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Conseil d’Etat, 24 juillet 2009, n°321804 (Agence régionale de l’hospitalisation – Autorisation – Création d’une activité de soins – Condition de délivrance)

Par cet arrêt, la Haute juridiction administrative censure une ordonnance du juge des référés exigeant une mise en concurrence formalisée préalable à la délivrance d’une autorisation. En l’espèce, une agence régionale de l’hospitalisation (ARH) a autorisé une clinique à créer une activité de soins de suite et de rééducation-réadaptation fonctionnelle en hospitalisation complète et hospitalisation à temps partiel dans un territoire de santé, ce qu’elle a dans le même temps refusé à une clinique concurrente. Pour ce faire, l’agence s’est fondée sur la circonstance qu'il ressortait de l'analyse comparative des deux demandes que le projet de la première clinique proposait la meilleure intégration possible avec les structures de court séjour et la meilleure maîtrise des coûts, dans le respect des normes techniques de fonctionnement. Le juge des référés du tribunal administratif a suspendu l’exécution de ces décisions en retenant qu'étaient de nature à créer un doute sérieux sur la légalité de ces décisions les moyens tirés de ce qu’il appartenait à l’ARH de faire respecter les principes fondamentaux d'une concurrence loyale et transparente entre les deux projets, eu égard aux objectifs énumérés à l'article L. 6122-2 du code de la santé publique. Il indique également que la mise en œuvre de cette exigence imposait que l'ARH énumère, et porte préalablement à la connaissance des cliniques concurrentes, le ou les critères de sélection du projet  et de ce que le critère tiré de la maîtrise des coûts financiers n'était pas un critère pertinent pour cette sélection. Le Conseil d’Etat censure ce raisonnement et annule l’ordonnance du juge des référés du tribunal administratif au motif que, s’il appartenait à l’ARH, lors de la délivrance des autorisations de création d'une activité de soins, de prendre en compte les règles de la concurrence et de veiller à ce que la délivrance de l'autorisation n'ait pas pour effet de mettre son titulaire en situation d'y contrevenir, les dispositions précitées du code de la santé publique énumèrent de façon précise et limitative l'ensemble des conditions et des critères qui doivent être pris en compte par l’ARH pour délivrer les autorisations de création d'une activité de soins, seuls les projets remplissant l'ensemble de ces conditions et critères pouvant être retenus.

Conseil d'État

N° 321804
Mentionné dans les tables du recueil Lebon
2ème et 7ème sous-sections réunies
M. Vigouroux, président
Mme Constance Rivière, rapporteur
Mme Bourgeois-Machureau Béatrice, commissaire du gouvernement
SCP LYON-CAEN, FABIANI, THIRIEZ ; SCP VIER, BARTHELEMY, MATUCHANSKY ; SCP ROGER, SEVAUX, avocats

lecture du vendredi 24 juillet 2009

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu 1°/, sous le n° 321804, le pourvoi sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 22 octobre 2008 et 6 novembre 2008 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour la S.A. CLINIQUE DURIEUX, dont le siège est 100, rue de France ZAC Paul Badré à Le Tampon (97430) ; la CLINIQUE DURIEUX demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'ordonnance du 6 octobre 2008 par laquelle le juge des référés du tribunal administratif de Saint-Denis de la Réunion, statuant en application de l'article L. 521-1 du code de justice administrative a, à la demande de la clinique Les Eucalyptus, suspendu l'exécution de la décision du 13 mai 2008 par laquelle l'agence régionale d'hospitalisation de la Réunion-Mayotte a autorisé la CLINIQUE DURIEUX à créer une activité de soins de suite et de rééducation-réadaptation fonctionnelle en hospitalisation complète et hospitalisation à temps partiel, dans le territoire de santé de niveau I Sud, ensemble la décision du même jour refusant à la clinique Les Eucalyptus la même autorisation ;

2°) statuant au titre de la procédure de référé engagée, de rejeter la demande de suspension de la clinique Les Eucalyptus devant le juge des référés du tribunal administratif de Saint-Denis de la Réunion ;

3°) de mettre à la charge de la clinique Les Eucalyptus le versement de la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Vu 2°/, sous le n° 321837, le pourvoi sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 23 octobre 2008 et 7 novembre 2008 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour l'AGENCE REGIONALE DE L'HOSPITALISATION REUNION-MAYOTTE, dont le siège est 139, rue Jean Chatel BP 2030 à Saint-Denis Cedex (97488) ; l'AGENCE REGIONALE DE L'HOSPITALISATION REUNION-MAYOTTE demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'ordonnance du 6 octobre 2008 par laquelle le juge des référés du tribunal administratif de Saint-Denis de la Réunion, statuant en application de l'article L. 521-1 du code de justice administrative a, à la demande de la clinique Les Eucalyptus, suspendu l'exécution de la décision du 13 mai 2008 par laquelle l'AGENCE REGIONALE DE L'HOSPITALISATION REUNION-MAYOTTE a autorisé la clinique Durieux à créer une activité de soins de suite et de rééducation-réadaptation fonctionnelle en hospitalisation complète et hospitalisation à temps partiel, dans le territoire de santé de niveau I Sud, ensemble la décision du même jour refusant à la clinique Les Eucalyptus la même autorisation ;

2°) statuant au titre de la procédure de référé engagée, de rejeter la demande présentée par la clinique des Eucalyptus devant le juge des référés du tribunal administratif de Saint-Denis de la Réunion ;

3°) de mettre à la charge de la clinique Les Eucalyptus le versement de la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

....................................................................................

Vu les autres pièces des dossiers ;
Vu le code de la santé publique ;
Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mlle Constance Rivière, Auditeur,
- les observations de la SCP Lyon-Caen, Fabiani, Thiriez, avocat de la CLINIQUE DURIEUX, de la SCP Roger, Sevaux, avocat de la Clinique les Eucalyptus et de la SCP Vier, Barthélemy, Matuchansky, avocat de l'AGENCE REGIONALE DE L'HOSPITALISATION REUNION-MAYOTTE,
- les conclusions de Mme Béatrice Bourgeois-Machureau, rapporteur public,
- la parole ayant à nouveau été donnée à la SCP Lyon-Caen, Fabiani, Thiriez, avocat de la CLINIQUE DURIEUX, à la SCP Roger, Sevaux, avocat de la Clinique les Eucalyptus et à la SCP Vier, Barthélemy, Matuchansky, avocat de l'AGENCE REGIONALE DE L'HOSPITALISATION REUNION-MAYOTTE ;

Considérant que les pourvois de l'AGENCE REGIONALE DE L'HOSPITALISATION REUNION-MAYOTTE et de la CLINIQUE DURIEUX sont dirigés contre la même ordonnance ; qu'il y a lieu de les joindre pour statuer par une seule décision ;

Considérant qu'aux termes de l'article L. 521-1 du code de justice administrative : Quand une décision administrative, même de rejet, fait l'objet d'une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d'une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l'exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l'urgence le justifie et qu'il est fait état d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision... ;

Sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens des pourvois ;

Considérant qu'aux termes de l'article L. 6121-21 du code de la santé publique : (...) Le schéma d'organisation sanitaire vise à susciter les adaptations et les complémentarités de l'offre de soins, ainsi que les coopérations, notamment entre les établissements de santé. (...) ; qu'aux termes de l'article L. 6122-2 du même code : L'autorisation [de création d'une activité de soin...] est accordée lorsque le projet : / 1° Répond aux besoins de santé de la population identifiés par le schéma d'organisation sanitaire (...) ; / 2° Est compatible avec les objectifs fixés par ce schéma ainsi qu'avec son annexe ; / 3° Satisfait à des conditions d'implantation et à des conditions techniques de fonctionnement. (...). ; qu'en vertu de l'article L. 6122-4 du même code, l'autorisation de création d'une activité de soins vaut de plein droit autorisation de fonctionner et, sauf mention contraire, autorisation de dispenser des soins remboursables aux assurés sociaux, cette dernière autorisation pouvant être refusée lorsque le prix prévu est hors de proportion avec les conditions de fonctionnement fixées en application de l'article L. 6122-2 ; qu'aux termes de l'article L. 6122-5 : L'autorisation (...) est subordonnée au respect d'engagements relatifs, d'une part, aux dépenses à la charge de l'assurance maladie ou au volume d'activité et, d'autre part, à la réalisation d'une évaluation dans des conditions fixées par décret. ; enfin qu'il résulte de l'article R. 6122-34 qu'une décision de refus d'autorisation peut être prise 5° lorsque le demandeur n'accepte pas de souscrire aux conditions ou engagements mentionnés aux articles L. 6122-5 et L. 6122-7 ;

Considérant que par deux délibérations en date du 13 mai 2008, l'AGENCE REGIONALE DE L'HOSPITALISATION REUNION-MAYOTTE a, d'une part, autorisé la SARL CLINIQUE DURIEUX à créer une activité de soins de suite et de rééducation-réadaptation fonctionnelle en hospitalisation complète et hospitalisation à temps partiel dans le territoire de santé de niveau 1 sud et, d'autre part, refusé à la clinique Les Eucalyptus la même autorisation, en se fondant sur la circonstance qu'il ressortait de l'analyse comparative des deux demandes que le projet de la SARL CLINIQUE DURIEUX proposait la meilleure intégration possible avec les structures de court séjour et la meilleure maîtrise des coûts, dans le respect des normes techniques de fonctionnement ;

Considérant que pour prononcer la suspension de l'exécution de ces décisions, le juge des référés du tribunal administratif de Saint-Denis de la Réunion a retenu qu'étaient de nature à créer un doute sérieux sur la légalité de ces décisions les moyens tirés, d'une part, de ce que, dès lors qu'elle était saisie de deux demandes concurrentes, il appartenait à l'AGENCE REGIONALE DE L'HOSPITALISATION de faire respecter les principes fondamentaux d'une concurrence loyale et transparente entre les deux projets, eu égard aux objectifs énumérés à l'article L. 6122-2 du code de la santé publique, et que la mise en oeuvre de cette exigence imposait que l'agence énumère et porte préalablement à la connaissance des cliniques concurrentes le ou les critères de sélection du projet et, d'autre part, de ce que le critère tiré de la maîtrise des coûts financiers n'était pas un critère pertinent pour la sélection du projet dès lors que l'activité de service médical dont il s'agit doit, a priori, être regardée comme se faisant aux risques et périls des établissements de santé ;

Considérant, en premier lieu, que le juge du référé a commis une erreur de droit en estimant qu'était de nature à créer un doute sérieux sur la légalité des décisions attaquées le moyen tiré de ce que, dès lors qu'elle est saisie de deux demandes concurrentes, l'autorité administrative à laquelle sont soumis les projets relatifs à la création d'une activité de soins devait, afin de respecter les règles de la concurrence, définir et communiquer préalablement aux cliniques concurrentes ses critères de sélection du projet, alors que s'il appartenait à l'AGENCE REGIONALE DE L'HOSPITALISATION, lors de la délivrance des autorisations de création d'une activité de soins, de prendre en compte ces règles et de veiller à ce que la délivrance de l'autorisation n'ait pas pour effet de mettre son titulaire en situation d'y contrevenir, les dispositions précitées du code de la santé publique énumèrent de façon précise et limitative l'ensemble des conditions et des critères qui doivent être pris en compte par l'AGENCE REGIONALE DE L'HOSPITALISATION pour délivrer les autorisations de création d'une activité de soins, seuls les projets remplissant l'ensemble de ces conditions et critères pouvant être retenus ;

Considérant, en second lieu, que le juge des référés a commis une autre erreur de droit en retenant qu'était également de nature à faire naître un doute sérieux sur la légalité des décisions attaquées le moyen tiré de ce que l'activité de service médical dont il s'agit devant être regardée comme se faisant aux risques et périls des établissements de santé, le critère tiré de la maîtrise des coûts financiers n'était pas pertinent pour examiner les demandes d'autorisation de création d'une activité de soins, alors que l'article L. 6122-5 du code de la santé publique retient le respect d'engagements relatifs aux dépenses à la charge de l'assurance maladie parmi les conditions de l'autorisation accordée aux projets d'établissements de santé et que l'article R. 6122-34 du même code dispose que le refus du demandeur de souscrire de tels engagements est au nombre des motifs possibles de refus de la demande d'autorisation ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède que l'AGENCE REGIONALE DE L'HOSPITALISATION REUNION-MAYOTTE et la CLINIQUE DURIEUX sont fondées à demander l'annulation de l'ordonnance attaquée ;

Considérant qu'il y a lieu, par application de l'article L. 821-2 du code de justice administrative, de régler l'affaire au titre de la procédure de référé engagée par la clinique Les Eucalyptus ;

Considérant que pour demander la suspension des décisions, la clinique Les Eucalyptus fait valoir, outre les moyens ci-dessus invoqués, que la décision d'autorisation litigieuse est insuffisamment motivée et est en outre entachée d'une erreur manifeste dans l'appréciation des mérites respectifs des deux dossiers concurrents ; qu'aucun de ces moyens ne paraît, en l'état de l'instruction, propre à créer un doute sérieux sur la légalité des décisions contestées ; que dès lors, la demande présentée par la clinique Les Eucalyptus tendant à ce que soit ordonnée la suspension des décisions de l'AGENCE REGIONALE DE L'HOSPITALISATION REUNION-MAYOTTE en date du 13 mai 2008 doit être rejetée ;

Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de mettre à la charge de la clinique Les Eucapytus le versement à l'AGENCE REGIONALE DE L'HOSPITALISATION REUNION-MAYOTTE et à la CLINIQUE DURIEUX de la somme de 3 000 euros chacune ; que ces mêmes dispositions font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'AGENCE REGIONALE DE L'HOSPITALISATION REUNION-MAYOTTE et de la CLINIQUE DURIEUX qui ne sont pas, dans la présente instance, les parties perdantes, le versement d'une somme au titre des frais exposés par elles et non compris dans les dépens ;

D E C I D E :
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Article 1er : L'ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Saint-Denis de la Réunion du 6 octobre 2008 est annulée.
Article 2 : La demande présentée par la clinique les Eucalyptus devant le juge des référés du tribunal administratif de Saint-Denis de la Réunion est rejetée.
Article 3 : La clinique les Eucalyptus versera à l'AGENCE REGIONALE DE L'HOSPITALISATION REUNION-MAYOTTE et à la CLINIQUE DURIEUX une somme de 3 000 euros chacune au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à l'AGENCE REGIONALE DE L'HOSPITALISATION REUNION-MAYOTTE, à la SARL clinique Les Eucalyptus et à la S.A. CLINIQUE DURIEUX.