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Conseil d’État, 29 décembre 2014, n° 365892 (Responsabilité hospitalière – Hôpital – Faute – Préjudice – Indemnisation)

En mai 1999, une femme a subi dans un centre hospitalier une césarienne au cours de laquelle une hémorragie utérine s’est déclenchée, justifiant son transfert au sein d’un centre hospitalier universitaire (CHU) en vue d’une embolisation. Elle y a été victime d’un arrêt cardiaque à la suite duquel elle a été placée dans un coma végétatif. Saisi d’un recours indemnitaire, letribunal administratif a retenu que les médecins du centre hospitalier avaient commis des fautes de nature à engager la responsabilité de cet établissement et ordonné une expertise afin d'évaluer les préjudices. La cour administrative d’appel a censuré ce jugement en considérant que la responsabilité du centre hospitalier n’était pas engagée. Statuant au contentieux, le Conseil d'Etat a annulé cet arrêt puis, réglant l'affaire au fond, retenu l'existence de fautes médicales ayant fait perdre à l'intéressée une chance d'éviter le dommage et complété la mission de l'expert désigné par le tribunal administratif afin qu'il détermine l'ampleur de la chance perdue.

Le tribunal administratif a alors fixé la perte de chance à 90 % et déterminé les sommes dues par le centre hospitalier à la patiente et aux membres de sa famille. La cour administrative d'appel a confirmé le jugement. Les parents de la patiente ont alors formé un pourvoi en cassation concernant l'indemnisation de l'aide matérielle apportée à leur fille et des frais de déplacement. Par la voie du pourvoi incident, le centre hospitalier demande l’annulation de cet arrêt en tant qu'il fixe à 90 % la perte de chance subie.

Le Conseil d’Etat rejette le pourvoi incident au motif qu’il ne résulte pas de la motivation de l’arrêt de la cour administrative d’appel « qu'elle se serait exclusivement fondée sur des statistiques générales, sans tenir compte de la situation particulière de la patiente ». Il indique également que « l'indemnisation des frais d'assistance d'une tierce personne ne peut intervenir qu'au profit de la victime, sans préjudice de la possibilité pour les proches de la victime qui lui apportent une assistance d'être indemnisés par le responsable du dommage au titre des préjudices » et considère que la cour n’a pas commis d’erreur de droit sur ce point. La Haute juridiction administrative estime toutefois que l’évaluation de l’indemnité accordée aux parents de la victime au titre de l’aide matérielle qu’ils apportaient à leur fille et des frais de déplacement qu’ils avaient exposés pour lui rendre visite étaient entachée de dénaturation. Il a donc considéré que l'arrêt devait être annulé en tant qu'il statue sur les conclusions indemnitaires au titre de l'aide matérielle et des frais de déplacement. Le Conseil d’Etat règle définitivement l’affaire au fond en portant la somme à allouer par le centre hospitalier aux parents de la patiente à 66000€ au titre de l’aide matérielle qu’ils ont apporté à leur fille et des frais de déplacement engendrés pour lui rendre visite.

 

 

Conseil d'État

N° 365892   

5ème sous-section jugeant seule

M. Olivier Rousselle, rapporteur
Mme Fabienne Lambolez, rapporteur public

SCP CELICE, BLANCPAIN, SOLTNER, TEXIDOR ; SCP ROGER, SEVAUX, MATHONNET ; SCP GARREAU, BAUER-VIOLAS, FESCHOTTE-DESBOIS, avocats

lecture du lundi 29 décembre 2014

REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu le pourvoi sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 11 février et 13 mai 2013 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour M. X. et Mme Y. demeurant... ; M. X et Mme Y. demandent au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'arrêt n° 11DA01436, 11DA01460 du 4 décembre 2012 par lequel la cour administrative d'appel de Douai a rejeté leur appel contre le jugement n° 0900768-0900769 du 7 juillet 2011 du tribunal administratif de Rouen fixant les indemnités mises à la charge du centre hospitalier A. au titre des fautes commises dans la prise en charge Z. leur fille ;

2°) réglant l'affaire au fond, de condamner le centre hospitalier A. à leur verser respectivement les sommes de 124 493,18 euros et 113 317,43 euros ainsi que la somme de 177 472,48 euros en réparation des préjudices subis ;

3°) de mettre à la charge du centre hospitalier A. le versement d'une somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code de la santé publique ;
Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Olivier Rousselle, conseiller d'Etat,
- les conclusions de Mme Fabienne Lambolez, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Roger, Sevaux, Mathonnet, avocat de M. X. et de Mme Y., à la SCP Célice, Blancpain, Soltner, avocat du centre hospitalier A. et à la SCP Garreau, Bauer-Violas, Feschotte-Desbois, avocat de la caisse primaire d'assurance maladie de Rouen-Elbeuf-Dieppe, de l'Union départementale des associations familiales, de M. U. et de M. V.

1. Considérant que, le 3 mai 1999, Mme Z. a subi au centre hospitalier A. une césarienne au cours de laquelle s'est déclenchée une hémorragie utérine qui a perduré en dépit de traitements médicamenteux, justifiant son transfert au centre hospitalier universitaire B. en vue d'une embolisation ; qu'elle y a été victime d'un arrêt cardiaque qui a entraîné une anoxie cérébrale à la suite de laquelle elle a été plongée dans un coma végétatif ; que, saisi d'un recours indemnitaire par Mme U. et par ses parents, M. X. et Mme Y., ainsi que par son frère et ses neveux, le tribunal administratif de Rouen, par un jugement du 7 décembre 2004, a retenu que les médecins du centre hospitalier A. avaient commis des fautes de nature à engager la responsabilité de cet établissement et ordonné une expertise afin d'évaluer les préjudices ; que ce jugement a été censuré par un arrêt du 4 juillet 2006 de la cour administrative d'appel de Douai qui a estimé que la responsabilité du centre hospitalier n'était pas engagée ; que, par une décision du 14 janvier 2009, le Conseil d'Etat statuant au contentieux a annulé cet arrêt puis, réglant l'affaire au fond, retenu l'existence de fautes médicales ayant fait perdre à l'intéressée une chance d'éviter le dommage et complété la mission de l'expert désigné par le tribunal administratif afin qu'il détermine l'ampleur de la chance perdue ; que, par un jugement rendu le 7 juillet 2011 au vu de l'expertise, le tribunal administratif de Rouen a fixé la perte de chance à 90 % et déterminé les sommes dues par le centre hospitalier à l'intéressée et aux membres de sa famille ; que, s'agissant de M. X et Mme Y. le tribunal leur a accordé une somme de 9 000 euros destinée à réparer, compte tenu la perte de chance retenue, l'aide matérielle apportée à leur fille ainsi que les frais de déplacement exposés pour lui rendre visite, ainsi qu'une somme de 9 000 euros au titre de leur préjudice moral ; que, par un arrêt du 4 décembre 2012, la cour administrative d'appel de Douai a confirmé le jugement ; que M. X. et Mme Y. se pourvoient contre cet arrêt en tant qu'il concerne l'indemnisation de l'aide matérielle apportée à leur fille et des frais de déplacement ; que, par la voie du pourvoi incident, le centre hospitalier A. demande qu'il soit annulé en tant qu'il fixe à 90 % la perte de chance subie par Mme Z. ;

Sur le pourvoi incident du centre hospitalier A. :

2. Considérant que si, pour évaluer à 90 %, comme les premiers juges, la perte de chance subie par Mme Z. du fait des fautes commises au centre hospitalier A., la cour administrative d'appel de Douai s'est notamment référée à la littérature médicale versée au dossier, il ne résulte pas de la motivation de son arrêt qu'elle se serait exclusivement fondée sur des statistiques générales, sans tenir compte de la situation particulière de la patiente ; que par suite, le centre hospitalier A. n'est pas fondé à soutenir que la cour, dont l'arrêt est suffisamment motivé en ce qui concerne la perte de chance, aurait commis sur ce point une erreur de droit ; que, par suite, sans qu'il soit besoin de statuer sur la fin de non recevoir soulevée à son encontre, le pourvoi incident formé par le centre hospitalier doit être rejeté ;

Sur le pourvoi de M. X. et Mme Y.:

3. Considérant qu'en rappelant que l'indemnisation des frais d'assistance d'une tierce personne ne peut intervenir qu'au profit de la victime, sans préjudice de la possibilité pour les proches de la victime qui lui apportent une assistance d'être indemnisés par le responsable du dommage au titre des préjudices qu'ils subissent de ce fait, la cour n'a pas commis d'erreur de droit ;

4. Mais considérant que, pour fixer à 9 000 euros l'indemnité accordée à M. X et Mme Y. au titre, à la fois, de l'aide matérielle qu'ils apportaient à leur fille et des frais de déplacement qu'ils avaient exposés pour lui rendre visite, la cour a estimé que les frais de déplacement n'étaient établis qu'à partir de 2008 et jusqu'en février 2010 ; que, toutefois, il ressortait des pièces du dossier qui lui était soumis, et notamment de deux attestations produites par les médecins en charge de Mme Z., que les intéressés avaient rendu visite à leur fille cinq jours par semaine depuis 2000 dans des établissements hospitaliers situés à 134 km puis à 56 km de leur domicile ; que, dans ces conditions, l'évaluation retenue par la cour est entachée de dénaturation ;

5. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que l'arrêt doit être annulé en tant qu'il statue sur les conclusions indemnitaires présentées par M. X et Mme Y. au titre de l'aide matérielle apportée à leur fille et des frais de déplacement ;

6. Considérant qu'aux termes du second alinéa de l'article L. 821-2 du code de justice administrative : " Lorsque l'affaire fait l'objet d'un second pourvoi en cassation, le Conseil d'Etat statue définitivement sur cette affaire " ; qu'en application de ces dispositions, il appartient au Conseil d'Etat de régler l'affaire au fond dans la mesure de la cassation prononcée ;

7. Considérant, d'une part, qu'ainsi qu'il a été dit il résulte de l'instruction que M. X. et Mme Y. ont effectué cinq déplacements par semaine entre les établissements au sein desquels leur fille a été hospitalisée et leur domicile à partir de 2000 ; que la justification de ces déplacements a été apportée jusqu'en juillet 2011 ; qu'eu égard à la fréquence des déplacements, aux distances parcourues et au prix du carburant il sera fait une juste appréciation de leur préjudice en leur accordant, compte tenu du taux de la perte de chance retenue par l'arrêt du 4 décembre 2012 devenu définitif sur ce point, une indemnité de 57 000 euros tous intérêts compris au jour de la présente décision ;

8. Considérant, d'autre part, que M. X. et Mme Y. justifient avoir apporté à leur fille, pendant la même période, une aide matérielle qui lui était nécessaire, notamment en lavant deux fois par semaine son linge et en procédant régulièrement à des courses pour répondre à ses besoins non pris en charge par l'établissement où elle est hospitalisée ; qu'il sera fait une juste appréciation du préjudice qui en est résulté pour eux en mettant à la charge de l'établissement, compte tenu du taux de la perte de chance, une indemnité de 9 000 euros, tous intérêts compris au jour de la présente décision ;

9. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que M. X. et Mme Y. sont fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif a condamné le centre hospitalier A. à ne leur allouer que la somme de 9 000 euros au titre de l'aide matérielle qu'ils ont apportée à leur fille et des frais de déplacement engendrés pour lui rendre visite ; qu'il convient de porter cette somme à 66 000 euros, tous intérêts compris au jour de la présente décision ;

Sur les conclusions présentées au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

10. Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge du centre hospitalier A., au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, une somme de 3 000 euros à verser à M. X. et Mme Y. et une somme globale de 3 000 euros à verser à la CPAM de Rouen-Elbeuf-Dieppe, à M. U, à M. V. et à l'Union départementale des associations familiales agissant en qualité de mandataire de Mme; que les mêmes dispositions font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de M. X. et Mme Y. qui ne sont pas, dans la présente instance, la partie perdante ;

D E C I D E :

Article 1er : L'arrêt de la cour administrative d'appel de Douai du 4 décembre 2012 est annulé en tant qu'il statue sur l'indemnisation demandée par M. X. et Mme Y. au titre de leurs frais de déplacement et de l'aide matérielle qu'ils ont apportée à leur fille.

Article 2 : La somme de 9 000 euros que le centre hospitalier A. a été condamné à verser à M. X. et Mme Y. par l'article 6 du jugement du 7 juillet 2011 est portée à 66 000 euros, tous intérêts compris au jour de la présente décision. Le jugement est réformé sur ce point.

Article 3 : Le centre hospitalier A. versera, au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, une somme de 3 000 euros à M. X. et Mme Y. et une somme globale de 3 000 euros à la CPAM de Rouen-Elbeuf-Dieppe, à M. U, à M. V et à l'Union départementale des associations familiales agissant en qualité de mandataire de Mme

Article 4 : Le pourvoi incident formé par le centre hospitalier A. et le surplus des conclusions de la requête d'appel de M. X. et Mme Y. sont rejetés.

Article 5 : La présente décision sera notifiée à M. X. et à Mme Y., au centre hospitalier A., à la caisse primaire d'assurance maladie de Rouen-Elbeuf-Dieppe, à Mme , à M., à M.., M. et à l'Union départementale des associations familiales.