Un masseur-kinésithérapeute titulaire exerçant au sein d’un centre hospitalier universitaire (CHU) a été suspendu pour une durée de quatre mois au motif de faits d’attouchements sexuels sur mineur ayant donné lieu à une condamnation pénale en première instance. Cette suspension a été prolongée avec maintien du traitement à 50% jusqu’à l’issue en appel des poursuites pénales engagées à son encontre. Par un arrêt du 14 novembre 2003, la cour d’appel d’Amiens a prononcé la relaxe de cet agent de tous chefs de poursuite et par décision du 7 juillet 2004, le CHU l’a réintégré dans ses fonctions avec effet au 15 novembre 2003. Ce professionnel de santé demande au tribunal administratif d’Amiens de condamner l’établissement public de santé à réparer les préjudices causés par la mesure de suspension de fonctions prise à son encontre le 6 mars 2002 puis annulée le 5 octobre 2004. Par ce jugement, le tribunal administratif d’Amiens a fait droit à la requête du requérant en indiquant que par un jugement en date du 5 octobre 2004, le tribunal administratif d’Amiens a annulé l’arrêté du 6 mars 2002 par lequel le directeur général du CHU a décidé de prolonger la suspension de fonctions de cet agent, au motif que les faits d’attouchements sexuels qui lui étaient reprochés ne présentaient pas un caractère de vraisemblance suffisant à fonder cette mesure. Il précise en outre que l'illégalité au fond dont cette décision est entachée est dès lors constitutive d’une faute de nature à engager la responsabilité de cet établissement de santé et qu’il ressort de l’instruction que ce dernier, informé au plus tard le 24 février 2004 de la relaxe de cet agent, n’a décidé de réintégrer l’intéressé que le 7 juillet 2004. Le tribunal considère que si la carrière du requérant a été pleinement reconstituée rétroactivement au 15 novembre 2003, le délai de plus quatre mois qui s’est écoulé pour procéder à sa réintégration, alors que la mesure de suspension expirait à l’issue des poursuites pénales en appel et que le CHU n’était nullement tenu de recueillir au préalable l’avis du conseil de discipline sur les poursuites disciplinaires en cours, a présenté également un caractère fautif.
TRIBUNAL ADMINISTRATIF
D'AMIENS N°0700531 Audience du 11 décembre 2008 |
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
Le Tribunal administratif d'Amiens
(1ère Chambre)
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Vu la requête, enregistrée le 21 février 2007, présentée pour M. X, demeurant(...) par Me S. RACLE, avocat ;
M. X demande au Tribunal de condamner le centre hospitalier universitaire d’Amiens à lui verser une somme de 707 562,68 euros en réparation des préjudices que lui a causé la mesure de suspension de ses fonctions à demi-traitement du 6 mars 2002 au 14 novembre 2003 ;
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Vu, enregistré le 14 juin 2007, le mémoire en défense présenté pour le centre hospitalier universitaire d'Amiens par la SCP DEVAUCHELLE COTTIGNIES CAHITTE et concluant au rejet de la requête ainsi qu’à la mise à la charge de M. X d’une somme de 1 200 euros au titre de l’article L.761-1 du code de justice administrative ;
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Vu la décision attaquée ;
Vu la loi n°83-634 du 13 juillet 1983 ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 11 décembre 2008 :
- le rapport de M. BINAND,
- les observations de Me RACLE, avocat au barreau de Saint Quentin, représentant le requérant et de Me DEVAUCHELLE, avocat au barreau d’Amiens, représentant le centre hospitalier régional d’Amiens,
- et les conclusions de M. DURAND, commissaire du gouvernement ;
Considérant qu’il résulte de l’instruction que M. X, masseur-kinésithérapeute titulaire exerçant au sein du centre hospitalier universitaire d’Amiens, a été suspendu par arrêté du directeur général de cet établissement en date du 2 novembre 2001, à compter du 6 novembre 2001, pour une durée de quatre mois, au motif de faits d’attouchements sexuels sur mineur ayant donné lieu à une condamnation pénale en première instance ; que, par arrêté en date du 6 mars 2002, la suspension de M. X a été prolongée avec maintien du traitement à 50% jusqu’à l’issue en appel des poursuites pénales engagées à son encontre ; que, par un arrêt du 14 novembre 2003, la cour d’appel d’Amiens a prononcé la relaxe de
M. X de tous chefs de poursuite ; que, par décision du 7 juillet 2004, le centre hospitalier universitaire d’Amiens a réintégré M. X dans ses fonctions avec effet au 15 novembre 2003 ; que, par la présente requête, M. X demande au tribunal de condamner le centre hospitalier universitaire d’Amiens à réparer les préjudices causés par la mesure de suspension de fonctions prise à son encontre le 6 mars 2002, annulée par jugement du tribunal de céans rendu le 5 octobre 2004 ;
Sur la fin de non-recevoir opposée par le centre hospitalier universitaire d’Amiens :
Considérant qu’aux termes de l’article R. 421-5 du code de justice administrative : « Les délais de recours contre une décision administrative ne sont opposables qu'à la condition d'avoir été mentionnés, ainsi que les voies de recours, dans la notification de la décision ; » ; qu’il résulte de l’instruction que M. X a présenté le 9 septembre 2006 une demande de réparation des préjudices que lui a causés la suspension de ses fonctions jusqu’au 14 novembre 2003 ; que la décision en date du 17 octobre 2006, notifiée à l’intéressé le 26 octobre 2006, par laquelle le directeur général du centre hospitalier universitaire d’Amiens a rejeté cette demande, ne comportait pas l’indication des voies et délais de recours ouvertes à son encontre ; que ces indications ne figuraient pas plus dans la décision confirmative de ce rejet en date du 9 février 2007 ; que, par suite le délai de recours contentieux prévu par l’article R. 421-3 du code de justice administrative n’ayant pas commencé de courir, la fin de non recevoir tirée de la tardiveté de la requête opposée par le centre hospitalier universitaire d’Amiens ne peut qu’être écartée ;
Sur la responsabilité :
Considérant qu’aux termes de l’article 30 de la loi du 13 juillet 1983 susvisée : «En cas de faute grave commise par un fonctionnaire, qu'il s'agisse d'un manquement à ses obligations professionnelles ou d'une infraction de droit commun, l'auteur de cette faute peut être suspendu par l'autorité ayant pouvoir disciplinaire qui saisit, sans délai, le conseil de discipline./Le fonctionnaire suspendu conserve son traitement, l'indemnité de résidence, le supplément familial de traitement et les prestations familiales obligatoires. Sa situation doit être définitivement réglée dans le délai de quatre mois. Si, à l'expiration de ce délai, aucune décision n'a été prise par l'autorité ayant pouvoir disciplinaire, l'intéressé, sauf s'il est l'objet de poursuites pénales, est rétabli dans ses fonctions./Le fonctionnaire qui, en raison de poursuites pénales, n'est pas rétabli dans ses fonctions peut subir une retenue qui ne peut être supérieure à la moitié de la rémunération mentionnée à l'alinéa précédent. Il continue, néanmoins, à percevoir la totalité des suppléments pour charges de famille. » ;
Considérant que par un jugement rendu le 5 octobre 2004, le Tribunal de céans a annulé l’arrêté du 6 mars 2002 par lequel le directeur général du centre hospitalier universitaire d’Amiens a décidé de prolonger la suspension de fonctions de M. X, au motif que les faits d’attouchements sexuels qui lui étaient reprochés ne présentaient pas un caractère de vraisemblance suffisant à fonder cette mesure ; que l'illégalité au fond dont cette décision est entachée est dès lors constitutive d’une faute de nature engager la responsabilité du centre hospitalier universitaire d’Amiens ; qu’il résulte de l’instruction, par ailleurs, que le centre hospitalier universitaire d’Amiens, informé au plus tard le 24 février 2004 de la relaxe de M. X, n’a décidé de réintégrer l’intéressé que le 7 juillet 2004 ; que si la carrière de l’intéressé a été pleinement reconstituée rétroactivement au 15 novembre 2003, le délai de plus quatre mois qui s’est écoulé pour procéder à la réintégration de M. X alors que la mesure de suspension expirait, aux termes mêmes de l’arrêté pris à son encontre, à l’issue des poursuites pénales en appel et que le centre hospitalier n’était nullement tenu, en vertu des dispositions précitées, de recueillir au préalable l’avis du conseil de discipline sur les poursuites disciplinaires en cours, a présenté également un caractère fautif ;
Sur le préjudice :
Considérant, d’une part, que si M. X fait valoir qu’il a subi des préjudices financiers tenant à des charges et dépenses supplémentaires exposées pour pallier à la perte temporaire de revenus, aux troubles dans les conditions d’existence familiale, manifestés par la prolongation de scolarité de son fils, et à des honoraires d’avocat, les éléments qu’il produit ne permettent pas d’établir que les préjudices ainsi allégués présenteraient un caractère certain et un lien direct avec les fautes commises par le centre hospitalier universitaire d’Amiens, et non avec les poursuites pénales qui avaient été engagées contre l’intéressé, dont cet établissement n’était pas à l’origine ;
Considérant, d’autre part qu’il résulte de l’instruction, et notamment des termes du certificat médical produit au dossier, que M. X, son épouse et ses enfants ont manifesté de septembre 2001 à juin 2005 un état dépressif en lien avec les suites pénales et professionnelles des faits qui lui étaient reprochés ; qu’il sera fait une juste appréciation des circonstances de la cause rappelées ci-dessus en fixant à 10 000 euros l’indemnité destinée à réparer le préjudice moral causé à M. X, qui agit à l’instance pour son seul compte, par les manquements relevés à l’encontre du centre hospitalier universitaire d’Amiens ;
Sur l’application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative :
Considérant que les dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à la mise à la charge de M. X, qui n’est pas la partie perdante à la présente instance, le versement de la somme que le centre hospitalier universitaire d’Amiens demande au titre des frais qu’il a exposés ;
Article 1er : Le centre hospitalier universitaire d’Amiens est condamné à verser à M. X une somme de 10 000 euros en réparation du préjudice moral causé par la suspension de ses fonctions décidée le 6 mars 2002.
Article 2 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 3 : Les conclusions du centre hospitalier universitaire d’Amiens présentées au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 4 : Le présent jugement sera notifié à M. Xet au centre hospitalier universitaire d'Amiens.
Délibéré après l'audience du 11 décembre 2008, à laquelle siégeaient :
M. RIVAUX, président,
M. BINAND, premier conseiller,
M. BOUTOU, premier conseiller,
Lu en audience publique le 22 décembre 2008.
Le rapporteur,
C. BINAND
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Le président,
B. RIVAUX
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La République mande et ordonne au ministre du budget, des comptes publics et de la fonction publique, en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l’exécution du présent jugement.