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Tribunal administratif de Limoges, 3 novembre 2011, n° 09022183 (Maltraitance – Signalement)

En l’espèce, en août 2007, des parents ont conduit leur enfant âgé de deux mois au service des urgences d’un centre hospitalier universitaire (CHU)  suite à un gonflement de la jambe gauche. Le CHU a diagnostiqué une fracture du tibia gauche et a effectué un signalement de suspicion de maltraitance auprès du procureur de la République. Cette démarche a conduit au placement de cet enfant auprès des services de l’aide sociale à l’enfance début septembre 2007. En février 2008, un autre établissement public de santé a diagnostiqué chez ce jeune patient la « maladie des os de verre ». Ce diagnostic a conduit à la mainlevée du placement de l’enfant auprès des services de l’aide sociale à l’enfance et à ce qu’il soit rendu à ces parents le 25 mars 2008. Les parents de cet enfant ont demandé la condamnation du CHU en raison des préjudices causés pour eux-mêmes et pour leur enfant par le signalement et par le défaut de diagnostic de la pathologie dont souffrait ce bébé.

En premier lieu, le tribunal administratif a relevé « qu’il appartient à la juridiction administrative de connaître des demandes tendant à la mise en cause de la responsabilité des établissements publics hospitaliers à raison des dommages causés par leur activité médicale et des actes qui s’y rattachent » en précisant que « la transmission au procureur de la République des informations recueillies à l’occasion de cette activité n’a pas, par elle-même, pour effet d’ouvrir une des procédures relevant du service public de la justice ».

En second lieu, les juges ont considéré que la responsabilité du CHU était engagée au motif que « si l’erreur de diagnostic ne saurait être regardée en l’espèce comme constituant, à elle seule, une faute compte-tenu de la difficulté de poser un diagnostic d’ostéogenèse imparfaite sur un nouveau-né », « le service hospitalier ne s’est toutefois pas entouré de toutes les précautions, en ne procédant pas à l’analyse des antécédents familiaux de ce enfant., qui auraient pu permettre de lever les hésitations dans l’établissement du diagnostic posé dans le cas de ce nourrisson ». Le tribunal a ainsi estimé que la démarche médicale n’a pas été entourée de la mise en œuvre de tous les moyens qui auraient permis de limiter les risques d’erreur de diagnostic et qu’il en a découlé un signalement de maltraitance infondé et à tout le moins hâtif.  Le tribunal a condamné le CHU à verser aux parents une somme de 10 000€ chacun et une somme de 5000€ au nourrisson en réparation de leur préjudice moral lié en particulier à une séparation du foyer familial pendant plus de six mois.

Considérant que, le 27 août 2007, M. et Mme D. ont conduit leur fils Terry, né le 20 juin 2007, au service des urgences du centre hospitalier universitaire de Limoges ; qu’il a été diagnostiqué une fracture du tibia gauche chez le nourrisson, qui souffrait d’un gonflement de la jambe gauche ; que le centre hospitalier universitaire de Limoges a effectué un signalement de suspicion de maltraitance sur la personne de Terry D. auprès du procureur de la République, ce qui a conduit au placement de l’enfant auprès des services de l’aide sociale à l’enfance, à compter du 7 septembre 2007 ; que le 14 février 2008, l’hôpital ... dépendant de l’Assistance publique – Hôpitaux de Paris, dit « hôpital ... », a établi chez l’enfant le diagnostic très probable, et confirmé ensuite, de la maladie d’ostéogenèse imparfaite (syndrome de Lobstein), dite « maladie des os de verre » ; que ce diagnostic a conduit à la mainlevée du placement de l’enfant auprès des services de l’aide sociale à l’enfance et à ce qu’il soit rendu à ses parents le 25 mars 2008 ; que M. et Mme D. demandent la condamnation du centre hospitalier universitaire de Limoges à verser à leur fils une somme globale de 50 000 euros et à eux-mêmes une somme globale de 65 400 euros en raison des préjudices causés par le signalement effectué à la suite de l’hospitalisation du 27 août 2007 et par le défaut de diagnostic de l’ostéogenèse imparfaite dont souffrait Terry ;

Sur la responsabilité du centre hospitalier universitaire de Limoges :

Considérant qu’aux termes de l’article R. 434-3 du nouveau code pénal : « Le fait, pour quiconque ayant eu connaissance de privations, de mauvais traitements ou d'atteintes sexuelles infligés à un mineur de quinze ans ou à une personne qui n'est pas en mesure de se protéger en raison de son âge, d'une maladie, d'une infirmité, d'une déficience physique ou psychique ou d'un état de grossesse, de ne pas en informer les autorités judiciaires ou administratives est puni de trois ans d'emprisonnement et de 45000 euros d'amende » ; qu’aux termes de l’article 40 du code de procédure pénale : « Toute autorité constituée, tout officier public ou fonctionnaire qui, dans l’exercice de ses fonctions, acquiert la connaissance d’un crime ou d’un délit, est tenu d’en donner avis sans délai au procureur de la République et de transmettre à ce magistrat tous les renseignements, procès-verbaux et actes qui y sont relatifs » ;

Considérant qu’il appartient à la juridiction administrative de connaître des demandes tendant à la mise en cause de la responsabilité des établissements publics hospitaliers à raison des dommages causés par leur activité médicale et des actes qui s’y rattachent ; que la transmission au procureur de la République des informations recueillies à l’occasion de cette activité, telle que prévue par l’article 40 du code de procédure pénale n’a pas, par elle-même, pour effet d’ouvrir une des procédures relevant du service public de la justice ;

Considérant que le centre hospitalier universitaire de Limoges a fait application des dispositions précitées en signalant au procureur de la République une suspicion de maltraitance sur Terry D., nourrisson de deux mois ; qu’ à la suite de ce signalement, l’autorité judiciaire a retiré à M. et Mme D. leur enfant et a placé celui-ci dans une pouponnière des services de l’aide socialeà l’enfance à compter du 7 septembre 2007 ; qu’en raison du diagnostic d’ostéogenèse imparfaite établi ultérieurement par l’hôpital ..., l’autorité judiciaire en a, le 25 mars 2008, soit plus de six mois après le placement de l’enfant, ordonné la mainlevée et a décidé de confier de nouveau l’enfant à ses parents ;

Considérant qu’il résulte de ce qui précède que la demande de M. et Mme D. ressortit à la compétence de la juridiction administrative à laquelle il appartient de se prononcer sur la responsabilité du centre hospitalier universitaire de Limoges, notamment à raison des préjudices présentant un lien de causalité suffisant avec la transmission à l’autorité judiciaire d’un signalement infondé de maltraitance sur l’enfant Terry ;

Considérant, en premier lieu, qu’il résulte de l’instruction et notamment du rapport de l’expertise ordonnée par le tribunal, d’une part, que l’enfant Terry D. est atteint de la maladie d’ostéogenèse imparfaite (syndrome de Lobstein) et, d’autre part, que cette pathologie n’est pas associée avec des sévices ou de mauvais traitements (syndrome de Silvermann) ; que si le service du centre hospitalier universitaire de Limoges a évoqué, discuté puis écarté le diagnostic en considérant comme insuffisants les éléments tendant à la reconnaissance du syndrome de Lobstein, le bilan effectué sur le jeune Terry était incomplet, le service n’ayant pas, à cette date, étudié les antécédents familiaux et tout particulièrement les fractures répétées de la mère de l’enfant qui, comme l’indique l’expert, était une précaution nécessaire qui aurait pu permettre d’orienter le diagnostic ; qu’il ne saurait à cet égard être reproché à Mme D., profane en la matière, de n’avoir pas elle-même informé les médecins du service des multiples fractures dont elle avait souffert au cours de sa vie ; que, d’ailleurs, à la suite d’une nouvelle hospitalisation de l’enfant le 14 février 2008, l’hôpital Necker a pu poser le diagnostic d’ostéogenèse imparfaite à partir de l’analyse des antécédents familiaux, de l’histoire clinique et du bilan paraclinique de l’enfant ; qu’il suit de l à que le centre hospitalier universitaire de Limoges ne peut pas soutenir que le diagnostic d’ostéogenèse imparfaite ne pouvait pas, compte tenu des données acquises de la science, être posé entre le 27 août et le 7 septembre 2007 ;

Considérant, en deuxième lieu, que l’établissement hospitalier a privilégié un diagnostic de maltraitance au détriment du diagnostic certes plus rare d’ostéogenèse imparfaite, alors même que les symptômes des lésions propres à la maltraitance, tels des ecchymoses, hématomes, ou des signes ophtalmologiques hémorragiques pouvant évoquer des secousses répétées, n’avaient pas ét é relevés au cours de l’hospitalisation de l’enfant en août 2007 ; que l’expertise confirme à cet égard qu’aucun élément du dossier ne permettait d’imputer à ses parents la responsabilité des lésions osseuses présentées par Terry ;

Considérant qu’il résulte de tout ce qui précède que, si l’erreur de diagnostic ne saurait être regardée en l’espèce comme constituant, à elle seule, une faute compte-tenu de la difficulté de poser un diagnostic d’ostéogenèse imparfaite sur un nouveau-né qui justifiait, entre le 27 août et le 7 septembre 2007, l’hésitation des médecins, le service hospitalier ne s’est toutefois pas entouré de toutes les précautions, en ne procédant pas à l’analyse des antécédents familiaux de Terry D., qui auraient pu permettre de lever les hésitations dans l’établissement du diagnostic posé dans le cas de ce nourrisson ; que, dans ces conditions, la démarche médicale n’a pas ét é entourée de la mise en œuvre de tous les moyens qui auraient permis de limiter les risques d’erreur de diagnostic ; qu’il en a découlé un signalement de maltraitance infondé et à tout le moins hâtif ; qu’il suit de l à que le centre hospitalier universitaire de Limoges a commis une faute de nature à engager sa responsabilité ; qu’il doit être condamné à en réparer les conséquences dommageables pour les requérants ;

Sur les préjudices :

En ce qui concerne les préjudices subis par Terry D.:

Considérant que si les époux D. ne sont pas fondés à demander l’indemnisation de l’ensemble des préjudices résultant pour leur fils de son état de santé qui est sans relation avec les fautes susanalysées, ils sont, en revanche, fondés à demander réparation des conséquences directes de ces fautes ;

Considérant que la faute résultant de la démarche médicale, qui n’a pas ét é entourée de la mise en œuvre de tous les moyens qui auraient permis d’éviter que soit écarté d’emblée le diagnostic d’ostéogenèse imparfaite au profit de celui de maltraitance, a ét é de nature à retarder le traitement que nécessitait la pathologie du jeune Terry ; que, toutefois, l’expertise judiciaire indique que l’enfant n’a pas subi de préjudice physique en raison du retard de diagnostic ; que les différents médecins ayant suivi l’enfant se sont en effet entourés de toutes les garanties pour procéder à sa prise en charge et à son diagnostic ; que, de surcroît, il ne résulte pas de l’instruction que l’enfant aurait subi de nouvelles fractures au cours de cette période ; qu’il n’est ainsi pas établi que l’enfant aurait perdu une chance, imputable à l’attitude fautive du service hospitalier, d’éviter de subir de nouvelles douleurs associées à sa maladie ;

Considérant en revanche que, compte tenu de son très jeune âge, de la séparation du foyer familial pendant plus de six mois, jusqu’à l’âge de neuf mois, en raison d’un signalement au procureur de la République de faits de maltraitance sur sa personne dans des conditions de natureà engager la responsabilité de l’établissement hospitalier et du placement consécutif dans une pouponnière des services de l’aide sociale à l’enfance, il y a lieu d’indemniser le préjudice moral subi par Terry D. ; qu’il sera fait une juste appréciation de ce préjudice moral en l’évaluant à une somme de 5 000 euros que le centre hospitalier universitaire de Limoges doit dès lors être condamné à verser, pour son compte, à ses parents ;

En ce qui concerne les préjudices subis par M. et Mme D. :

Considérant que l’attitude fautive du centre hospitalier universitaire de Limoges a conduit notamment à faire peser sur M. et Mme D. une suspicion de mauvais traitements infligés à leur fils ; qu’ils ont, en outre, ét é séparés de leur très jeune enfant pendant plus de six mois, ne pouvant lui rendre que des visites journalières, dans des conditions éprouvantes, à la pouponnière des services de l’aide sociale à l’enfance dans laquelle Terry a ét é placé à compter du 7 septembre 2007 ; qu’il sera fait une juste appréciation de leur préjudice moral en l’évaluant à la somme de 10 000 euros chacun ;

Considérant, en outre, que M. et Mme D. sont fondés à demander que les frais d’un montant de 400 euros correspondant à une expertise médicale qu’ils ont personnellement diligentée afin d’établir la responsabilité du centre hospitalier universitaire de Limoges, soit mise à la charge de ce dernier ;

Sur les dépens de l’instance :

Considérant que les frais et honoraires de l’expertise ordonnée par le tribunal, liquidés et taxés à la somme de 700 euros, doivent être mis à la charge du CHU de Limoges, en application de l’article R. 761-1 du code de justice administrative ;

Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

Considérant qu'aux termes de l'article L. 761-1 du code de justice administrative : « Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante,à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n 'y a pas lieuà cette condamnation » ;

Considérant que, dans les circonstances de l’espèce, il y a lieu de mettre à la charge du centre hospitalier universitaire de Limoges une somme de 1 100 euros au titre des frais exposés par M. et Mme D. et non compris dans les dépens ; qu’en revanche, les dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu’une somme soit mise à la charge des requérants, qui ne sont pas la partie perdante à l’instance ;

DECIDE :

Article 1er :Le centre hospitalier universitaire de Limoges est condamné à verser à M. età Mme D. une somme de dix mille euros (10 000 euros) chacun, en réparation de leur préjudice moral, une somme de cinq mille euros (5 000 euros) en réparation du préjudice moral de Terry D., ainsi qu’une somme de quatre cents euros (400 euros) au titre de leurs frais d’expertise amiable.

Article 2 :Le centre hospitalier universitaire de Limoges versera, au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative, une somme de mille cent euros (1 100 euros) à M. et Mme D..

Article 3 :Les frais d’expertise taxés et liquidés à la somme de sept cents euros (700 euros) sont mis à la charge du centre hospitalier universitaire de Limoges.

Article 4 :Le surplus des conclusions présentées par les parties est rejeté. ( ... )