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Cour administrative d'appel de Lyon, 23 mars 2010, n° 07LY01554 (Dossier médical, perte, responsabilité)

COUR ADMINISTRATIVE D'APPEL DE LYON
6ème chambre - formation à 3

N° 07LY01554   


Inédit au recueil Lebon


Mme SERRE, président
Mme Geneviève VERLEY-CHEYNEL, rapporteur
Mme MARGINEAN-FAURE, commissaire du gouvernement
CHEVALIER Y., avocat


Lecture du mardi 23 mars 2010

REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la requête enregistrée le 20 juillet 2007 présentée pour M. Georges A domicilié ... ;

M. A demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement n° 0507567 du 9 mai 2007 par lequel le Tribunal administratif de Lyon a rejeté sa demande tendant à la condamnation du centre hospitalier de Saint-Etienne à lui verser une somme totale de 50 000 euros, en réparation de préjudices consécutifs à la perte de son dossier médical concernant ses hospitalisations de décembre 1995 et d'octobre 1996 ;
2°) de prononcer ladite condamnation ;

3°) de condamner le centre hospitalier de Saint-Etienne au paiement d'une somme de 3 500 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Il soutient que les premiers juges n'ayant pas tiré les conséquences du constat d'une faute du centre hospitalier, le jugement attaqué est insuffisamment motivé ; que le tribunal administratif a estimé à tort qu'il était inutile de procéder aux mesures d'instruction nécessaires ; qu'il a par ailleurs omis de statuer sur le moyen tiré de la violation de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; que le jugement attaqué rejetant ses prétentions indemnitaires viole les stipulations de l'article 6-1 de cette convention ; que pour toutes ces raisons, le jugement entrepris est entaché d'irrégularité ; que le centre hospitalier de Saint-Etienne n'a pas respecté les délais de transmission et que la transmission de son dossier entre ce dernier et le centre hospitalier du Vinatier est illégale ; qu'il a subi un préjudice certain directement causé par la disparition de son dossier ; que ses demandes présentées sur le fondement de l'illégalité de ses placements en établissement psychiatrique ont été rejetées du fait de la non production de preuves qu'il n'a pas pu apporter en raison de la perte de son dossier médical imputable au centre hospitalier de Saint-Etienne ; qu'il a perdu une chance d'établir l'illégalité de son internement et d'en obtenir réparation ;

Vu le jugement attaqué ;

Vu le mémoire, enregistré le 27 avril 2009, présenté pour le centre hospitalier de Saint-Etienne qui conclut au rejet de la requête ; il soutient que M. A, qui se borne à affirmer que la preuve de l'illégalité de son internement serait justifiée par les documents de son dossier médical, n'apporte aucun commencement de preuve ; qu'en outre, il n'a pas démontré, dans le cadre de l'instance en excès de pouvoir engagée contre les décisions de placement en établissement psychiatrique, une telle illégalité ; qu'il ne peut être reproché au tribunal une omission à statuer sur le moyen tiré de la méconnaissance de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales alors qu'un tel moyen n'était pas soulevé dans la requête introductive d'instance ; que si le requérant a tenté de démontrer la méconnaissance de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme à l'occasion d'un mémoire en réplique enregistré le 15 janvier 2007, il n'a a aucun moment soulevé le moyen tiré de la violation de ladite convention ; que, par suite, ce moyen manque en fait ; qu'en outre, M. A ne saurait valablement soutenir que les premiers juges auraient méconnu l'article 6 de la convention européenne au motif qu'ils n'auraient pas fait droit à sa demande indemnitaire ou qu'ils auraient statué dans un délai déraisonnable ; que le moyen tiré de l'irrégularité de la procédure d'accès aux dossiers médicaux n'est pas étayé des précisions suffisantes pour en apprécier le bien-fondé ; que sa demande indemnitaire est excessive ; que, par ailleurs, le requérant n'établit pas que les pièces qu'il considère comme décisives dans la défense de ses droits auraient une véritable existence juridique, la décision d'hospitalisation sur demande d'un tiers n'ayant d'ailleurs pas à être formalisée par écrit, ni à être notifiée ; que M. A ne démontre pas que le défaut de production des deux pièces en cause serait en relation directe, certaine et exclusive avec le préjudice dont il s'estime victime ; qu'il n'établit d'ailleurs pas la réalité de son préjudice par ses allégations imprécises ;

Vu le mémoire, enregistré le 14 septembre 2009, par lequel M. A maintient pour l'essentiel les conclusions de la requête et ramène à 3 000 euros ses conclusions au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ; il soutient, en outre, que la perte de son dossier médical a pour conséquence immédiate de ne pas pouvoir prouver un certain nombre d'éléments factuels dans les instances qu'il a engagées ; que la perte du dossier ne permet pas de savoir sur quel fondement juridique le transfert du 8 octobre 1996 a eu lieu et par conséquent les règles procédurales qui étaient applicables ; que cette perte empêche d'établir la réalité du respect du principe du contradictoire ainsi que du respect de l'obligation de motiver la décision d'hospitalisation forcée ;

Vu le mémoire enregistré le 4 février 2010 par lequel M. A maintient ses précédentes conclusions par les mêmes moyens et par les moyens en outre que la perte de son dossier lui cause un préjudice moral en raison de l'atteinte à ses droits fondamentaux notamment sa liberté individuelle et le respect de son corps ;
Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code de la santé publique ;

Vu l'arrêté du 11 mars 1968 ;

Vu le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 11 février 2010 :

- le rapport de Mme Verley-Cheynel, président-assesseur ;

- les observations de M. A ;

- et les conclusions de Mme Marginean-Faure, rapporteur public ;

Considérant que M. A, qui a fait l'objet de deux hospitalisations aux urgences du centre hospitalier universitaire de Saint-Etienne respectivement le 13 décembre 1995 et le 7 octobre 1996, a sollicité, en juillet 2004, la communication des dossiers médicaux établis à ces occasions ; que le centre hospitalier n'a pu faire droit à sa demande concernant le dossier établi pour l'hospitalisation de 1995 et a finalement communiqué une partie du second des deux dossiers ; que le requérant qui a recherché la responsabilité du centre hospitalier de Saint-Etienne du fait de la perte de ces dossiers médicaux fait appel du jugement par lequel le Tribunal administratif de Lyon a rejeté sa demande ;

Sans qu'il soit besoin de statuer sur la régularité du jugement attaqué :

Considérant, qu'il incombait au centre hospitalier, en application des dispositions de l'arrêté du 11 mars 1968 portant règlement des archives hospitalières, d'assurer la conservation des tous documents faisant partie du dossier médical de l'intéressé ; que la disparation et la non communication du dossier médical de M. A constituent un manquement de l'établissement à ses obligations, révélant une faute dans l'organisation et le fonctionnement du service de nature à engager la responsabilité du centre hospitalier ;


Considérant que s'il n'est pas établi que l'absence de communication desdits dossiers ait fait perdre à M. A une chance sérieuse d'obtenir gain de cause dans les procédures judiciaires qu'il a engagées, il ressort de l'instruction que le requérant a subi un préjudice moral certain du fait de la non communication, à laquelle il avait droit, de ses dossiers médicaux contenant notamment des informations sur les conditions de son internement et, en particulier, sur les traitements et les soins qui lui ont été administrés à l'occasion de ces hospitalisations ; qu'il sera fait une juste appréciation du préjudice moral subi par M. A en fixant à 2 000 euros le montant de l'indemnité que devra lui verser le centre hospitalier de Saint-Etienne à titre de réparation ;

Considérant, que si M. A, employé par l'établissement public en cause, fait valoir par ailleurs que l'administration de l'hôpital aurait commis une faute en divulguant certains éléments personnels contenus dans les dossiers litigieux dans l'enceinte du centre hospitalier, il ne l'établit pas ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède que M. A est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, les premiers juges ont rejeté sa demande ;


Sur les conclusions présentées sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :


Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge du centre hospitalier de Saint-Etienne la somme de 2 000 euros au titre des frais exposés par M. A et non compris dans les dépens ;

DECIDE :

Article 1er : Le jugement du Tribunal administratif de Lyon en date du 9 mai 2007 est annulé.

Article 2 : Le centre hospitalier de Saint-Etienne est condamné à verser la somme de 2 000 euros à M. A.


Article 3 : Le centre hospitalier de Saint-Etienne versera à M. A une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.


Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête de M. A est rejeté.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. Georges A et au centre hospitalier de Saint-Etienne.

Délibéré après l'audience du 11 février 2010 à laquelle siégeaient :
Mme Serre, présidente de chambre,
Mme Verley-Cheynel, président-assesseur,
M. Picard, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 23 mars 2010.