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Synthèse du rapport BLISKO LEFRAND, sur la mise en œuvre de la loi n° 2011-803 du 5 juillet 2011 relative aux droits et à la protection des personnes faisant l'objet de soins psychiatriques

Rapport d’information n° 4402 déposé le 22 février 2012 par la commission des affaires sociales sur la mise en œuvre de la loi n° 2011-803 du 5 juillet 2011 relative aux droits et à la protection des personnes faisant l'objet de soins psychiatriques et aux modalités de leur prise en charge et présenté par Serge BLISKO et Guy LEFRAND

Ce rapport fait une analyse du contenu des dispositions réglementaires et revient sur les six premiers mois de mise en œuvre de la loi du n° 2011-803 du 5 juillet 2011 relative aux soins et à la protection des personnes faisant l’objet de soins psychiatriques et aux modalités de leur prise en charge.

Il se décompose en deux parties : la première fait état des textes réglementaires publiés et des circulaires édictées pour la mise en œuvre de la nouvelle législation ; tandis que la seconde partie formule huit propositions d’amélioration de ces dispositions, prises sur la base des auditions qui ont été menées et des observations que les rapporteurs ont effectuées lors de leurs déplacements.

I.                    Les textes d’application de la loi du 5 juillet 2011

Le rapport souligne que les décrets et les circulaires nécessaires à l’application de la loi sont parus très rapidement et qu’à ce jour seul un décret d’application n’a pas été publié. Il s’agit du décret en Conseil d’Etat censé déterminer les conditions d’application de l’article L. 3222-1-2 du Code de la santé publique relatif aux conventions qui doivent être passées entre le directeur de l’établissement de santé, le préfet, les collectivités territoriales et le directeur général de l’ARS en vue d’assurer le suivi et favoriser la réinsertion sociale des personnes ayant fait l’objet de soins psychiatriques sans consentement sous une autre forme que l’hospitalisation complète.

La loi du 5 juillet 2011 a également prévu le dépôt de deux rapports par le gouvernement :

-          le 1er relatif à l’état de la recherche médicale française en psychiatrie (qui doit être déposé dans un délai d’un an à compter de la promulgation de la loi) ;

-          le 2nd relatif à l’évolution du statut et des modalités de fonctionnement de l’infirmerie psychiatrique de la préfecture de police de Paris (I4P) (qui devait être remis dans un délai de six mois à compter de la promulgation de la loi – apparemment, ce rapport a été rédigé et conclurait à la nécessité d’adosser la structure à un établissement de santé disposant de la mission de service public d’accueil des patients en soins psychiatriques sans consentement).

II.                 Les six premiers mois de mise en œuvre de la loi

Le rapport souligne la mobilisation exceptionnelle des professionnels concernés par cette réforme qui a permis d’éviter de ce qui apparaissait à cette époque comme une « catastrophe annoncée » .

Liste des propositions :

Proposition n° 1 : prévoir des formations communes au monde judiciaire et au monde médical

Les rapporteurs signalent l’importance d’organiser des formations croisées rassemblant l’ensemble des professionnels concernés par la réforme : JLD, médecins et avocats afin d’avoir une meilleure connaissance des détails de la loi et surtout de permettre une meilleure compréhension mutuelle de ces acteurs, de leurs motivations et de la nature des interventions.

Le rapport relève que l’absence de répartition de certaines compétences ou de définition des modalités de coopérations entre administrations constitue un frein au niveau ministériel et au niveau local à la bonne application de la loi. Ainsi, le rôle des ARS dans la procédure de soins sur décision du représentant de l’Etat nécessite des éclaircissements (représentation du préfet devant le JLD notamment en appel,…). Il en est de même pour les escortes policières.

Il remarque que le degré de coopération et de coordination des différents acteurs est très variable d’un département à un autre (exemple : lors d’un déplacement dans le Val d’Oise, les rapporteurs ont constaté que l’anticipation des JLD du TGI de Pontoise et les établissements de santé avait permis de trouver un terrain d’entente entre eux au bénéfice des patients tandis que dans le Val-de-Marne, il existe des dysfonctionnements répétés entre les établissements de santé, la délégation territoriale de l’ARS, le préfet et le TGI de Créteil dans l’envoi et la réception des dossiers de saisine du JLD (NB : A Créteil, 6 établissements psychiatriques sont situées dans le ressort du TGI ; ce tribunal a la plus importante activité en matière de contentieux de soins sans consentement dans le ressort de la CA de Paris, après Paris).

Le rapport relève que certains agissements, tant des psychiatres que des JLD créent des crispations autour de sujets tels que le lieu de l’audience, le transport du patient ou les certificats médicaux. Lors des auditions, les rapporteurs ont été ainsi été confrontés à des « poches de résistance » sur des points précis du texte et dont les manifestations se traduisent par des tentatives de contournement de la loi. Ils indiquent également que la possibilité pour le patient de ne pas être entendu à l’audience pour des raisons médicales  soit parfois utilisée pour éviter d’avoir à transporter le malade au tribunal pour des raisons matérielles ou de sécurité rendant impossible ce transport (manque de véhicules, de personnel infirmier,…) ou pour des raisons idéologiques (ex : rejet par certains psychiatres de l’intervention du JLD). Certains établissements présentent ainsi un taux de 100% de certificats médicaux de non-présentation des patients à l’audience. Le rapport estime en outre qu’il convient de ne pas sous-estimer les difficultés matérielles rencontrées pour faire appliquer la loi au sein des établissements de santé, des ARS et des tribunaux.

Il fait également le constat que certains professionnels (psychiatre ou JLD) tentent de contourner la loi. Il prend l’exemple de pratiques visant à éluder le contrôle de plein droit du JLD soit par la mise en place de programme de soins prévoyant une hospitalisation partielle avec une sortie d’une heure par jour (hospitalisation 23 heures sur 24) soit en laissant simplement partir les patients juste avant la saisine du JLD, quitte à procéder par la suite à une réintégration.

La plupart des personnes qui ont été auditionnées par les rapporteurs ont fait remarquer que les efforts initiaux et temporaires qui ont été consentis pour faire en sorte que la loi soit appliquée, ne pourraient perdurer sur le long terme sans moyens nouveaux.

Bilan chiffré partiel après 6 mois

-          Nombre de saisines en matière de contrôle de plein droit : 28434

-          Nombre de saisines en recours facultatifs : 1235

-          Les juridictions les + concernées par le nombre de saisines de plein droit sont (dans l’ordre) : Lyon, Paris, Créteil et Bordeaux.  Saisine tardive : 1,3% au total

-          Lieu des audiences :

·        73% au tribunal dont 8,4% grâce à la visioconférence

·        27% au sein de l’établissement de santé

-          Présence de l’avocat : quasi systématique ; ils sont commis d’office dans 90% des cas.

-          Nombre d’appels : 2,8% du total des décisions et 7,3% de ces appels ont un caractère suspensif.

-          Protocoles établis entre les juridictions et les établissements de santé sur leur ressort dans 37% des cas.

Dans le domaine de transmission des dossiers de saisine, le rapport remarque que des problèmes récurrents surviennent dans la coordination avec les services hospitaliers mais surtout avec les services préfectoraux (situation très variable d’un TGI à un autre).

De façon générale, le rapport considère que tous les acteurs de cette réforme doivent être responsabilisés et les problèmes internes d’organisations administratives doivent être résolus au plus vite.

Les rapporteurs profitent de cette occasion pour évoquer une proposition soumise par l’un de leurs interlocuteurs, à savoir celle de transférer la responsabilité de la saisine du préfet au directeur de l’établissement de soins dans le cadre de soins sur décision du représentant de l’Etat. Ils répondent négativement à cette proposition dans la mesure où la responsabilité à l’origine de la décision en soins doit pleinement s’appliquer. Ils appliquent le même raisonnement concernant l’envoi des pièces du dossier au greffe par le directeur de l’établissement de santé à la place du préfet dans la mesure où, même si cela simplifierait les circuits administratifs, l’envoi par le préfet est l’occasion de vérifier la complétude des dossiers.

Proposition n° 2 : généraliser la tenue des audiences à l’hôpital

Au-delà des difficultés matérielles liées à l’organisation des audiences hors tribunal, les rapporteurs constatent une certaine réticence de la hiérarchie judiciaire au principe même de la tenue d’audiences foraines (ex : TGI de Créteil avec pour conséquence le fait qu’aucune audience foraine n’est actuellement organisée en raison de justifications tant matérielles que conceptuelles).

Le rapport affirme que sur ce sujet il convient d’être volontariste et demander aux JLD de se déplacer. L’exemple des JLD qui se déplacent au sein des établissements psychiatriques démontre que la tenue des audiences à l’hôpital est faisable, sans être plus chronophage qu’une audience au TGI, qu’elle est préférable d’un point de vue humain à tout autre type d’audience et qu’il en va du respect de la dignité des patients.

Proposition n° 3 : recommander la tenue des audiences en chambre du conseil

S’agissant de la publicité des débats, les rapporteurs considèrent qu’il convient d’encourager les JLD à tenir audience en chambre du conseil. Cette solution est selon eux la seule conforme au respect de la vie privée des patients.

Ils estiment également qu’une réflexion par les médecins devrait être menée sur le contenu des certificats et avis destinés au JLD tant du point de vue du respect du secret médical que de l’utilité de l’information transmise au juge. Un descriptif des troubles du comportement du patient est beaucoup plus utile au JLD qu’un diagnostic rédigé avec des termes purement médicaux. Ils suggèrent également que les médecins soient attentifs aux motivations de leurs certificats, notamment dans certains cas particuliers. Les rapporteurs indiquent dans le même ordre d’idée que pour les admissions en soins psychiatriques en cas de péril imminent ou en SDTU, il conviendrait que la motivation corresponde aux circonstances ayant conduit à mettre en œuvre ces procédures d’admissions spécifiques.

Proposition n° 4 : rendre obligatoire la signature des protocoles entre les juridictions, les établissements psychiatriques situés dans leur ressort, et le cas échéant, les services préfectoraux prévoyant les modalités d’organisation des audiences

La coopération accrue et effective entre l’ensemble des acteurs concernés par la réforme via la signature de protocole est la seule solution viable, selon les rapporteurs, pour permettre au patient d’être entendu. Ces protocoles doivent être généralisés de façon à permettre aux patients d’être systématiquement entendus par le JLD, lorsque leur état le permet, de préférence à l’hôpital, mais si besoin en organisant son transport au tribunal (y compris sous escorte) ou le transport du juge à l’hôpital ou par le biais de la visioconférence.

Concernant la visioconférence, les rapporteurs ne sont pas forcément favorables à ce dispositif mais précise qu’il a au moins le mérite de permettre au patient d’être entendu lorsqu’aucun motif médical ne s’oppose au transport effectif du patient au TGI mais qu’il n’est pourtant pas entendu par le JLD. De plus, à ce sujet et plus particulièrement concernant les standards interministériels de sécurité en matière de réseaux, le rapport indique qu’une instruction aurait été formulée au niveau de la chancellerie pour que des assouplissements du cahier des charges techniques de la visioconférence soient adoptés afin de permettre un développement plus effectif des audiences.

Proposition n° 5 :préciser, en concertation avec les barreaux, le rôle de l’avocat dans le cadre des recours de plein droit sur les mesures de soins sans consentement

Le rapport constate que le délai bref de convocation empêche souvent l’avocat de prendre connaissance du dossier et de s’entretenir au préalable avec son client. Ainsi, dans certains cas, lorsque les audiences ont lieu au TGI et que le patient est absent, l’avocat peut n’avoir aucun contact avec son client.

Il est ainsi pris l’exemple du TGI de Créteil où l’avocat avait dans le meilleur des cas pu s’entretenir avec certains de ses clients par visioconférence. Certains barreaux comme celui du Val-de-Marne ont protesté contre cette situation. Le Conseil de l’Ordre du barreau du Val-de-Marne a voté une motion relative au refus de représenter les patients absents.

Proposition n° 6 : lancer une réflexion sur l’organisation territoriale de la mission de service public d’accueil des patients en soins psychiatriques sans consentement s’inscrivant dans une réflexion plus globale sur l’organisation de la psychiatrie en France

Cette réflexion devra se faire en lien avec l’organisation judiciaire ; sa forme reste à déterminer (mission confiée à l’IGAS ? « Grenelle de la psychiatrie » ?) ainsi que son articulation avec le plan psychiatrie et santé mentale 2011-2015.

Le rapport énonce que sur le fond des jugements, il existerait toujours un débat pour savoir si le JLD doit intervenir uniquement sur la forme (vérification de la production de tous les certificats médicaux) ou sur le fond (appréciation de l’atteinte portée à la liberté d’aller et venir) malgré la clarté des termes utilisés par le Conseil constitutionnel dans sa décision du 26 novembre 2010 et repris à l’article L. 3211-3 du Code de la santé publique : « les restrictions à l’exercice des libertés individuelles [d’une personne en soins psychiatriques sans consentement] doivent être adaptées, nécessaires et proportionnées à [l’]’état mental  (du patient] et à la mise en œuvre du traitement requis ». Le rapport précise ainsi que le juge est fondé à apprécier l’ensemble de ces éléments.

Proposition n° 7 : constituer un groupe de travail sur les certificats médicaux en vue de proposer une réduction de leur nombre compatible avec le respect des droits du patient

Cette question avait déjà été soulevée lors des débats parlementaires. Dans sa décision en date du 26 novembre 2010, le Conseil constitutionnel avait fait de la production des certificats médicaux une garantie pour le patient ; leur nombre avait donc été maintenu et la production de certificats médicaux supplémentaires à destination du JLD avait été prévue, les marges de manœuvres sont ainsi limitées. Cette question subsistant toujours, il semblerait que les avis se partagent équitablement entre la suppression du certificat de 72h et celui de huitaine.

Proposition n°8 : prévoir la possibilité pour les patients en hospitalisation complète de bénéficier de sorties thérapeutiques de très courte durée

Le rapport rappelle qu’avant l’entrée en vigueur des nouvelles dispositions, les sorties dites thérapeutiques correspondant aussi bien en une sortie quotidienne d’une demi-heure qu’en une sortie d’une journée complète toutes les semaines pouvaient être mises en œuvre sous le régime des sorties d’essai. Or, dorénavant, il n’existe plus aujourd’hui aucun cadre juridique pour mettre en œuvre ces sorties de cortes durée non accompagnée, récurrentes ou non, dans le cadre d’une hospitalisation complète.

Compte tenu de l’utilité thérapeutique reconnue de ses petites sorties quotidiennes ou hebdomadaires et le rôle d’étapes qu’elles ont dans la perspective d’une prise en charge sous une autre forme que l’hospitalisation complète, les rapporteurs préconisent qu’elles doivent à nouveau pouvoir être mises en œuvre sans toutefois se trouver dans l’obligation de mettre en place un programme de soins. Le rapport propose ainsi une modification législative permettant aux patients en hospitalisation complète de bénéficier de sorties de très courte durée et qui serait un préalable ou non à l’élaboration d’un programme de soins dans le cadre d’une prise en charge extrahospitalière. Elles pourraient se dénommer « programme de soins hospitalier ».