Obligation est faite au directeur d’un établissement de santé d’admettre un patient nécessitant des soins urgents, même en l’absence de tout renseignement sur les conditions dans lesquelles les frais de séjour seraient remboursés à l’établissement. Constitue une faute de nature à engager la responsabilité de l'établissement public hospitalier, l'ajournement de l'admission dans l'attente de la présentation par l'intéressé d'une attestation de prise en charge de ses frais médicaux et d'hospitalisation par les organismes de sécurité sociale de son pays d'origine.
Article R. 1112-13 (ancien article 4 du décret n° 74-27 du 14 janvier 1974) : « Si l'état d'un malade ou d'un blessé réclame des soins urgents, le directeur prend toutes mesures pour que ces soins urgents soient assurés. Il prononce l'admission, même en l'absence de toutes pièces d'état civil et de tout renseignement sur les conditions dans lesquelles les frais de séjour seront remboursés à l'établissement. » |
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
VU la requête sommaire et le mémoire ampliatif, enregistrés les 12 octobre 1995 et 8 janvier 1996 au greffe de la cour administrative d'appel, présentés pour Mme X., demeurant ..., par Me X, avocat ; Mme X. demande à la cour ;
1 ) d'annuler le jugement n 93-04349/3 du 5 avril 1995 par lequel le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à la condamnation de l'Assistance publique - Hôpitaux de Paris à lui verser la somme de 1.000.000 F assortie des intérêts au taux légal, au titre de la réparation du préjudice qui résulterait pour elle des conditions dans lesquelles a été soigné, au sein d'un hôpital de l'AP-HP, le méningiome cérébral dont elle était atteinte ;
2 ) de condamner l'Assistance publique - Hôpitaux de Paris à lui verser cette somme, assortie des intérêts au taux légal ;
VU les autres pièces du dossier ;
VU le code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ;
VU la loi n 87-1127 du 31 décembre 1987 ;
VU le décret n 74-27 du 14 janvier 1974 ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 26 mai 1998 :
- le rapport de M. SIMONI, président,
- les observations de la SCP LAGARGE-FLECHEUX, avocat, pour Mme X. et celles du cabinet FOUSSARD, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, pour l'Assistance publique - Hôpitaux de Paris,
- et les conclusions de Mme HEERS, commissaire du Gouvernement ;
Considérant que Mme X., de nationalité algérienne et résidant en Algérie, est venue en consultation au sein d'un hôpital de l'AP-HP le 16 juillet 1987, sur le conseil de son médecin traitant, en raison de maux de tête persistants et de troubles de la vision ; que l'examen par scanner pratiqué à cette date a révélé la présence, dans la région temporale gauche, d'un méningiome particulièrement volumineux provoquant une hypertension intra-crânienne excessive et retentissant sur les voies visuelles, au point qu'existait un oedème papillaire bilatéral majeur ; que, cependant, l'hospitalisation de Mme X. a été différée jusqu'à ce que l'intéressée soit en mesure de présenter une attestation de prise en charge de ses frais médicaux et d'hospitalisation par les organismes de sécurité sociale de son pays d'origine ; que, pour se procurer ce document, Mme X. s'est rendue en Algérie et n'a, par suite, été admise dans le service de neuro-chirurgie d'un hôpital de l'AP-HP qu'à son retour, soit le 8 août 1987 ; qu'en raison des investigations médicales rendues nécessaires par la préparation de l'intervention chirurgicale d'exérèse du méningiome, ainsi que des complications ayant affecté l'état de la malade, cette intervention n'a pu être pratiquée jusqu'à son terme que le 17 septembre 1987 ; que si sa vie a pu être préservée, Mme X. reste atteinte d'une cécité quasi-complète et définitive ;
Considérant qu'aux termes de l'article 4 du décret du 14 janvier 1974 relatif aux règles de fonctionnement des centres hospitaliers et des hôpitaux locaux : "Si l'état d'un malade ou d'un blessé réclame des soins urgents, le directeur général (ou le directeur) doit prononcer l'admission, même en l'absence de toutes pièces d'état civil et de tout renseignement sur les conditions dans lesquelles les frais de séjour seront remboursés à l'établissement ; plus généralement, il prend toutes mesures pour que ces soins urgents soient assurés" ; qu'aux termes de l'article 31 du même décret : "Les étrangers sont admis dans l'établissement dans les mêmes conditions que les ressortissants français" ;
Considérant qu'il résulte de l'instruction et notamment du rapport de l'expert désigné par le président du tribunal administratif de Paris pour examiner Mme X., d'une part, que du fait de l'altération continue des voies visuelles résultant de la présence du méningiome révélé par l'examen par scanner le 16 juillet 1987 et du risque imminent de cécité qui en découlait, l'opération d'exérèse de la tumeur devait être pratiquée d'urgence, d'autre part, que le report de trois semaines, au 8 août 1987 de son admission à l'hôpital a été de nature à compromettre les chances qu'avait encore la malade de conserver un potentiel de vision minimal alors même qu'aucune certitude n'existait sur la possibilité de sauvegarder la vue de Mme X. ; qu'ainsi, eu égard à l'urgence qui s'attachait aux soins nécessités par l'état de Mme X., urgence révélée en France lors de l'examen pratiqué le 16 juillet 1987, il appartenait au directeur du centre hospitalier, en application des dispositions précitées du décret du 14 janvier 1974, de prononcer son admission, même en l'absence de tout renseignement sur les conditions dans lesquelles les frais de séjour seraient remboursés à l'établissement ; qu'en conséquence, si les soins dispensés à Mme X. postérieurement au 8 août 1987 ne révélent aucune faute du centre hospitalier, en revanche, le fait d'avoir ajourné cette admission est constitutif d'une faute de nature à engager la responsabilité de l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris ;
Considérant qu'il sera fait une juste appréciation du préjudice subi par Mme X. en accordant à celle-ci une réparation de 100.000 F ; que cette somme portera intérêts au taux légal à compter du 24 novembre 1992, date de réception par l'administration de la demande préalable de la requérante ;
Considérant que la capitalisation des intérêts a été demandée les 8 novembre 1994 et 24 avril 1997 ; qu'à chacune de ces dates il était dû au moins une année d'intérêts, que dès lors, conformément aux dispositions de l'article 1154 du code civil, il y a lieu de faire droit ces demandes ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que Mme X. est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris a rejeté ses conclusions aux fins de condamnation de l'Assistance publique - Hôpitaux de Paris ;
Sur les conclusions tendant au bénéfice des dispositions de l'article L. 8-1 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel :
Considérant que ces dispositions font obstacle à ce que la requérante, qui dans la présente instance n'est pas la partie perdante, soit condamnée à verser à l'Assistance publique - Hôpitaux de Paris la somme que celle-ci réclame au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ; qu'en revanche, il y a lieu, en l'espèce, en application des mêmes dispositions, de condamner l'Assistance publique - Hôpitaux de Paris à payer à Mme X. une somme de 2.500 F, représentative de frais engagés par la requérante et distincts des honoraires d'avocat ;
DECIDE :
Article 1er : L'article 1er du jugement du tribunal administratif de Paris en date du 5 avril 1995 est annulé.
Article 2 : L'Assistance publique - Hôpitaux de Paris est condamnée à verser à Mme X. une somme de 100.000 F, qui portera intérêts au taux légal à compter du 24 novembre 1992. Les intérêts échus les 8 novembre 1994 et 24 avril 1997 seront capitalisés à ces dates pour produire eux-mêmes intérêts.
Article 3 : L'Assistance publique - Hôpitaux de Paris versera à Mme X une somme de 2.500 F en application des dispositions de l'article L.8-1 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel.
Article 4 : Les conclusions de l'Assistance publique - Hôpitaux de Paris tendant au bénéfice des dispositions de l'article L.8-1 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel sont rejetées.