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Conseil d'Etat, 31 juillet 1996 (fonctionnaire radié après la perte de sa nationalité française - réintégration dans la nationalité française - conséquences)

REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire enregistrés les 15 mai 1987 et 28 août 1987 au secrétariat du Contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour M. X., demeurant (...) ; M. X. demande que le Conseil d'Etat :
 

1°) annule le jugement du 8 janvier 1987 par lequel le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande tendant, d'une part, à titre principal :
- à l'annulation de la décision implicite de refus opposée par le maire de Gémenos à sa demande de réintégration dans les cadres de la commune ;
- à la condamnation de la commune à lui verser les sommes de 200 000 F en réparation du préjudice moral qu'il a subi du fait de cette décision, de 150 000 F à titre d'indemnité de licenciement et de 7 276,10 F, avec intérêts de droit, à titre d'indemnité compensatrice de congés payés ;
- à l'annulation des titres de recettes n° 85-84 et 83-84 du 22 août 1984 et n° 296 du 16 janvier 1985 émis à son encontre par la commune et portant sur le remboursement de sommes d'un montant respectif de 41 393,91 F, 32 400 F et 7 073,30 F ;
et, d'autre part, à titre subsidiaire :
- à la condamnation de la commune à lui verser, au titre de la période de janvier à juillet 1980, les indemnités pour perte d'emploi prévues au bénéfice des agents auxiliaires des collectivités locales ;
- à la condamnation de la commune à lui verser les sommes de 161 756 F, et100 000 F en réparation des préjudices matériels et des troubles dans les conditions d'existence qu'il a subis du fait de la décision susmentionnée de refus de réintégration ;
- à la réduction à 37 059,14 F du montant de la somme dont le remboursement est exigé par le titre de recettes n° 85-84 du 22 août 1984 ;
2°) annule, pour excès de pouvoir, la décision implicite de refus de réintégration susmentionnée ;
3°) condamne la commune, à titre principal, à lui verser la somme de 400 000 F, avec intérêts de droit, en réparation des préjudices subis du fait de cette décision et, à titre subsidiaire, la somme de 150 000 F, à titre d'indemnité de licenciement ;
4°) annule les titres de recettes susmentionnés et, à titre subsidiaire, réduise le montant des sommes dont le remboursement est exigé par ces titres ;

Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code de la nationalité ;
Vu la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;
Vu le code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ;
Vu l'ordonnance n° 45-1708 du 31 juillet 1945, le décret n° 53-934 du 30 septembre 1953 et la loi n° 87-1127 du 31 décembre 1987 ;

Après avoir entendu en audience publique :
- le rapport de Mme Daussun, Maître des Requêtes,
- les observations de la SCP Waquet, Farge, Hazan, avocat de M. André C. et de la SCP Delaporte, Briard, avocat de la commune de Gémenos, - les conclusions de M. Touvet, Commissaire du gouvernement ;

Sur le refus de réintégration dans les cadres de la commune de Gémenos opposé à M. X. :

Considérant qu'il résulte de l'article 24 de la loi du 13 juillet 1983 que la perte de la nationalité française entraîne la radiation des cadres et la perte de la qualité de fonctionnaire ; que cet article dispose que : "Toutefois, l'intéressé peut solliciter auprès de l'autorité ayant pouvoir de nomination, qui recueille l'avis de la commission administrative paritaire, sa réintégration en cas de réintégration dans la nationalité française" ; qu'aux termes de l'article 57-1 du code de la nationalité en vigueur à la date de la décision attaquée "Peuvent réclamer la nationalité française par déclaration ( ...) les personnes qui ont joui, d'une façonconstante, de la possession d'état de Français, pendant les dix années précédant leur déclaration./ Lorsque la validité des actes passés antérieurement à la déclaration était subordonnée à la possession de la nationalité française, cette validité ne peut être contestée pour le seul motif que le déclarant n'avait pas cette nationalité" ;

Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que M. X., qui occupait l'emploi de secrétaire général de la commune de Gémenos a été radié des cadres par un arrêté du maire du 7 janvier 1980 ; que cet arrêté, fondé sur le fait que M. X avait perdu la nationalité française à compter du 1er janvier 1963 faute pour lui d'avoir souscrit la déclaration prévue par la loi du 20 décembre 1966, est devenu définitif à la suite d'une décision du 16 novembre 1983 du Conseil d'Etat statuant au contentieux ; que, cependant, par l'effet d'une déclaration souscrite le 18 avril 1984 sur le fondement de l'article 57-1 du code de la nationalité, M. X. a recouvré la nationalité française ;

Considérant, en premier lieu, que les dispositions précitées de l'article 57-1 du code de la nationalité font obstacle à ce que soit opposée à la demande de réintégration de M. X l'illégalité de sa nomination comme secrétaire général de Gémenos au motif qu'à la date à laquelle elle a été prononcée il n'avait pas la nationalité française ;

Considérant, en second lieu, qu'il ne résulte pas du second alinéa précité de l'article 24 de la loi du 13 juillet 1983 que ses dispositions soient applicables seulement aux fonctionnaires dont la réintégration dans la nationalité française a été prononcée en application des articles 97-2 à 97-6 du code de la nationalité alors en vigueur ; que M. X. pouvait, dès lors, en revendiquer le bénéfice ;

Considérant qu'il ressort des mémoires produits par la commune de Gémenos devant le tribunal administratif et le Conseil d'Etat, que la décision implicite de rejet opposée par le maire à la demande de réintégration de M. X. a été motivée à la fois par l'illégalité de sa nomination et par le fait que l'article 24 de la loi du 13 juillet 1983 ne lui était pas applicable ; qu'il résulte de ce qui a été dit ci-dessus qu'aucun de ces deux motifs ne peut légalement fonder la décision attaquée, qui est, dès lors, entachée d'excès de pouvoir ; qu'il sera fait une juste appréciation du préjudice qu'elle a causé à M.X. en condamnant la commune à lui verser la somme de 25 000 F tous intérêts compris au jour de la présente décision ;

Sur les indemnités de licenciement et de congés payés et sur les allocations pour perte d'emploi :

Considérant que les articles L. 416-9 à L. 416-11 du code des communes alors applicables, dont se prévaut M. X., ne reconnaissent pas au bénéfice des fonctionnaires radiés des cadres en raison de la perte de la nationalité française un droit à une indemnité de licenciement ;

Considérant qu'aucun texte ni aucun principe général du droit ne reconnaît aux agents publics un droit à une indemnité compensatrice de congés payés dans le cas où l'agent cesse ses services avant d'avoir pu bénéficier de son congé ;

Considérant que M. X., qui n'a pas été employé comme agent auxiliaire par la commune de Gémenos pendant la période de janvier à juillet 1980 n'est, en tout état de cause, pas fondé à se prévaloir au titre de cette période des dispositions applicables au licenciement des agents ayant cette qualité pour prétendre au versement d'allocations pour perted'emploi ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède que M. X. n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Marseille a rejeté ses conclusions tendant à ce que la commune de Gémenos soit condamnée à lui verser une somme égale au montant des indemnités susmentionnées ;

Sur les titres de recettes :

Considérant qu'il est constant que M. X., après avoir été radié des cadres, n'a pas exercé ses fonctions au sein des services de la commune de Gémenos pendant la période de janvier à juillet 1980 ; qu'en l'absence de service fait, il n'est pas fondé à demander l'annulation du titre de recette n° 85-84 du 22 août 1984 ordonnant le reversement des traitements qui lui avaient été versés pendant cette période ; que les moyens invoqués à l'appui des conclusions tendant à la réduction du montant de la somme exigée sont dénués de précisions permettant d'en apprécier le bien-fondé ;

Considérant qu'il résulte de l'instruction que le logement qu'occupait sans droit ni titre, M. X., depuis sa radiation des cadres, appartenait au domaine privé de la commune ; qu'il n'appartient, en conséquence, qu'à la seule juridiction judiciaire de statuer sur la contestation des titres de recettes n° 83-84 du 22 août 1984 et n° 296 du 16 janvier 1985 concernant l'indemnisation de cette occupation irrégulière ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède que M. X. n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, qui est suffisamment motivé, le tribunal administratif de Marseille a rejeté ses conclusions tendant à contester les ordres de recettes susmentionnés ;

DECIDE :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Marseille en date du 8 janvier 1987 est annulé en tant qu'il a rejeté d'une part, les conclusions de M. X. tendant à l'annulation du refus opposé par le maire de Gémenos à sa demande de réintégration dans les cadres de la commune, d'autre part, les conclusions de M. X. tendant à ce que la commune lui verse une indemnité en réparation du préjudice moral causé par ce refus.
Article 2 : La décision implicite du maire de Gémenos rejetant la demande de réintégration présentée le 9 mai 1984 par M. C. est annulée.
Article 3 : La commune de Gémenos est condamnée à verser à M. X la somme de 25 000 F tous intérêts compris au jour de la présente décision.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête de M. X. est rejeté.
Article 5 : La présente décision sera notifiée à M. X., à la commune de Gémenos et au ministre de l'intérieur.

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Titrage : 26-01-01-025 DROITS CIVILS ET INDIVIDUELS - ETAT DES PERSONNES - NATIONALITE - REINTEGRATION DANS LA NATIONALITE -Article 24 de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 prévoyant qu'un fonctionnaire radié à la suite de la perte de la nationalité française peut solliciter sa réintégration s'il est réintégré dans cette nationalité - Dispositions applicables dès lors que l'intéressé recouvre la nationalité française, même s'il ne fait pas l'objet de la réintégration prévue par les articles 97-2 à 97-6 du code de la nationalité française (devenus les articles 24 à 24-3 du code civil).

36-07-01-01 FONCTIONNAIRES ET AGENTS PUBLICS - STATUTS, DROITS, OBLIGATIONS ET GARANTIES - STATUT GENERAL DES FONCTIONNAIRES DE L'ETAT ET DES COLLECTIVITES LOCALES - DROITS ET OBLIGATIONS DES FONCTIONNAIRES (LOI DU 13 JUILLET 1983) -Article 24 prévoyant qu'un fonctionnaire radié à la suite de la perte de la nationalité française peut solliciter sa réintégration s'il est réintégré dans cette nationalité - Dispositions applicables dès lors que l'intéressé recouvre la nationalité française, même s'il ne fait pas l'objet de la réintégration prévue par les articles 97-2 à 97-6 du code de la nationalité française (devenus les articles 24 à 24-3 du code civil).

Résumé : 26-01-01-025, 36-07-01-01 Article 24, second alinéa, de la loi du 13 juillet 1983 prévoyant que le fonctionnaire radié des cadres à la suite de la perte de la nationalité française peut, en cas de réintégration dans cette nationalité, solliciter sa réintégration dans la fonction publique. L'application de ces dispositions n'est pas limitée au cas où l'intéressé recouvre la nationalité française par la voie de la réintégration prévue par les articles 97-2 à 97-6 du code de la nationalité française (devenus les articles 24 à 24-3 du code civil). Ainsi, un fonctionnaire radié à la suite de la perte de la nationalité française et qui redevient français par une déclaration souscrite au titre de l'article 57-1 du code de la nationalité française (devenu l'article 21-13 du code civil) peut solliciter sa réintégration dans la fonction publique.

Textes cités :
Code des communes L416-9 à L416-11.
Loi 83-634 1983-07-13 art. 24. Loi 66-945 1966-12-20.