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Cour administrative d'appel de Nancy, 4 mai 1999, Mme X (défaut de surveillance - chute d'un patient)

REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

(Troisième Chambre)

Vu la requête et le mémoire enregistrés les 27 février et 21 avril 1995 au greffe de la Cour, présentés pour Mme X demeurant (...) et pour Mme Y demeurant (...) par la SCP d'avocats Godin-Dragon-Grillet, demandant à la Cour :
1 ) - de réformer le jugement du 12 janvier 1995 par lequel le tribunal administratif de Lille a rejeté leur action en responsabilité fondée sur la faute du centre hospitalier de Douai ;
2 ) - de déclarer cet établissement hospitalier entièrement responsable des conséquences dommageables de la chute de Mme X survenue dans la nuit du 16 au 17 décembre 1987, à la suite de laquelle elle s'est fracturé le col du fémur gauche et de le condamner à payer :
- d'une part, à Mme X les sommes de :
. 36 279 F au titre du préjudice soumis au recours après déduction des débours de la SOCIETE de SECOURS MINIERE ;
. 40 000 F au titre de son préjudice personnel ;
. 5 000 F au titre de l'article L.8-1 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ;
- et d'autre part, à Mme X la somme de 20 000 F à titre de dommages et intérêts ;

Vu le mémoire, enregistré le 24 juillet 1995, présenté pour la SOCIETE de SECOURS MINIERE , prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en son siège situé (...), par Me Duhamel, demandant à la Cour de condamner le centre hospitalier de Douai à lui verser la somme de 68 182,20 F représentant ses débours afférents aux frais d'hospitalisation et de soins médicaux versés au titre de l'accident survenu à Mme  X dans la nuit du 16 au 17 décembre 1987 ;

Vu l'ordonnance du président de la 3ème Chambre, portant clôture de l'instruction au 5 mars 1999 de la présente affaire, et en vertu de laquelle, en application de l'article R.156 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel, les mémoires produits après cette date n'ont pas été examinés par la Cour ;

Vu le jugement attaqué ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code de la sécurité sociale ;
Vu le code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ;
Vu la loi n° 87-1127 du 31 décembre 1987 ;

En application de l'article R.153-1 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel, les parties ayant été informées que l'arrêt paraissait susceptible d'être fondé sur un moyen soulevé d'office ;

Les parties ayant été dûment averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 8 avril 1999 :
- le rapport de M. LION, Premier Conseiller,
- les observations de Me HUMBERT, avocat de Mmes X etet de Me DIEUDONNE, substituant Me GAUCHER, avocat du centre hospitalier de Douai ;
- et les conclusions de M. VINCENT, Commissaire du Gouvernement ;

Considérant que Mmes X et Y forment régulièrement appel du jugement du 12 janvier 1995 par lequel le tribunal administratif de Lille a rejeté leur action en responsabilité fondée sur la faute du centre hospitalier de Douai ;

Sur la responsabilité :

Considérant qu'après avoir été présentée à l'interne de garde, Mme X a été admise le 16 décembre 1987 au service de médecine A du centre hospitalier de Douai ; que le lendemain, à 7 h 30, elle a été retrouvée sur le sol par le personnel soignant, alors qu'une heure auparavant, les aides-soignantes avaient déjà signalé une position vicieuse de son membre inférieur gauche ; qu'une radiographie ultérieure révélera ensuite une fracture du col fémoral ;

Considérant qu'il résulte de l'instruction, et notamment du rapport de l'expert, que Mme X, alors âgée de 72 ans, vivait seule, mais avec une garde la nuit en raison de ses multiples antécédents médicaux comportant en particulier polyarthrite rhumatoïde, diabète, insuffisance coronarienne, hypertension artérielle et acuité visuelle fortement diminuée à la suite d'une opération de la cataracte droite ; qu'elle présentait également des troubles locomoteurs lorsqu'elle a été hospitalisée sur demande de son médecin-traitant à la suite d'un accident ischémique transitoire survenu dans l'après-midi du 16 décembre 1987 après qu'elle ait été retrouvée à genoux chez elle par sa fille avec des troubles de l'élocution et une hyperthermie ; que cet accident ischémique, les troubles confusionnels et l'impotence des membres inférieurs de l'intéressée étaient notamment connus du centre hospitalier de Douai, ainsi que le démontre sa lettre du 18 décembre 1987 relative au transfert de Mme X dans son service de chirurgie à la suite de la chute litigieuse ; qu'ainsi, l'âge et l'état de cette malade nécessitaient, dans les circonstances de l'espèce, des mesures de surveillance particulières pouvant notamment consister en la pose de barrières latérales de sécurité sur son lit, alors même que son état confusionnel, qui s'est d'ailleurs encore manifesté après cette chute, aurait comporté des périodes de lucidité durant l'hospitalisation litigieuse ; que, dans ces conditions, Mmes X, Y et la SOCIETE de SECOURS MINIERE sont fondées à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Lille a exonéré entièrement le centre hospitalier de Douai de sa responsabilité ; qu'il y a donc lieu d'annuler ce jugement et de statuer par l'effet dévolutif de l'appel ;

Considérant qu'ainsi qu'il a été dit ci-dessus, la chute litigieuse de la malade n'était pas imprévisible dès lors que cette personne du troisième âge, hyperthermique était laissée seule dans un lit non doté de barrières latérales de sécurité, alors qu'elle semblait polyurique, était habituée à avoir une chaise percée à côté d'elle, ce qui impliquait, selon l'expert, le réflexe de sortir de son lit en cas de besoin urgent ; qu'ainsi, les visites du personnel de veille ne pouvaient, à elles seules, prévenir les risques de chute, prévisibles compte-tenu de ses antécédents médicaux ; que cette faute dans l'organisation et le fonctionnement du service est, en l'espèce, de nature à engager la responsabilité du centre hospitalier de Douai qui doit supporter l'entière responsabilité des conséquences de la chute de Mme X ;

Sur l'évaluation du préjudice de Mme X :

Considérant, en premier lieu, que si Mme X sollicite l'allocation d'une somme de 10 000 F au titre de son incapacité temporaire totale de la période du 17 décembre 1987 au 22 avril 1988, elle n'apporte pas la preuve d'une perte de revenus y correspondant ;

Considérant, en deuxième lieu, que si Mme X soutient que le montant total des frais médicaux se serait élevé à la somme de 70 861,90 F et comprendrait une somme de 2 679,90 F de frais médicaux et paramédicaux qui serait restée à sa charge, elle ne le justifie pas ; que si les frais d'hospitalisation inhérents à la chute litigieuse se sont élevés à la somme de 68 182,90 F, il résulte cependant du rapport de l'expert qu'alors même que toutes les suites de l'intervention chirurgicale postérieure à la chute survenue dans la nuit du 16 au 17 décembre 1987 sont imputables à cette chute, la SOCIETE de SECOURS MINIERE aurait en tout état de cause supporté les frais d'hospitalisation certains et nécessaires à la réalisation d'un bilan médical, soit une dizaine de jours ; qu'il y a, en conséquence, lieu de réduire de dix vingt-septièmes (10/27 ) le coût de la première hospitalisation de Mme X à Douai et de ramener l'indemnisation de ce chef de préjudice à 53 886,68 F ;

Considérant, en troisième lieu, qu'il résulte du rapport du Dr Rambeaux, expert nommé par le juge du référé administratif de Lille, que Mme X, âgée de 72 ans lors de l'accident litigieux, a présenté une fracture trochantéro-dyaphisaire, traitée par ostéosynthèse avec clou-plaque de Staca le 21 décembre 1987, à la suite de laquelle elle a subi une période d'incapacité temporaire totale du 17 décembre 1987 au 22 avril 1988 et une période d'incapacité temporaire partielle évaluée à 50 % jusqu'au 15 février 1989, la date de sa consolidation ayant été fixée au lendemain par l'expert ; qu'à la suite de la chute fautive, Mme X a présenté des escarres, et une dégradation progressive de son état général avec troubles confusionnels et est restée hospitalisée jusqu'au 11 février 1988 ; que les séquelles directement imputable à la faute du service public hospitalier ont été estimées par l'expert comme entraînant une incapacité permanente partielle d'un taux de 5 % qui sera justement réparée par l'octroi de la somme de 10 000 F dont la moitié au titre des troubles psysiologiques dans ses conditions d'existence ;

Considérant, en quatrième lieu, que les souffrances physiques endurées par Mme X sont évaluées par l'expert à 4 sur une échelle allant de 1 à 7, qui seront justement réparées par l'allocation d'une somme de 40 000 F ;

Considérant qu'en vertu de ce qui précède, le préjudice total subi par Mme X doit être fixé à la somme totale de 103 886,68 F ;

Sur les droits de la SOCIETE de SECOURS MINIERE :

Considérant que la SOCIETE de SECOURS MINIERE a droit au remboursement des prestations mises à sa charge à due concurrence de la part d'indemnité mise à la charge du tiers qui répare l'atteinte à l'intégrité physique de la victime, à l'exclusion de la part d'indemnité, de caractère personnel, correspondant aux souffrances physiques ou morales par elle endurées et du préjudice esthétique et d'agrément ; qu'en l'espèce, les débours justifiés de cette caisse au titre des frais médicaux pharmaceutiques, et indemnités journalières doivent être limités à 53 886,68 F ; qu'il y a donc lieu de condamner le centre hospitalier de Douai à lui verser cette somme ;

Sur les droits de Mme X :

Considérant qu'en l'absence de partage de responsabilité, Mme X a droit au remboursement d'une somme égale à la différence entre le montant de l'indemnité mise à la charge du centre hospitalier de Douai et la créance de la caisse ; qu'ainsi, ses droits s'élèvent à la somme de 50 000 F au paiement de laquelle le centre hospitalier de Douai doit être condamné ;

Sur les conclusions de Mme Y à fins de dommages et intérêts :

Considérant que si Mme Y sollicite l'octroi d'une somme de 20 000 F aux motifs que, d'une part, elle a dû assister sa mère durant les hospitalisations consécutives à la chute fautive et, d'autre part, elle a dû assurer sa surveillance constante après son retour à domicile, le préjudice allégué est en relation de causalité directe, non avec la faute du service public hospitalier, mais avec ses décisions personnelles prises après la chute litigieuse ; que, par suite, les conclusions indemnitaires de Mme Y ne peuvent être accueillies ;

Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L.8-1 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel :

Considérant que les conclusions par lesquelles Mme Y sollicite l'indemnisation de ses frais de représentations doivent être regardées comme tendant à l'application de l'article L.8-1 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel aux termes duquel : "Dans toutes les instances devant les tribunaux administratifs et les cours administratives d'appel, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation" ;
Considérant qu'en application de ces dispositions, il y a lieu de condamner le centre hospitalier de Douai à payer à Mme Y une somme de 4 000 F au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ;

DECIDE :
Article 1er : Le jugement du 17 novembre 1994 du tribunal administratif de Lille est annulé.
Article 2 : Le centre hospitalier de Douai est condamné à payer à la SOCIETE de SECOURS MINIERE la somme de 53 886,68 F.
Article 3 : Le centre hospitalier de Douai est condamné à payer à Mme X la somme de 50 000 F.
Article 4 : Le centre hospitalier de Douai est condamné à payer à Mme X la somme de 4 000 F en application des dispositions de l'article L.8-1 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel.
Article 5 : Le surplus des conclusions de Mme X et de la SOCIETE de SECOURS MINIERES est rejeté.
Article 6 : Les conclusions de Mme Y sont rejetées.
Article 7 : Le présent arrêt sera notifié à Mme X, à Mme Y, au centre hospitalier de Douai et à la SOCIETE de SECOURS MINIERE .