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Conseil d’Etat, 10 avril 2009, n°289794 (Hospitalisation sur demande d’un tiers – Dossier médical – Communication au patient)

CONSEIL D'ETAT
statuant au contentieux

N° 289794

REPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

M. R
M. Jean-Luc Matt
Rapporteur

Le Conseil d'Etat statuant au contentieux
(Section du contentieux, 10ème et 9eme sous-sections réunies)

Sur le rapport de la 10 eme sous-section
de la section du contentieux

M. Julien Boucher
Rapporteur public
Séance du 11 février 2009
Lecture du 10 avril 2009

Vu le pourvoi sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 2 février et 24 mai 2006 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour M. Jean R demeurant M. R demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler le jugement du 1er décembre 2005 du tribunal administratif de Rennes rejetant sa demande tendant à l'annulation de la décision du directeur du centre hospitalier du Bon Sauveur refusant de lui communiquer directement une copie de l'intégralité de son dossier médical et à ce qu'il soit enjoint au centre hospitalier de lui communiquer ce document ;

2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à sa demande ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code de la santé publique ;

Vu la loi n° 78-753 du 17 juillet 1978 ;

Vu la loi n° 79-587 du 11 juillet 1979 ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Jean-Luc Matt, chargé des fonctions de Maître des Requêtes,

- les observations de la SCP Waquet, Farge, Hazan, avocat de M. Jean R

- les conclusions de M. Julien Boucher, Rapporteur public ;

La parole ayant été à nouveau donnée à la SCP Waquet, Farge, Hazan, avocat de M. Jean R

Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que M. R " qui a été hospitalisé sur demande d'un tiers à trois reprises au centre hospitalier spécialisé du Bon Sauveur à Bégard, a demandé au directeur de ce centre hospitalier la communication de son dossier médical ; qu'à la suite de la décision de refus qui lui a été opposée, il a saisi la commission d'accès aux documents administratifs ; qu'il a déféré au tribunal administratif de Rennes la décision implicite du directeur de ce centre confirmant le refus de lui communiquer directement une copie de l'intégralité de son dossier médical ; qu'au cours de l'instruction, le centre hospitalier a saisi la commission départementale des hospitalisations psychiatriques, qui a rendu un avis subordonnant la consultation du dossier médical par le requérant à son accompagnement par un médecin de son choix ; que l'intéressé demande au Conseil d'Etat d'annuler le jugement du 1er décembre 2005 par lequel ce tribunal a rejeté sa demande ;

Sur la régularité du jugement attaqué :

Considérant qu'aux termes de l'article R. 611-3 du code de justice administrative, dans sa rédaction applicable à la présente procédure « (...) les notifications (...) des avis d'audience (...) sont obligatoirement effectuées au moyen de lettres recommandées avec demande d'avis de réception (...) » ; que cette notification peut également être effectuée dans la forme administrative en application des dispositions de l'article R. 611-4 du même code ; qu'il ne ressort des pièces du dossier transmis par le tribunal administratif de Rennes, ni que M. R. a été convoqué à l'audience du 3 novembre 2005 dans les conditions prévues par ces dispositions, ni qu'il a été présent ou représenté à l'audience ; que par suite, et sans qu'il
soit besoin d'examiner les autres moyens du pourvoi, M. R est fondé à soutenir que le jugement attaqué a été rendu à la suite d'une procédure irrégulière et à en demander l'annulation ;

Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de régler l'affaire au fond en application de l'article L. 821-2 du code de justice administrative ;

Sur la compétence de la juridiction administrative :

Considérant qu'aux termes du deuxième alinéa de l'article 1er de la loi du 17 juillet 1978, dans sa rédaction alors applicable « Sont considérés comme documents administratifs, au sens du présent titre, tous dossiers (...) qui émanent (...) des organismes de droit public ou privé chargés de la gestion d'un service public (. ..) » ; que selon l'article L. 6112-2 du code de la santé publique, dans sa rédaction alors applicable : « Le service public hospitalier est assuré : / 1° Par les établissements publics de santé ; / 2° Par ceux des établissements de santé privés qui répondent aux conditions fixées aux articles L. 6161-6 et L. 6161-9 (...)» ;

Considérant que le centre hospitalier du Bon Sauveur, qui remplit les conditions fixées par les articles L. 6161-6 et L. 6161-9 du code de la santé publique, doit être regardé de ce seul fait comme étant un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public ; que, par suite, le centre hospitalier n'est pas fondé à soutenir que le recours formé par M.R, ayant fait, en invoquant les dispositions de la loi du 17 juillet 1978, une demande de communication d'un document de nature médicale, aurait été porté devant une juridiction incompétente pour en connaître ;

Sur la légalité de la décision attaquée :

Considérant qu'aux termes du quatrième alinéa de l'article L. 1111-7 du code de la santé publique, dans sa rédaction alors applicable « A titre exceptionnel, la consultation des informations recueillies, dans le cadre d'une hospitalisation sur demande d'un tiers ou d'une hospitalisation d'office, peut être subordonnée à la présence d'un médecin désigné par le demandeur en cas de risques d'une gravité particulière. En cas de refus du demandeur, la commission départementale des hospitalisations psychiatriques est saisie. Son avis s'impose au détenteur des informations comme au demandeur » ; que selon le premier alinéa de l'article R. 1111-5 du même code, dans sa rédaction alors applicable : « Lorsque, dans les circonstances prévues au quatrième alinéa de l'article L. 1111-7, le détenteur des informations recueillies dans le cadre d'une hospitalisation d'office ou d'une hospitalisation sur demande d'un tiers estime que la communication de ces informations au demandeur ne peut avoir lieu que par l'intermédiaire d'un médecin, il en informe l'intéressé. Si celui-ci refuse de désigner un médecin, le détenteur des informations saisit la commission départementale des hospitalisations psychiatriques, qui peut également être saisie par l'intéressé conformément aux dispositions de l'article L. 3223-1 » ;

Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que le centre hospitalier du Bon Sauveur a adressé à M. R tous les documents qu'il pouvait lui communiquer directement ; que la consultation de son dossier médical a été autorisée par l'intermédiaire d'un médecin désigné par le demandeur ; que le docteur Le Mée, choisi à cette fin, n'ayant pas informé son patient, le centre hospitalier a demandé à M. R de désigner un nouveau médecin ; que le requérant ayant alors refusé de choisir un médecin, le centre hospitalier a saisi la commission départementale des hospitalisations psychiatriques ; que cette commission a rendu un avis confirmant la nécessité que la communication se fasse en présence d'un médecin, compte tenu de risques d'une gravité particulière ; que si M. R conteste l'existence d'un risque de nature à justifier l'intervention d'un médecin, la production d'un jugement de tribunal d'instance ordonnant la main-levée d'une mesure de tutelle et les témoignages que le requérant apporte au soutien de cette affirmation ne suffisent pas à remettre sérieusement en cause l'appréciation portée par le directeur du centre hospitalier au regard de la gravité des pathologies psychiatriques qui ont motivé son hospitalisation à la demande d'un tiers ; qu'ainsi, le directeur du centre hospitalier n'a pas fait une inexacte application des dispositions précitées du code de la santé publique en prenant la décision attaquée, qui n'avait pas à être motivée en vertu de l'article 1er de la loi du 11 juillet 1979 relative à la motivation des actes administratifs et à l'amélioration des relations entre l'administration et le public et qui n'a pas été prise au terme d'une procédure irrégulière ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède que M. R n'est pas fondé à demander l'annulation de la décision attaquée ;

Sur les conclusions à fin d'injonction :

Considérant que la présente décision, qui rejette les conclusions de M. R tendant à l'annulation de la décision du directeur du centre hospitalier du Bon Sauveur refusant de lui communiquer une copie de l'intégralité de son dossier médical, n'appelle aucune mesure d'exécution ; que, par suite, les conclusions de M. R tendant à ce qu'il soit enjoint au centre hospitalier de lui communiquer ce document doivent être rejetées ;

Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

Considérant que ces dispositions font obstacle à ce que soit mis à la charge du centre hospitalier du Bon Sauveur, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, le versement à M. R de la somme qu'il demande au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens ;

DECIDE:

Article 1er : Le jugement du l' décembre 2005 du tribunal administratif de Rennes est annulé.

Article 2 : La demande de M. R devant le tribunal administratif de Rennes et le surplus des conclusions de son pourvoi sont rejetés.

Article 3 : La présente décision sera notifiée à M. Jean R et au centre hospitalier du Bon Sauveur. Copie en sera adressée pour information à la ministre de la santé et des sports.

Délibéré dans la séance du 11 février 2009 où siégeaient : M. Philippe Martin, Président adjoint de la Section du Contentieux, Président ; M. Thierry Tuot, M. Jean-Pierre Jouguelet, Présidents de sous-section ; Mme Mireille Imbert-Quaretta, M. François Loloum, M. Jean-Yves Rossi, Mme Anne-Marie Canguilhem, M. Jean-François Mary, Conseillers d'Etat et M. Jean-Luc Matt, Maître des Requêtes-rapporteur.

Lu en séance publique le 10 avril 2009.

Le Président :

Signé : M. Philippe Martin

Le Maître des Requêtes-rapporteur :

Signé : M. Jean-Luc Matt

Le secrétaire :

Signé : Mme Dominique Tardy

La République mande et ordonne au ministre de la santé et des sports en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

Le secrétaire