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Conseil d’Etat, 22 février 2010, n° 313333 (Responsabilité hospitalière – Tierce personne – Assistance – Frais – Indemnisation)

Par cet arrêt, le Conseil d'État considère qu'une victime doit être indemnisée des frais de recours à l'assistance d'une tierce personne même si celle-ci est l'un des membres de sa famille. En l’espèce, à la suite d'une chute sur un trottoir en réfection, un homme a subi une incapacité totale puis partielle nécessitant le recours à une tierce personne. La communauté urbaine a été déclarée responsable de l'accident pour défaut d'entretien de l'ouvrage public. Toutefois, le tribunal administratif puis la cour administrative d'appel ont rejeté la demande indemnitaire de la victime au titre de l'aide d'une tierce personne. Or, le Conseil d'État précise que lorsque, au nombre des conséquences dommageables d'un accident engageant la responsabilité d'une personne publique, figure la nécessité pour la victime de recourir à l'assistance d'une tierce personne à domicile pour les actes de la vie courante, la circonstance que cette assistance serait assurée par un membre de sa famille est, par elle-même, sans incidence sur le droit de la victime à en être indemnisée. Au cas d'espèce exposé, la Haute juridiction administrative considère que la cour administrative d’appel a commis une erreur de droit en relevant que le rapport de l'expertise concluait à la nécessité, pour la victime, de recourir à l'assistance d'une tierce personne pour les actes de la vie courante, tout en confirmant le jugement attaqué qui avait refusé de lui allouer une indemnité à ce titre, au seul motif que l'aide nécessaire lui est fournie par son épouse, qui n'exerce pas d'activité professionnelle.

Conseil d'État
4ème et 5ème sous-sections réunies

N° 313333

Mentionné dans les tables du recueil Lebon

M. Arrighi de Casanova, président
M. Olivier Talabardon, rapporteur
M. Keller Rémi, commissaire du gouvernement
SCP DIDIER, PINET ; SCP LYON-CAEN, FABIANI, THIRIEZ ; SCP BOUTET ; SCP BORE ET SALVE DE BRUNETON ; SCP CELICE, BLANCPAIN, SOLTNER, avocats

Lecture du lundi 22 février 2010

REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu le pourvoi sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 14 février et 14 mai 2008 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour M. Christian A, demeurant ... ; M. A demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'arrêt du 13 décembre 2007 par lequel la cour administrative d'appel de Bordeaux a rejeté sa requête tendant, d'une part, à la réformation du jugement du 8 mars 2007 du tribunal administratif de Bordeaux limitant à 28 195,70 euros le montant de l'indemnité que la communauté urbaine de Bordeaux a été condamnée à lui verser en réparation des préjudices subis du fait de la chute dont il a été victime le 24 janvier 1999 sur le trottoir en réfection de la rue Gustave Charpentier à Mérignac et, d'autre part, à ce que le montant de cette indemnité soit porté à la somme de 873 506,03 euros ;

2°) de mettre à la charge de la communauté urbaine de Bordeaux la somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code de la sécurité sociale, notamment son article L. 376-1 modifié par la loi n° 2006-1640 du 21 décembre 2006 ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Olivier Talabardon, chargé des fonctions de Maître des Requêtes,

- les observations de la SCP Didier, Pinet, avocat de M. A, de la SCP Célice, Blancpain, Soltner, avocat de la communauté urbaine de Bordeaux, de la SCP Lyon-Caen, Fabiani, Thiriez, avocat de la caisse primaire d'assurance maladie de la Gironde, de la SCP Boutet, avocat de la société SCREG Sud Ouest et de la SCP Boré et Salve de Bruneton, avocat de la société Saramite TP,

- les conclusions de M. Rémi Keller, rapporteur public,

La parole ayant été à nouveau donnée à la SCP Didier, Pinet, avocat de M. A, à la SCP Célice, Blancpain, Soltner, avocat de la communauté urbaine de Bordeaux, à la SCP Lyon-Caen, Fabiani, Thiriez, avocat de la caisse primaire d'assurance maladie de la Gironde, à la SCP Boutet, avocat de la société SCREG Sud Ouest et à la SCP Boré et Salve de Bruneton, avocat de la société Saramite TP,

Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond qu'alors qu'il circulait à pied, le 24 janvier 1999, sur le trottoir en réfection de la rue Gustave Charpentier à Mérignac (Gironde), M. A a été victime d'une chute occasionnée par la présence d'une excavation de 50 cm de profondeur ; que cet accident lui a causé une incapacité temporaire totale du 24 janvier 1999 au 23 septembre 2002, puis une incapacité permanente partielle au taux de 85% ; que, par un jugement du 16 décembre 2004, le tribunal administratif de Bordeaux a déclaré la communauté urbaine de Bordeaux responsable de l'accident pour défaut d'entretien de l'ouvrage public ; qu'il a toutefois estimé que le manque de vigilance de M. A était de nature à exonérer la collectivité de la moitié de sa responsabilité ; que, par un second jugement après expertise du 8 mars 2007, le tribunal administratif a fixé à 185 000 euros le préjudice afférent aux troubles de toute nature que M. A subit dans ses conditions d'existence, à 5 000 euros la réparation de ses souffrances physiques et à 500 euros son préjudice esthétique ; qu'il a, en outre, alloué à M. A la somme de 26 970 euros en réparation de la perte de revenus correspondant à la période d'incapacité temporaire totale ; qu'il a, en revanche, rejeté sa demande indemnitaire au titre de l'aide d'une tierce personne ; qu'enfin, le tribunal administratif, après avoir fixé à 189 274, 30 euros la part du préjudice global à la charge de la communauté urbaine de Bordeaux, a condamné celle-ci à verser respectivement 28 195,68 euros à M. A et 161 078,60 euros à la caisse primaire d'assurance maladie de la Gironde ; que, M. A ayant demandé en appel la réformation de ce jugement et la fixation de son indemnité à 873 506,03 euros, la cour administrative d'appel de Bordeaux a rejeté ses conclusions par un arrêt du 13 décembre 2007, contre lequel il se pourvoit en cassation ;

Sur la régularité de l'arrêt attaqué :

Considérant que, si M. A soutient que la cour administrative d'appel a omis de lui transmettre l'unique mémoire en défense de la communauté urbaine de Bordeaux, produit le lendemain de la clôture de l'instruction, alors qu'elle a pris en compte l'un des moyens qui y était développé, il ressort des pièces du dossier que le contenu de ce mémoire était identique à celui produit le 4 mai 2007 par la communauté urbaine au soutien de son appel contre le jugement du 16 décembre 2004, et régulièrement communiqué à M. A dans le cadre de l'instruction conjointe de sa requête d'appel et de celle de la communauté urbaine ; qu'ainsi, M. A n'est pas fondé à soutenir que la cour a méconnu le caractère contradictoire de l'instruction ;

Sur le bien-fondé de l'arrêt attaqué :

En ce qui concerne la responsabilité :

Considérant qu'après avoir estimé, au terme d'une motivation suffisante et par une appréciation souveraine exempte de dénaturation, que M. A ne pouvait pas ignorer que la voie sur laquelle il était engagé faisait l'objet de travaux de réfection et n'était pas éclairée, la cour a pu en déduire, sans erreur de qualification juridique des faits, que l'intéressé, en s'abstenant d'apporter à sa marche toutes les précautions requises, avait commis une imprudence constitutive d'une faute de nature à exonérer la communauté urbaine de Bordeaux, gestionnaire de la voirie, d'une part de sa responsabilité ; qu'en fixant cette part à 50 %, la cour s'est livrée à une appréciation souveraine qui, dès lors qu'elle est exempte de dénaturation, n'est pas susceptible d'être discutée devant le juge de cassation ;

En ce qui concerne le préjudice :

Considérant que lorsque, au nombre des conséquences dommageables d'un accident engageant la responsabilité d'une personne publique, figure la nécessité pour la victime de recourir à l'assistance d'une tierce personne à domicile pour les actes de la vie courante, la circonstance que cette assistance serait assurée par un membre de sa famille est, par elle-même, sans incidence sur le droit de la victime à en être indemnisée ;

Considérant qu'après avoir relevé que le rapport de l'expertise prescrite par les premiers juges concluait à la nécessité, pour M. A, de recourir à l'assistance d'une tierce personne pour les actes de la vie courante, la cour administrative d'appel a confirmé le jugement attaqué en ce qu'il avait refusé de lui allouer une indemnité à ce titre, au seul motif que l'aide nécessaire lui est fournie par son épouse, qui n'exerce pas d'activité professionnelle ; qu'il résulte de ce qui vient d'être dit que la cour a, ce faisant, entaché sa décision d'une erreur de droit ;

Considérant que, dès lors que les juges du fond n'ont pas procédé, comme ils y étaient tenus par les dispositions de l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale dans leur rédaction résultant du III de l'article 25 de la loi du 21 décembre 2006, à la ventilation entre les divers postes de préjudice sur lesquels s'exerce le recours subrogatoire de la caisse primaire d'assurance maladie, les dispositions de l'arrêt attaqué, qui sont entachées de l'erreur de droit relevée ci-dessus, ne sont pas séparables des autres dispositions statuant sur la réparation du préjudice de M. A ; que, par suite, l'arrêt attaqué doit être annulé dans l'ensemble de ses dispositions relatives à cette réparation ;

Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

Considérant que ces dispositions font obstacle à ce qu'il soit fait droit aux conclusions présentées par la communauté urbaine de Bordeaux et la caisse primaire d'assurance maladie de la Gironde à l'encontre de M. A qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, de même qu'à celles présentées respectivement par la société SCREG Sud Ouest et pour la société Saramite TP qui, ayant seulement été invitées à présenter des observations, n'ont pas la qualité de parties à l'instance ; qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la communauté urbaine de Bordeaux le versement à M. A de la somme de 3 000 euros en application de ces mêmes dispositions ;

D E C I D E :
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Article 1er : L'arrêt de la cour administrative d'appel de Bordeaux du 13 décembre 2007 est annulé, en tant qu'il statue sur la réparation du préjudice subi par M. A.

Article 2 : L'affaire est renvoyée, dans cette mesure, à la cour administrative d'appel de Bordeaux.

Article 3 : La communauté urbaine de Bordeaux versera à M. A une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Les conclusions de la communauté urbaine de Bordeaux, de la caisse primaire d'assurance maladie de la Gironde, de la société SCREG Sud Ouest et de la société Saramite TP tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 5 : Le surplus des conclusions du pourvoi de M. A est rejeté.

Article 6 : La présente décision sera notifiée à M. Christian A, à la communauté urbaine de Bordeaux et à la caisse primaire d'assurance maladie de la Gironde.

Copie en sera adressée pour information à la société SCREG Sud Ouest et à la société Saramite TP.