences d'un CHU, le 26 décembre 2001, en raison de son comportement considéré comme à risque. Un neuroleptique sédatif lui est administré afin de limiter ses possibles débordements. Une fois les effets du sédatif dissipés, elle est examinée par le psychiatre de garde qui décide de l'hospitaliser en psychiatrie sous contrainte. Dans l'attente de son transfert vers un hôpital habilité à recevoir des patients sous contrainte, la patiente est attachée sur un brancard, en face du bureau de consultation de psychiatrie. Elle est rattrapée une première fois par le personnel après avoir réussi à se détacher. Elle réussit à se détacher une seconde fois, malgré son maintien sur un brancard par des contentions. Son absence est constatée vers 21 heures. Elle est retrouvée environ 10 minutes plus tard au pied du bâtiment situé du côté opposé au service des urgences d'où elle a chuté du 2ème ou 3ème étage.
Elle est conduite dans le service de réanimation et prise en charge pour un polytraumatisme. Entre décembre 2001 et octobre 2004, Melle N a subi de nombreuses interventions chirurgicales et séances de rééducation et conserve des séquelles de sa chute. Melle N souhaite engager la responsabilité du CHU estimant que les moyens mis en œuvre par le CHU au moment de sa prise en charge ont été insuffisants et n'ont pas permis de prévenir sa tentative de suicide.
Le Tribunal administratif de Paris rejette sa requête considérant que "dans l'attente de son transfert, Melle N a été placée sur un brancard, avec des contentions, sous la surveillance du personnel soignant ; que si l'expert souligne qu'il est regrettable qu'elle n'ait pas pu être placée dans un local fermé, compte tenu du caractère et des moyens du service, aucun défaut de surveillance susceptible d'engager la responsabilité du CHU ne peut être retenu".
Vu la requête, enregistrée le 29 septembre 2011, et le mémoire complémentaire, enregistré le 9 février 2012, présentés pour Mlle ..., demeurant au ..., par Me Mor ; Mlle ... demande au juge des référés :
- de condamner l'Assistance publique-hôpitaux de Paris (AP-HP) à lui verser la somme de 480 000 euros à titre de provision au titre du préjudice résultant de sa prise en charge à l'hôpital ..., établissement relevant de l'AP-HP, sur le fondement des dispositions de l'article R. 541-1 du code de justice administrative ;
- de mettre à la charge de l'Assistance publique-hôpitaux de Paris la somme de 4 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Elle soutient que:
- sa créance n'est pas contestable, dès lors qu'il résulte du rapport d'expertise que les moyens mis en oeuvre par l'hôpital ... au moment de sa prise en charge ont été insuffisants et n'ont pas permis de prévenir sa tentative de suicide ; cette insuffisance est constitutive d'une faute de surveillance et révèle un défaut d'organisation du service hospitalier ;
- L'Assistance publique - hôpitaux de Paris doit être condamnée à réparer les préjudices qui en résultent et à lui verser, à titre de provision, la somme de 480 000 euros, décomposée comme suit : 31 650 euros au titre de l'aide temporaire par une tierce personne, 8 000 euros au titre des frais de déplacement divers, 38 000 euros en réparation de ses pertes de gains professionnels actuels, 30 000 euros au titre des frais de véhicule adapté, 188 238,12 euros au titre de l'assistance permanente par une tierce personne, 50 000 euros au titre de l'incidence professionnelle, 65 000 euros en réparation des souffrances endurées, 3 000 euros au titre de son préjudice esthétique temporaire, 65 000 euros au titre de son déficit fonctionnel permanent, 20 000 euros en réparation de son préjudice d'agrément et 15 000 euros au titre de son préjudice sexuel ;
- l'évaluation du montant à lui allouer en réparation des dépenses de santé actuelles et futures et de la perte de gains professionnels futurs devra faire l'objet d'une estimation ultérieu ;
Vu le mémoire, enregistré le 6 décembre 201 l, présenté par la caisse régionale d'assurance maladie d'Ile-de-France (CRAMIF) ; la CRAMIF demande au juge des référés :
- de dire que l'indemnité provisionnelle ne s'imputera ni sur l'incidence professionnelle ni sur le déficit fonctionnel permanent ;
- de mettre à la charge de l'AP-HP une somme de 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
la CRAMIF soutient que :
- sa créance s'élève à 167 217,19 euros en application de l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale ; elle devra s'imputer par priorité sur l'incidence professionnelle et les pertes de gains professionnels futurs et pour le reliquat sur le déficit fonctionnel permanent et temporaire (DFP, DFT) ;
- elle sert à la requérante une pension d'invalidité de deuxième catégorie depuis le 27 décembre 2004 ;
Vu le mémoire en défense, enregistré le 13 janvier 2012, présenté pour l'AP-HP ; l'AP-HP conclut, à titre principal, au rejet de la requête, et, à titre subsidiaire, à ce que le montant de la provision réclamée par Mlle ... soit ramené à de plus justes proportions ;
L'AP-HP soutient que
- il existe un doute sérieux sur la responsabilité de l'établissement hospitalier ; en effet, la requérante devait être transférée dans un établissement psychiatrique et attendait son transfert au sein du service des urgences, service qui ne dispose pas de chambre d'isolement, sanglée sur un brarcard ;
- l'évaluation de la provision demandée est contestable ; les frais de déplacements divers ne sont pas justifiés ; l'expert n'a pas retenu de préjudice professionnel actuel et futur ni de préjudice au titre de l'incidence professionnelle ; il n'a pas retenu non plus la nécessité d'un véhicule adapté ou du recours à une tierce personne, ayant seulement préconisé la nécessité d'une aide-ménagère à raison de deux heures par semaine ; l'expert n'a retenu aucun préjudice sexuel ;
- les évaluations retenues au titre des souffrances endurées, du préjudice esthétique, du déficit fonctionnel permanent et du préjudice d'agrément devront être réduites à une juste mesure ;
- la requête de la CRAMIF ne peut qu'être écartée car l'obligation est sérieusement contestable ;
Vu le mémoire, enregistré le 19 avril 2012, présenté pour la caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) du Val-d'Oise, par Me Legrandgerard, qui conclut à ce que la provision éventuellement allouée s'impute exclusivement sur le préjudice personnel de Mlle ... et à ce que soit mise à la charge de l'AP-HP la somme de 1 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
La CPAM du Val-d'Oise soutient qu'elle a versé à son assurée une somme de 236 889,08 euros qui doit s'imputer sur le préjudice personnel de la victime ;
Vu l'ordonnance du 23 mars 2007 par laquelle le Tribunal a confié une expertise médicale à M. Mahé et a désigné un sapiteur, M. Laigneau ;
Vu les deux rapports d'expertise déposés au greffe du Tribunal le 29 septembre 2011 ;
Vu la décision par laquelle le président du tribunal a désigné Mme Jacquier, président, commue juge des référés ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code de la sécurité sociale ;
Vu le code de la santé publique ;
Vu le code de justice administrative ;
Sur la demande de provision de Mlle ...:
Considérant qu'aux termes de l'article R. 541-1 du code de justice administrative : « Le juge des référés peut, même en l'absence d'une demande au fond, accorder une provision au créancier qui l'a saisi lorsque l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable. Il peut, même d'office, subordonner le versement de la provision à la constitution d'une garantie. » ;
Considérant qu'aux termes de l'article L. 1142-1 I du code de la santé publique : « Hors le cas où leur responsabilité est encourue en raison d'un défaut d'un produit de santé, les professionnels de santé mentionnés à la quatrième partie du présent code, ainsi que tout établissement, service ou organisme dans lesquels sont réalisés des actes individuels de prévention, de diagnostic ou de soins ne sont responsables des conséquences dommageables d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins qu'en cas de faute, » ;
Considérant qu'il résulte de l'instruction, et notamment du rapport d'expertise, que Melle ..., alors âgée de dix-huit ans, a été admise aux urgences de l'hôpital ..., le 26 décembre 2001, en raison de son comportement considéré comme à risque ; qu'un neuroleptique sédatif lui a été administré afin de limiter ses possibilités de débordements ; qu'une fois les effets du sédatif dissipés, elle a été examinée par le psychiatre de garde, vers vingt heures, lequel a identifié l'existence d'un délire de persécution et d'idées suicidaires justifiant une hospitalisation en psychiatrie, sous contrainte ; que compte tenu de l'impossibilité de trouver un tiers familial pour signer la demande d'hospitalisation, l'administrateur de garde a été sollicité à cette fin ; que dans l'attente de ce transfert, Mlle ...a été attachée sur un brancard, en face du bureau de consultation de psychiatrie ; qu'elle a été rattrapée par le personnel après avoir réussi à se détacher une première fois ; qu'elle réussit à se détacher une seconde fois malgré son maintien sur le brancard par des contentions; que son absence a été constatée vers vingt-et-une heures; qu'elle a été retrouvée vers vingt-et-une- heures dix au pied du bâtiment situé du côté opposé aux urgences d'où elle avait chuté du 2è ou 3è étage, conduite au service de réanimation et prise en charge pour un polytraumatisme ;qu'elle présentait une fracture ouverte du coude gauche avec notamment une fracture bi- focale du cubitus gauche, une fracture luxation complexe ouverte du poignet droit, une fracture luxation bilatérale des deux cotyles, une plaie frontale, un pneumothorax gauche et un rein gauche muet en raison d'une dissection de l'artère rénale gauche ; qu'entre décembre 2001 et octobre 2004, Mme ... a subi de nombreuses interventions chirurgicales et séances de rééducation nécessitées par les séquelles de sa chute ;
Considérant, en premier lieu, qu'il résulte de l'instruction, en particulier du rapport de l'expert déposé le 29 septembre 2011, que le diagnostic psychiatrique ayant fait apparaître des troubles mentaux, une hospitalisation sous contrainte était décidée et que le transfert de Mlle ...vers un service psychiatrique s'imposait ;
Considérant, en second lieu, que dans l'attente de ce transfert, Mlle ...a été placée sur un brancard, avec des contentions, sous la surveillance du personnel soignant ; que si l'expert souligne qu'il est regrettable qu'elle n'ait pu être placée dans un local fermé, compte tenu du caractère et des moyens du service, aucun défaut de surveillance susceptible d'engager la responsabilité de l'AP-HP ne peut être retenu; que, par suite, l'existence d'une obligation non sérieusement contestable n'est pas établie en l'espèce ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que la requête de Mlle ... doit être rejetée ;
Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L.761-1 du code de justice administrative :
Considérant qu'aux termes de l'article L.761-1 du code de justice administrative : « Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation éconernique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, due qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation. » ;
Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'AP-HP qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, les sommes que Mlle ..., la CRAMIF d'Ile-de-France et la CPAM du Val-d'Oise demandent au titre des frais exposés par elles et non compris dans les dépens ;
ORDONNE
Article 1er : La requête de Mlle ...est rejetée.
Article 2 : Les conclusions de la CRAMIF d'Ile-de-France et de la CPAM du Val-d'Oise au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : La présente ordonnance sera notifiée à Mme ..., à la caisse régionale d'assurance maladie d'Ile-de-France, à la caisse primaire d'assurance maladie du Val d'Oise et à l'Assistance publique-hôpitaux de Paris.
Article 2 : Les conclusions de la CRAMIF d'Ile-de-France et de la CPAM du Val-d'Oise au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : La présente ordonnance sera notifiée à Mme ..., à la caisse régionale d'assurance maladie d'Ile-de-France, à la caisse primaire d'assurance maladie du Val d'Oise et à l'Assistance publique-hôpitaux de Paris.