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Conseil constitutionnel, décision n° 2012-249 QPC du 16 mai 2012 (Sang de cordon)

Le code de la santé publique (art. L. 1241-1) prévoit que le prélèvement de cellules hématopoïétiques du sang de cordon et placentaire ne peut être effectué qu’à des fins scientifiques ou thérapeutiques, en vue d’un don anonyme et gratuit et à la condition que la femme ait donné son consentement par écrit. Le don peut être dédié à l’enfant ou à ses frères et soeurs uniquement en cas de nécessité thérapeutique avérée et justifiée lors du prélèvement. La société Cryo Save France a contesté la validité de ces dispositions en ce qu’elles porteraient atteintes à la liberté personnelle, au droit à la protection de la santé, et au principe d’égalité. Mais la haute juridiction a considéré que les dispositions contestées ne sont contraires à aucune des libertés ou des droits garantis par la Constitution.

Le Conseil constitutionnel a été saisi le 20 mars 2012 par le Conseil d'Etat (décisions n° 348764 et 348765 du 19 mars 2012), dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, d'une question prioritaire de constitutionnalité posée par la société Cryo-Save France, relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit du IV du quatrième alinéa de l'article L. 1241-1 du code de la santé publique.
Le Conseil constitutionnel,
Vu la Constitution ;
Vu l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;
Vu le code de la santé publique ;
Vu la loi n° 2011-814 du 7 juillet 2011 relative à la bioéthique ;
Vu le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Vu les observations produites pour la société requérante par la SCP Roche et associés le 11 avril 2012 et le 25 avril 2012 ;
Vu les observations produites par le Premier ministre, enregistrées le 11 avril 2012 ;
Vu les pièces produites et jointes au dossier ;
Me Thomas Roche, pour la société requérante, et M. Xavier Pottier, désigné par le Premier ministre, ayant été entendus à l'audience publique du 10 mai 2012 ;
Le rapporteur ayant été entendu ;
1. Considérant qu'aux termes du quatrième alinéa de l'article L. 1241-1 du code de la santé publique : « Le prélèvement de cellules hématopoïétiques du sang de cordon et du sang placentaire ainsi que de cellules du cordon et du placenta ne peut être effectué qu'à des fins scientifiques ou thérapeutiques, en vue d'un don anonyme et gratuit, et à la condition que la femme, durant sa grossesse, ait donné son consentement par écrit au prélèvement et à l'utilisation de ces cellules, après avoir reçu une information sur les finalités de cette utilisation. Ce consentement est révocable sans forme et à tout moment tant que le prélèvement n'est pas intervenu. Par dérogation, le don peut être dédié à l'enfant né ou aux frères ou sœurs de cet enfant en cas de nécessité thérapeutique avérée et dûment justifiée lors du prélèvement » ;
2. Considérant que, selon la société requérante, en privant les femmes qui accouchent d'une possibilité de prélèvement de cellules du sang de cordon ou placentaire ou de cellules du cordon ou du placenta pour un usage familial ultérieur, le législateur a porté atteinte à la liberté individuelle ; que ces dispositions, qui feraient obstacle à des prélèvements pouvant être utiles pour la santé des membres de la famille, méconnaîtraient également l'objectif de valeur constitutionnelle de protection de la santé ; qu'enfin, en privant les enfants nés sains et les enfants à naître d'une même fratrie de toute possibilité de bénéficier d'une greffe des cellules du sang de cordon ou placentaire, alors que cette faculté est ouverte aux enfants malades de la même fratrie, ces dispositions seraient contraires au principe d'égalité ;
3. Considérant qu'il est à tout moment loisible au législateur, statuant dans le domaine de sa compétence, de modifier des textes antérieurs ou d'abroger ceux-ci en leur substituant, le cas échéant, d'autres dispositions, dès lors que, ce faisant, il ne prive pas de garanties légales des exigences constitutionnelles ;
4. Considérant que la liberté personnelle est proclamée par les articles 1er, 2 et 4 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 ;
5. Considérant qu'aux termes de son article 6, la loi est « la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse » ; que le principe d'égalité ne s'oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général, pourvu que, dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit ;
6. Considérant qu'aux termes du onzième alinéa du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, la Nation « garantit à tous, notamment à l'enfant, à la mère (...) la protection de la santé » ;
7. Considérant, en premier lieu, que la législation antérieure à la loi du 7 juillet 2011 susvisée soumettait le recueil des cellules du sang de cordon ou placentaire ou des cellules du cordon ou du placenta au régime de recueil des résidus opératoires organisé par l'article L. 1245-2 du code de la santé publique ; que le législateur, en introduisant les dispositions contestées, a retenu le principe du don anonyme et gratuit de ces cellules ; qu'il a entendu faire obstacle aux prélèvements des cellules du sang de cordon ou placentaire ou des cellules du cordon ou du placenta en vue de leur conservation par la personne pour un éventuel usage ultérieur notamment dans le cadre familial ; que le choix du législateur de conditionner le prélèvement de ces cellules au recueil préalable du consentement écrit de la femme n'a pas eu pour objet ni pour effet de conférer des droits sur ces cellules ; qu'il n'appartient pas au Conseil constitutionnel, qui ne dispose pas d'un pouvoir général d'appréciation et de décision de même nature que celui du Parlement, de substituer son appréciation à celle du législateur sur les conditions dans lesquelles de telles cellules peuvent être prélevées et les utilisations auxquelles elles sont destinées ; que, par suite, le grief tiré de la méconnaissance de la liberté personnelle doit être écarté ;
8. Considérant, en deuxième lieu, qu'en adoptant les dispositions contestées, le législateur n'a pas autorisé des prélèvements de cellules du sang de cordon ou placentaire ou de cellules du cordon ou du placenta destinées à des greffes dans le cadre familial en l'absence d'une nécessité thérapeutique avérée et dûment justifiée lors du prélèvement ; qu'il a estimé qu'en l'absence d'une telle nécessité, les greffes dans le cadre familial de ces cellules ne présentaient pas d'avantage thérapeutique avéré par rapport aux autres greffes ; qu'il n'appartient pas au Conseil constitutionnel, qui ne dispose pas d'un pouvoir général d'appréciation et de décision de même nature que celui du Parlement, de remettre en cause, au regard de l'état des connaissances et des techniques, les dispositions ainsi prises par le législateur ; que, par suite, l'impossibilité de procéder à un prélèvement de cellules du sang de cordon ou placentaire ou de cellules du cordon ou du placenta aux seules fins de conservation par la personne pour un éventuel usage ultérieur notamment dans le cadre familial sans qu'une nécessité thérapeutique lors du prélèvement ne le justifie ne saurait être regardée comme portant atteinte à la protection de la santé telle qu'elle est garantie par le Préambule de 1946 ;
9. Considérant, en troisième lieu, que le législateur a réservé la possibilité de prélever des cellules du sang de cordon ou placentaire ou des cellules du cordon ou du placenta pour un usage dans le cadre familial aux seuls cas où une nécessité thérapeutique avérée et connue à la date du prélèvement le justifie ; qu'ainsi les dispositions contestées ne soumettent pas à des règles différentes des personnes placées dans une situation identique ; que le principe d'égalité devant la loi n'est donc pas méconnu ;
10. Considérant que les dispositions contestées ne sont contraires à aucun autre droit ou liberté garanti par la Constitution,
 
 
Décide :
 
 
 
Article 1

 
 
 
Article 2
La présente décision sera publiée au Journal officiel de la République française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.
 
Délibéré par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 16 mai 2012, où siégeaient : M. Jean-Louis DEBRÉ, président, M. Jacques BARROT, Mme Claire BAZY MALAURIE, MM. Guy CANIVET, Renaud DENOIX de SAINT MARC, Mme Jacqueline de GUILLENCHMIDT, MM. Hubert HAENEL et Pierre STEINMETZ
 
Source : JORF n°0115 du 17 mai 2012 page 9155
texte n° 9