Le Conseil d’Etat a statué sur la responsabilité d’un médecin qui avait transfusé un patient témoin de Jéhovah, contre sa volonté clairement affirmée. Le Conseil d’Etat estime que ne commet pas de faute de nature à engager la responsabilité du service public hospitalier, le médecin qui transfuse un patient en situation extrême, lorsque le pronostic vital est en jeu et pour lequel les transfusions sanguines représentent le seul choix thérapeutique.
Faits et procédure
Monsieur X est hospitalisé le 2 janvier 1991 en raison d’une insuffisance rénale aiguë, au Centre hospitalier de l’ouest parisien à la Garenne Colombes. Il rédige quelques jours plus tard une lettre dans laquelle il indique en qualité de témoin de Jéhovah, refuser que lui soient administrés des produits sanguins y compris en l’absence d’alternative thérapeutique. Devant l’aggravation de son état de santé, Monsieur X est transféré le 22 janvier 1991 à un hôpital de l'AP-HP. Son dossier médical comprenant la lettre qu’il avait rédigé, est transmis aux médecins de l’hôpital. Bien que parfaitement informé et conscient des risques pour son état de santé, il réitère le 23 janvier 1991 devant son médecin, en présence de son épouse et d’une infirmière son refus de toute transfusion de produits sanguins. L’apparition d’une grave anémie conduit néanmoins les médecins à pratiquer les transfusions sanguines durant la période du 28 janvier 1991 au 6 février 1991, date de son décès.
La veuve de Monsieur X engagea une action devant les juridictions administratives visant à faire condamner l’Assistance Publique - Hôpitaux de Paris, à réparer le préjudice subi par son époux, résultant selon elle de la méconnaissance de la volonté de son époux de ne pas être transfusé y compris lorsque ce refus hypothèque gravement ses chances de survie.
Par un jugement du 5 avril 1995, le Tribunal administratif de Paris rejette la demande de condamnation du service public hospitalier. La Cour administrative d’appel de Paris rend le 9 juin 1998 un arrêt confirmatif. Par un considérant de principe, les juges d’appel indiquent “ … que ne saurait être qualifié de fautif le comportement de médecins qui, dans une situation d’urgence, lorsque le pronostic vital est en jeu et en l’absence d’alternative thérapeutique, pratiquent les actes indispensables à la survie du patient et proportionnés à son état, fût-ce en pleine connaissance de la volonté préalablement exprimée par celui-ci de les refuser pour quelque motif que ce soit … ”. Saisi d’un pourvoi en cassation par la veuve de Monsieur X, agissant en son nom et au nom de ses enfants mineurs, Le Conseil d’Etat adopte dans son arrêt du 26 octobre 2001, une position “ équilibrée ” entre le respect de la volonté du patient et le devoir de tout médecin de protéger la santé du patient.
Observations
Le Conseil d’Etat procède en deux étapes.
En premier lieu, le Conseil d’Etat annule l’arrêt de la Cour administrative d’appel en ce qu’il considère comme une erreur de droit, la règle selon laquelle l’obligation pour le médecin de sauvegarder la santé du patient est un devoir général supérieur au devoir de tout médecin de respecter la volonté du patient. Ainsi le Conseil d’Etat estime que le devoir de sauvegarder la santé du patient ne s’inscrit pas dans une “ hiérarchie abstraite et intangible ” avec le devoir de respecter la volonté du patient mais doit s’apprécier au cas par cas et sous réserves de strictes conditions.
En second lieu, le Conseil d’Etat rejette la demande de la requérante souhaitant faire condamner l’AP-HP. Le Conseil d’Etat estime que dans une situation extrême, le médecin n’a pas commis de faute de nature à engager la responsabilité du service public hospitalier en méconnaissant la volonté du patient. En effet, les transfusions sanguines apparaissaient en l’absence d’alternative thérapeutique, comme un acte médical proportionné et indispensable à la survie du patient, ce que confirma le rapport d’experts. In fine, le Conseil d’Etat prend le soin d’indiquer que l’administration de produits sanguins contre la volonté du patient, ne saurait constituer un traitement inhumain et dégradant au sens des articles 3 et 5 de la convention européenne des droits de l’homme et du citoyen.
Cet arrêt est à mettre en perspective avec le projet de loi relatif aux droits des malades, actuellement en discussion au Sénat. La position défendue par le Conseil d’Etat revêt une grande acuité dépassant le délicat équilibre trouvé, entre l’obligation de respecter la volonté du patient et celle de sauvegarder sa santé, à la lumière des articles L 1111-1 et L 1111-3 dudit projet de loi. Dans le projet de loi, l’article L 1111-1 du Code de la santé publique précise le contenu de l’information médicale, en reprenant les critères posés par la jurisprudence administrative. L’information doit porter sur “ les différentes investigations, traitements ou actions de prévention qui sont proposés, leur utilité, leur urgence éventuelle, leurs conséquences, les risques fréquents ou graves normalement prévisibles qu’ils comportent ”. Au-delà de l’information médicale, c’est le consentement du patient qui fait l’objet d’une importante précision. L’article L 1111-3 du Code de la santé publique dispose : “ le médecin doit respecter la volonté de la personne après l’avoir informée des conséquences de ses choix. Si la volonté de la personne de refuser ou d’interrompre un traitement met sa vie en danger, le médecin doit tout mettre en œuvre pour la convaincre d’accepter les soins indispensables ”.
Conclusion
- Le Conseil d’Etat a censuré l’arrêt de la Cour administrative d’appel de Paris. Le juge administratif considère en effet que la règle dégagée par la Cour administrative d’appel selon laquelle, l’obligation faite au médecin de sauver le patient, prévaudrait de façon générale sur celle de respecter la volonté du malade, est erronée en droit. L’arrêt de la Cour administrative d’appel est censuré pour sa trop grande généralité. Il revient au médecin ou à l’équipe médicale d’apprécier la situation du patient refusant des soins vitaux, au cas par cas.
- Si le médecin a l’obligation d’informer le patient sur les actes médicaux et les risques inhérents à ceux-ci afin d’obtenir un consentement libre et éclairé, il n’a pas pour autant l’obligation de convaincre le patient, il doit s’efforcer d’attirer l’attention de celui-ci sur les conséquences de son refus.
- Face au refus réitéré d’un patient, il n’incombe pas au médecin (sauf personnes mineures et/ou mesures de protection) de rechercher le consentement du conjoint lorsque le patient était parfaitement capable d’exprimer sa volonté.
- Dans une situation d’extrême urgence et en l’absence d’alternative thérapeutique, ne commet pas de faute de nature à engager la responsabilité du service public hospitalier, le médecin qui pratique des transfusions sanguines dans le seul but de sauver le patient, et ce, malgré la volonté contraire du patient fondée sur des convictions religieuses
- La décision du Conseil d’Etat a le grand mérite de fixer l’état du droit sur ce point, il appartient au législateur, s’il le souhaite, de le modifier dans le projet de loi actuellement en discussion.
L'arrêt :
Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire présentés pour Mme X demandant au Conseil d'Etat d'annuler l'arrêt du 9 juin 1998 par lequel la cour administrative d'appel de Paris a rejeté sa requête tendant 1) à l'annulation du jugement du 5 avril 1995 du tribunal administratif de Paris en tant qu'il a rejeté leurs conclusions tendant à ce que l'Assistance Publique-Hôpitaux de Paris soit condamnée à leur verser une somme de 100 000 F en réparation du préjudice causé par la décision de pratiquer des transfusions sanguines sur son mari, M. X, malgré la volonté contraire exprimée par celui-ci, et 2) à la condamnation de l'Assistance Publique-Hôpitaux de Paris à lui verser ladite somme, ainsi que la somme de 10 000 F au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ;
Vu les autres pièces du dossier ; la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; le code civil ; le code de la santé publique ; le décret n° 79-506 du 28 juin 1979 portant code de déontologie médicale ; le code de justice administrative ;
Considérant qu'il ressort des constatations de fait opérées par l'arrêt attaqué et dont l'exactitude matérielle n'est pas contestée que M. X, alors âgé de 44 ans, a été hospitalisé le 2 janvier 1991 au centre chirurgical de l'ouest parisien à La Garenne-Colombes en raison d'une insuffisance rénale aiguë, puis a été transféré le 22 janvier 1991 d'un hôpital de l'AP-HP à Paris à la suite de l'aggravation de son état ; que, dans une lettre écrite le 12 janvier 1991 alors qu'il était hospitalisé à La Garenne-Colombes, et ultérieurement communiquée avec son dossier médical aux médecins d'un hôpital de l'AP-HP à Paris, M. X avait déclaré qu'il refusait, en tant que témoin de Jéhovah, que lui soient administrés des produits sanguins, même dans l'hypothèse où ce traitement constituerait le seul moyen de sauver sa vie ; qu'il a réitéré son refus le 23 janvier 1991 devant un médecin d'un hôpital de l'AP-HP, en présence de son épouse et d'une infirmière, et qu'il l'a maintenu par la suite, alors qu'il était informé du fait que cette attitude compromettait ses chances de survie ; que, toutefois, durant la période du 28 janvier au 6 février 1991, date du décès de l'intéressé, des transfusions sanguines ont été pratiquées à la suite de l'apparition d'une grave anémie ;
Considérant que pour confirmer le rejet par le tribunal administratif de la demande de Mme X tendant à ce que l'Assistance publique soit condamnée à raison du préjudice qui serait résulté pour son mari de la méconnaissance de la volonté qu'il avait exprimée, la cour administrative d'appel de Paris s'est fondée sur ce que : "... l'obligation faite au médecin de toujours respecter la volonté du malade en l'état de l'exprimer (...) trouve (...) sa limite dans l'obligation qu'a également le médecin, conformément à la finalité même de son activité, de protéger la santé, c'est-à-dire en dernier ressort, la vie elle-même de l'individu ; que par suite, ne saurait être qualifié de fautif le comportement de médecins qui, dans une situation d'urgence, lorsque le pronostic vital est en jeu et en l'absence d'alternative thérapeutique, pratiquent les actes indispensables à la survie du patient et proportionnés à son état, fût-ce en pleine connaissance de la volonté préalablement exprimée par celui-ci de les refuser pour quelque motif que ce soit" ; qu'elle a ainsi entendu faire prévaloir de façon générale l'obligation pour le médecin de sauver la vie sur celle de respecter la volonté du malade ; que, ce faisant elle a commis une erreur de droit justifiant l'annulation de son arrêt ;
Considérant qu'aux termes de l'article L. 821-2 du code de justice administrative, le Conseil d'Etat, s'il prononce l'annulation d'une décision d'une juridiction administrative statuant en dernier ressort, peut "régler l'affaire au fond si l'intérêt d'une bonne administration de la justice le justifie" ; que, dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de régler l'affaire au fond ;
Considérant que, compte tenu de la situation extrême dans laquelle M. X se trouvait, les médecins qui le soignaient ont choisi, dans le seul but de tenter de le sauver, d'accomplir un acte indispensable à sa survie et proportionné à son état ; que, dans ces conditions, et quelle que fût par ailleurs leur obligation de respecter sa volonté fondée sur ses convictions religieuses, ils n'ont pas commis de faute de nature à engager la responsabilité de l'Assistance Publique-Hôpitaux de Paris ;
Considérant qu'il résulte de l'instruction, et notamment du rapport de l'expert désigné par ordonnance du président de la cour administrative d'appel de Paris, qu'en raison de la gravité de l'anémie dont souffrait M. X, le recours aux transfusions sanguines s'est imposé comme le seul traitement susceptible de sauvegarder la vie du malade ; qu'ainsi, le service hospitalier n'a pas commis de faute en ne mettant pas en oeuvre des traitements autres que des transfusions sanguines ;
Considérant que M. X ayant été en mesure d'exprimer sa volonté, Mme X n'est pas fondée à soutenir que les médecins de celui-ci auraient commis une faute de nature à engager la responsabilité de l'Assistance Publique-Hôpitaux de Paris en s'abstenant de la consulter personnellement ;
Considérant que les transfusions sanguines administrées à M. X ne sauraient constituer un traitement inhumain ou dégradant, ni une privation du droit à la liberté au sens des dispositions des articles 3 et 5 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que Mme X n'est pas fondée à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à la mise en jeu de la responsabilité de l'Assistance Publique-Hôpitaux de Paris ;
Sur les conclusions tendant au versement des frais exposés et non compris dans les dépens :
Considérant qu'il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de condamner Mme X à payer à l'Assistance Publique-Hôpitaux de Paris la somme qu'elle demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ; que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que l'Assistance Publique-Hôpitaux de Paris qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, soit condamnée à payer à Mme X la somme qu'elle demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ;
Décide :
Article 1er : L'arrêt de la cour administrative d'appel de Paris en date du 9 juin 1998 est annulé.
Article 2 : La requête de Mme X contre le jugement du tribunal administratif de Paris est rejetée, ensemble le surplus des conclusions de sa requête devant le Conseil d'Etat.
Article 3 : Les conclusions de l'Assistance Publique-Hôpitaux de Paris tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à Mme X, à l'Assistance Publique-Hôpitaux de Paris et au ministre de l'emploi et de la solidarité.
Voir aussi : Revue générale de droit médical n° 8, du 1er octobre 2002, pages 111-118, par Karen Duluc, Marie-Thérèse Pain-Masbrenier Droit Administratif n° 7, du 1er juillet 2002, pages 5-9, par Aurélie Mersch Semaine Juridique JCP n° 6, du 6 février 2002, pages 302-304, par Jacques Moreau Les Petites Affiches n° 11, du 15 janvier 2002, pages 18-21, par Cyril Clément Responsabilité civile et assurances n°1 du 1er janvier 2002, pages 13/14 |