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CAA de Paris, 19 mars 2008 n° 05PA04062 (Absence de responsabilité de l'AP-HP - produits de santé issus du corps humain)

La CAA de Paris a considéré qu’à supposer même que la contamination dont le patient a été victime lors de la première intervention ait pu provenir dudit greffon et que le régime de responsabilité sans faute du service public hospitalier à raison des conséquences dommageables pour les usagers de la défaillance des produits et appareils de santé qu'il utilise soit transposé aux éléments du corps humain implantés dans le corps d'un patient à des fins thérapeutiques, la responsabilité de l’AP-HP ne saurait être engagée dès lors que la transplantation en cause a été effectuée dans une situation d'urgence qui la rendait impérative compte tenu de l'évolution extrêmement préoccupante du cancer du foie dont le patient souffrait, cette greffe ayant, de l'avis même de l'expert, sauvé la vie de l'intéressé.

Cour Administrative d'Appel de Paris

N° 05PA04062

Inédit au recueil Lebon

3ème chambre

Mme CARTAL, président
Mme FLORENCE MALVASIO, rapporteur
M. JARRIGE, commissaire du gouvernement
FARTHOUAT, avocat

lecture du mercredi 19 mars 2008

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la requête, enregistrée le 7 octobre 2005, présentée pour la CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DU TARN ET GARONNE, dont le siège est 592 Boulevard Blaise Doumerc BP 778 à Montauban cedex (82015), par Me Bossu ; la CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DU TARN ET GARONNE demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement n° 00-3646/1 et 00-3647/1 en date du 21 juillet 2005 par lequel le Tribunal administratif de Melun a rejeté sa demande tendant à ce que les responsables de la contamination de M. X par le virus de l'hépatite C soient condamnés à lui verser la somme de 160 331, 05 euros augmentée des intérêts au taux légal à compter du 14 juin 2000 ainsi que la somme de 1 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

2°) de condamner l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris à lui verser la somme de 160 331, 05 euros augmentée des intérêts au taux légal à compter de chacun des mémoires par application de l'article 1153 du code civil ainsi que la somme de 1 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la loi n° 2002-203 du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité des systèmes de santé ;

Vu le code de la santé publique ;

Vu le code de la sécurité sociale ;

Vu le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 5 mars 2008 :

- le rapport de Mme Malvasio, rapporteur,
- les observations de Me Tsouderos, pour l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris et celles de Me Audoux, pour l'Etablissement français du sang,
- les conclusions de M. Jarrige, commissaire du gouvernement,
- connaissance prise de la note en délibéré présentée le 5 mars 2008 pour l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris,
- et connaissance prise de la note en délibéré présentée le 7 mars 2008 pour M. et Mme X ;

Sur l'appel principal de la CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DU TARN ET GARONNE :

Considérant, en premier lieu, que la CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DU TARN ET GARONNE demande la réformation du jugement attaqué en ce que le Tribunal administratif de Melun a considéré que la responsabilité de l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris n'était pas engagée à raison de la contamination par le virus de l'hépatite C dont M. X a été victime et rejeté ses conclusions tendant au remboursement des débours résultés pour elle de la prise en charge de l'assuré ;

Considérant qu'aux termes de l'article 102 de la loi du 4 mars 2002 susvisée : « En cas de contestation relative à l'imputabilité d'une contamination par le virus de l'hépatite C antérieure à la date d'entrée en vigueur de la présente loi, le demandeur apporte des éléments qui permettent de présumer que cette contamination a pour origine une transfusion de produits sanguins labiles ou une injection de médicaments dérivés du sang. Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que cette transfusion n'est pas à l'origine de la contamination. Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles. Le doute profite au demandeur. / Cette disposition est applicable aux instances en cours n'ayant pas donné lieu à une décision irrévocable » ;

Considérant qu'il résulte de l'instruction et, en particulier, du rapport de l'expertise effectuée par le professeur Y, chef du service des maladies infectieuses à l'hôpital Saint Louis, en date du 5 juin 1998, que M. X, alors âgé de 38 ans, a subi une première transplantation hépatique, le 16 septembre 1986, à l'hôpital Paul Brousse de Villejuif au cours de laquelle des produits sanguins lui ont été administrés ;
que, du fait de la détérioration de l'état de santé du patient, qui présentait une réplication du virus de l'hépatite B et une évolution vers une hépatite chronique très active cirrhogène, une deuxième transplantation a été effectuée dans le même établissement, le 4 juillet 1991, nécessitant également des transfusions sanguines, à la suite de laquelle M. X a été victime d'une hémiplégie du côté gauche ;
que lors d'une nouvelle hospitalisation, au mois de janvier 1993, des tests sérologiques ont mis en évidence sa contamination par le virus de l'hépatite C, ce qui conduisit à une troisième transplantation, effectuée le 24 août 1995, toujours dans le même établissement, pour cirrhose post hépatique C sur greffon ;
que, s'agissant de la contamination par le virus de l'hépatite C, l'expert conclut sans ambiguïté qu'il est « certain que l'infection par le virus de l'hépatite C a été acquise lors de la première transplantation » mais qu'il est « impossible de dire, compte tenu des données disponibles si la contamination de M. X lors de sa première transplantation a été acquise à partir du greffon ou des produits sanguins transfusés », l'expert relevant néanmoins que le greffon avait été prélevé sur un donneur à risque d'infection par le virus de l'hépatite C, car toxicomane ;
qu'à supposer même que la contamination dont M. X a été victime lors de la première intervention ait pu provenir dudit greffon et que le régime de responsabilité sans faute du service public hospitalier à raison des conséquences dommageables pour les usagers de la défaillance des produits et appareils de santé qu'il utilise soit transposé aux éléments du corps humain implantés dans le corps d'un patient à des fins thérapeutiques, la responsabilité de l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris ne saurait en l'espèce être engagée dès lors que la transplantation en cause a été effectuée dans une situation d'urgence qui la rendait impérative compte tenu de l'évolution extrêmement préoccupante du cancer du foie dont M. X souffrait, cette greffe ayant, de l'avis même de l'expert, sauvé la vie de l'intéressé ;
que la CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DU TARN ET GARONNE n'est dès lors pas fondée à soutenir que le tribunal administratif a considéré à tort que la responsabilité de l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris n'était pas engagée du fait de la contamination au virus de l'hépatite C contractée lors de la première intervention ;

Considérant, en deuxième lieu, que la CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DU TARN ET GARONNE soutient que l'hémiplégie consécutive à la deuxième intervention pratiquée sur M. X, dont le tribunal administratif a jugé qu'elle révélait une faute médicale de nature à engager la responsabilité de l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris, doit être rattachée à la contamination par le virus de l'hépatite C contractée par M. X lors de la première intervention dans la mesure où la deuxième transplantation a été rendue nécessaire du fait de l'hépatite chronique et de la cirrhose liées à la contamination survenue lors de la première et que réparation lui est due au titre des frais engagés par elle du fait des conséquences dommageables des deux interventions sans qu'il y ait lieu d'opérer de distinction entre les frais afférents aux conséquences de la contamination par le virus de l'hépatite C et ceux liés à l'hémiplégie ;

Considérant toutefois qu'il ressort de l'expertise que, nonobstant la circonstance que l'hémiplégie survenue à l'issue de la deuxième intervention ne se serait pas produite s'il n'avait pas été nécessaire d'opérer à nouveau M. X du fait de la cirrhose post-hépatique développée à la suite de sa contamination par le virus de l'hépatite C, il n'y a pas de lien direct entre la contamination survenue lors de la première intervention et la deuxième intervention ;
qu'en effet, l'expert n'exclut pas que de nouvelles interventions auraient pu être nécessaires, même en cas de non contamination, pour cause de rejet du greffon ;
qu'ainsi les accidents de nature différente qui se sont produits au cours de la première puis de la deuxième intervention ont pour origine des faits générateurs distincts et ont causé des préjudices sans lien l'un avec l'autre ;
que, contrairement à ce que soutient la CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DU TARN ET GARONNE, la réparation de chacun des deux chefs de préjudices doit être envisagée de manière séparée ; que, d'une part, la CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DU TARN ET GARONNE n'est pas fondée à soutenir que le tribunal administratif aurait méconnu l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale en ne statuant pas sur sa demande dès lors qu'il ressort du dossier qu'en première instance elle ne demandait que le remboursement de ses débours liés à la contamination de M. X par le virus de l'hépatite C, préjudice au regard duquel le tribunal avait jugé que la responsabilité de l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris n'était pas engagée ainsi qu'il a été précédemment relevé ;
que, d'autre part, il ressort du dossier que la CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DU TARN ET GARONNE, dans la présentation de ses débours, n'a fait, tant en première instance qu'en appel, aucune distinction entre ceux qui sont liés à l'hémiplégie de l'assuré et ceux qui se rattachent à sa contamination ;
que n'ayant pas mis le juge à même d'identifier la consistance du préjudice ouvrant droit à réparation, lequel concerne uniquement l'hémiplégie de M. X, ses conclusions doivent en tout état de cause être rejetées ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède que l'appel principal formé par la CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DU TARN ET GARONNE doit être rejeté ;

Sur l'appel provoqué de l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris :

Considérant que la présente décision rejetant l'appel principal de la CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DU TARN ET GARONNE et n'aggravant donc pas la situation de l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris, les conclusions présentées par cette dernière, lesquelles, enregistrées le 18 avril 2006, soit au-delà du délai d'appel du jugement du Tribunal administratif de Melun dont elle avait reçu notification le 22 août 2005, avaient la nature d'un appel provoqué, sont, pour ce motif, irrecevables ;
qu'au surplus lesdites conclusions par lesquelles l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris demande à la cour de censurer le jugement du tribunal en ce qui concerne le principe de sa responsabilité du fait de l'hémiplégie survenue à M. X, soulève un litige distinct de l'appel principal et sont, en tout état de cause, irrecevables ;

Sur l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

Considérant, d'une part, que la CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DU TARN ET GARONNE ayant succombé en ses conclusions dirigées contre l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris, il y a lieu de mettre à sa charge une somme de 1 500 euros à verser à cette dernière au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
que, d'autre part, l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris ayant succombé en ses conclusions tendant à remettre en cause le jugement du Tribunal administratif de Melun du 21 juillet 2005, il y a lieu de faire droit aux conclusions des consorts X tendant à ce que soit mise à la charge de l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris la somme de 2 000 euros en application des dispositions du même article ;

D E C I D E :

Article 1er : La requête de la CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DU TARN ET GARONNE est rejetée.

Article 2 : Les conclusions reconventionnelles de l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris sont rejetées.

Article 3 : La CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DU TARN ET GARONNE versera à l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris versera aux consorts X une somme de 2 000 euros au titre du même article.