REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu, 1° sous le n° 02NT01428, la requête et le mémoire complémentaire enregistrés au greffe de la Cour, respectivement, le 2 septembre et le 14 octobre 2002, présentés pour le centre hospitalier universitaire (CHU) de Brest, représenté par son directeur en exercice à ce dûment habilité par délibération du 14 octobre 2002 du conseil d'administration et dont le siège est 5, avenue Foch 29609 Brest, par Me LE PRADO, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de Cassation ;
Le CHU de Brest demande à la Cour :
1°) d'annuler, d'une part, le jugement avant-dire droit n° 9702064 du 22 mars 2000 par lequel le Tribunal administratif de Rennes l'a déclaré responsable des conséquences dommageables de l'infection dont a été victime M. Romain X à la suite d'une intervention chirurgicale pratiquée dans l'établissement et l'a condamné au paiement, à l'intéressé, d'une provision de 150 000 F, d'autre part, le jugement du 19 juin 2002 par lequel ce même tribunal l'a condamné, avant de statuer sur les droits de la caisse maladie régionale des artisans et commerçants de Bretagne et sur le surplus de ceux de M. X, à verser à ce dernier une somme de 8 700 euros ;
2°) de rejeter la demande présentée par M. X et par la caisse maladie régionale des artisans et commerçants de Bretagne devant le Tribunal administratif de Rennes ;
Vu, 2° sous le n° 03NT00296, la requête enregistrée au greffe de la Cour, le 28 février 2003, présentée pour la caisse maladie régionale des artisans et commerçants de Bretagne, représenté par son directeur en exercice et dont le siège est 1, rue de Belle-Ile en Mer BP 1619 29106 Quimper cedex, par SALAÜN, avocat au barreau de Nantes ;
La caisse maladie régionale des artisans et commerçants de Bretagne demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement du 11 décembre 2002 par lequel le Tribunal administratif de Rennes a condamné le centre hospitalier universitaire de Brest à lui verser une somme de 14 976,83 euros, qu'elle estime insuffisante, au titre des débours qu'elle a engagés pour son assuré social, M. X ;
2°) de condamner le CHU de Brest à lui verser à somme de 99 805,38 euros, avec intérêts au taux légal à compter du 13 novembre 1997, ou subsidiairement, la somme de 29 953,66 euros avec intérêts au taux légal à compter de cette même date ;
3°) de condamner ledit centre hospitalier à lui verser la somme de 760 euros au titre de l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale ;
4°) de condamner le CHU de Brest à lui verser une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Vu, 3° sous le n° 03NT00366, la requête et le mémoire complémentaire enregistrés au greffe de la Cour, respectivement, le 10 mars et le 22 avril 2003, présentés pour le centre hospitalier universitaire de Brest, représenté par son directeur en exercice à ce dûment habilité par délibération du 13 octobre 2003 du conseil d'administration et dont le siège est 5, avenue Foch 29609 Brest, par Me Le PRADO, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de Cassation ;
Le CHU de Brest demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement n° 9702064 du 11 décembre 2002 par lequel le Tribunal administratif de Rennes l'a condamné au paiement, d'une part, aux héritiers de M. X d'une somme de 113 700 euros, d'autre part, à la caisse maladie régionale des artisans et commerçants de Bretagne d'une somme de 14 976,83 euros ;
2°) de rejeter les demandes présentées par M. X et par la caisse maladie régionale des artisans et commerçants de Bretagne devant le Tribunal administratif de Rennes ;
Vu les autres pièces des dossiers ;
Vu le code de la sécurité sociale ;
Vu la loi n° 68-1250 du 31 décembre 1968 ;
Vu la loi n° 2002-303 du 4 mars 2002 ;
Vu le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 23 mars 2004 :
- le rapport de Mme WEBER-SEBAN, premier conseiller,
- les observations de Me COTRIAN, avocat de Mme Juliette X et de M. Gilbert X ;
- les observations de Me DORA, substituant Me SALAÜN, avocat de la caisse maladie régionale des artisans et commerçants de Bretagne ;
- et les conclusions de M. COËNT, commissaire du gouvernement ;
Considérant que les requêtes n°s 02NT01428 et 03NT00366 susvisées du centre hospitalier universitaire de Brest et la requête n° 03NT00296 susvisée de la caisse maladie régionale des artisans et commerçants de Bretagne sont relatives aux conséquences de la même intervention chirurgicale et ont fait l'objet d'une instruction commune ; qu'il y a lieu de les joindre pour statuer par un seul arrêt ;
Considérant que M. Romain X, alors âgé de 68 ans, a subi le 19 mai 1992 au centre hospitalier universitaire (CHU) de Brest, une opération de chirurgie cardiaque avec double pontage aorto-coronarien ; qu'à la suite du syndrome infectieux complexe dont il a été victime lors des suites opératoires de cette intervention, M. X, après avoir obtenu la désignation d'un expert par le président du Tribunal administratif de Rennes statuant en référé, a recherché, devant cette juridiction, la responsabilité du CHU de Brest au titre de cette infection ; que par un jugement d'avant-dire droit du 22 mars 2000, le tribunal a, d'une part, déclaré le centre hospitalier responsable des conséquences dommageables de l'infection nosocomiale contractée par M. X lors de son hospitalisation et l'a condamné à verser à l'intéressé une provision de 150 000 F (22 867,35 euros), d'autre part, ordonné un complément d'expertise pour déterminer la part des préjudices directement liés à l'infection et distincts de ceux découlant des complications résultant de l'état de santé antérieur de M. X ; que par jugement du 19 juin 2002, le tribunal a, d'une part, fixé à 50% du préjudice total subi par M. X la part de celui imputable à l'infection nosocomiale et à 113 700 euros le montant de ce dernier préjudice, d'autre part, ordonné un supplément d'instruction aux fins de déterminer les droits de la caisse maladie régionale des artisans et commerçants de Bretagne au titre des débours engagés pour son assuré social, directement liés à l'infection nosocomiale et, par voie de conséquence, les droits de M. X ; que, par jugement du 11 décembre 2002, le tribunal administratif a condamné le CHU de Brest à verser la somme de 113 700 euros à M. X et celle de 14 976,83 euros à la caisse maladie régionale des artisans et commerçants de Bretagne ; que, par ses requêtes n° 02NT01428 et n° 03NT00366, le CHU de Brest interjette appel des trois jugements susmentionnés alors que, par sa requête n° 03NT00296, la caisse maladie régionale des artisans et commerçants de Bretagne interjette appel du jugement du 11 décembre 2002 en ce qu'il la concerne ; que par la voie de l'appel incident, la caisse demande également la réformation du jugement du 19 juin 2002 attaqué, en tant qu'il n'a retenu qu'à hauteur de 50 % la part du préjudice imputable à l'infection nosocomiale ;
Sur la régularité du jugement du 19 juin 2002 :
Considérant, en premier lieu, que si, à la date du 26 juin 2000 à laquelle le tribunal administratif a été informé par l'avocat de M. Romain X du décès de ce dernier, l'affaire n'était pas en état d'être jugée dès lors que l'expert n'avait pas encore déposé le rapport établi dans le cadre du complément d'expertise ordonné par le jugement d'avant-dire droit du 22 mars 2000, il ressort de l'examen du dossier de première instance que, par leur mémoire du 28 janvier 2002, Mme X et M. Gilbert X, qui sont, en leur qualité d'épouse et de fils du requérant, ses seuls héritiers, doivent être regardés comme ayant repris l'instance en cours ; que, par suite, contrairement à ce que soutient le CHU de Brest, le tribunal a pu régulièrement statuer sur la demande dont l'avait saisi M. Romain X ;
Considérant, en second lieu, que si le rapport complémentaire d'expertise, déposé le 15 octobre 2001 au greffe du tribunal administratif, a méconnu la procédure contradictoire, cette irrégularité ne faisait pas obstacle à ce que le tribunal retienne ce rapport complémentaire à titre d'information en ce qu'il concerne les éléments de fait dont la réalité n'était pas contestée ; que, par suite, le CHU de Rennes n'est pas fondé à soutenir que le jugement du 19 juin 2002 aurait été rendu sur une procédure irrégulière ;
Sur la responsabilité :
Considérant qu'il résulte de l'instruction et notamment, du rapport d'expertise du 20 décembre 1996 et des éléments d'information non contestés du rapport d'expertise complémentaire du 14 septembre 2001, qu'à la suite de l'intervention de chirurgie cardiaque pratiquée le 19 mai 1992 sur M. X, ce dernier a été victime, dès la onzième heure, d'un syndrome de détresse respiratoire aiguë nécessitant son transfert, le 21 mai suivant, en réanimation avec maintien d'une ventilation assistée ; que le 2 juin 1992, il a été constaté une complication infectieuse complexe sous forme de sterno-médiastinite liée à une infection de la plaie opératoire, ainsi qu'une septicémie à staphylocoque doré résistant à la pénicilline et une pneumonie nosocomiale aux mêmes germes ; que s'il est constant, d'une part, que le syndrome de détresse respiratoire, largement favorisé par l'état de santé antérieur du malade caractérisé par une hypertension artérielle, un tabagisme important même arrêté depuis de nombreuses années et une surcharge pondérale, comportait un facteur de risques propres à l'installation de complications infectieuses en raison, notamment, de la nécessité d'une ventilation assistée prolongée, d'autre part, que la technique opératoire retenue lors de l'intervention cardiaque sous la forme du prélèvement de deux artères mammaires internes, bien que totalement justifiée sur le plan médical, augmentait les risques de médiastinite, il n'en demeure pas moins que l'infection dont a été victime M. X, dont rien ne permet de présumer qu'il aurait été porteur d'un foyer infectieux avant l'intervention, résulte de l'introduction accidentelle d'un germe microbien dans son organisme lors de son hospitalisation ; que, dans ces conditions, et alors même que les médecins n'auraient commis aucune faute, notamment en matière d'asepsie, et qu'une telle infection se produirait fréquemment lors de ce type de réanimation, le fait que cette infection ait pu néanmoins se produire, révèle l'existence d'une faute dans l'organisation ou le fonctionnement du service hospitalier qui engage la responsabilité du CHU de Brest envers la victime à raison des conséquences dommageables de l'infection survenue ;
Sur l'évaluation des préjudices :
Considérant, en premier lieu, qu'il résulte de l'instruction et notamment, du rapport d'expertise du 20 décembre 1996, que M. X a présenté à la suite de l'intervention de chirurgie cardiaque et de son hospitalisation, des séquelles cardiaques et respiratoires sévères expliquant le statut clinique actuel et qu'au moment de la consolidation de son état de santé le 8 janvier 1993, l'intéressé, qui devait faire l'objet d'une oxygénothérapie en continu, ne pouvait se déplacer du fait d'une tachycardie importante, de signes d'insuffisance cardiaque et d'oedèmes des membres inférieurs ; que, toutefois, compte tenu de la nature de ces séquelles qui doivent être imputées, pour une part prépondérante, aux complications respiratoires qu'a présentées l'intéressé en raison de son état de santé antérieur caractérisé par une hypertension artérielle, une insuffisance respiratoire chronique et une artérite des membres inférieurs, justifiant dès 1978 un taux d'invalidité de 80 % pour station debout pénible, le tribunal a fait une appréciation excessive de la part des préjudices résultant directement de l'infection nosocomiale contractée lors de son hospitalisation en fixant celle-ci à 50 % desdits préjudices ; qu'il en sera fait une juste appréciation en ramenant cette part à 25 % de l'ensemble des préjudices subis par M. X ;
Considérant, en second lieu, qu'il est constant que l'état de santé de M. X nécessitait l'aide d'une tierce personne qui a été assurée par son épouse jusqu'à son décès ; que l'indemnité que le tribunal a alloué à ce titre aux consorts X doit être regardée, non comme la réparation d'un élément du préjudice personnel de Mme X, mais comme la réparation due au titre d'une aide justifiée par le handicap de M. X et des troubles qu'ils lui ont occasionné dans ses conditions d'existence ; que, par suite, le CHU de Brest n'est pas fondé à soutenir que cette demande n'était pas recevable ;
Sur les droits de la caisse maladie régionale des artisans et commerçants de Bretagne :
Considérant, en premier lieu, qu'ainsi qu'il est dit plus haut, l'état de santé de M. X a été considéré comme consolidé le 8 janvier 1993 ; que, par suite, alors même que l'infection nosocomiale dont l'intéressé a été victime est survenue en juin 1992, la créance de la caisse maladie régionale des artisans et commerçants de Bretagne, subrogée dans les droits et actions de son assuré, au titre des débours qu'elle a exposés pour le compte de celui-ci, se rattache à l'exercice 1993 ; que cette créance, y compris en ce qu'elle concerne des frais médicaux, pharmaceutiques, d'hospitalisation et d'appareillage exposés en 1992 n'était, dès lors, pas prescrite à la date du 13 novembre 1997 à laquelle la caisse a présenté un mémoire tendant au remboursement de somme correspondante ; que la caisse maladie régionale des artisans et commerçants de Bretagne est, ainsi, fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal a écarté, en se fondant sur la prescription quadriennale prévue par l'article 1er de la loi susvisée du 31 décembre 1968, sa demande relative aux débours qu'elle a exposés au cours de l'année 1992 ;
Considérant, en second lieu, que la caisse maladie régionale des artisans et commerçants de Bretagne ne saurait se prévaloir de l'hypothèse, non applicable en l'espèce, dans laquelle un partage de responsabilité ne lui est pas opposable ; qu'à défaut d'éléments de justification donnés par la caisse maladie régionale des artisans et commerçants de Bretagne de la part des débours directement liés à l'infection nosocomiale dont a été victime M. X et en conséquence de ce qui a été dit plus haut, il sera fait une juste appréciation de cette part en la fixant à 25 % des dépenses d'un montant total de 99 805,38 euros dont la caisse n'a pas moins justifié pour la période du 21 mai 1992 au 31 octobre 1997 ; que la somme de 14 976,83 euros que le CHU de Brest a été condamné à payer à la caisse maladie régionale des artisans et commerçants de Bretagne doit, dès lors, être portée à celle de 24 951,35 euros, avec intérêts au taux légal à compter du 13 novembre 1997, date d'enregistrement de sa demande devant le tribunal a
dministratif ;
Sur les droits de M. X :
Considérant que compte tenu, d'une part, du montant non contesté de l'ensemble des préjudices subis par M. X à la suite de son opération et qui doivent être regardés comme ayant été fixés par le tribunal administratif, respectivement, à 60 000 euros au titre des troubles de toutes natures pendant la période d'incapacité permanente partielle, à 12 800 euros au titre de la souffrance physique, à 4 600 euros au titre du préjudice esthétique et d'agrément et à 150 000 euros au titre de l'aide d'une tierce personne, sommes auxquelles doit être ajoutée celle de 99 805,38 euros au titre des frais médicaux, d'autre part, de la part précitée de 25 % de ces préjudices imputables à l'infection nosocomiale, la somme que le CHU de Brest a été condamné à payer à M. X doit être ramenée, après imputation de la somme de 24 951,35 euros due à la caisse maladie régionale des artisans et commerçants de Bretagne sur la part de l'indemnité qui répare l'atteinte physique de la victime, à la somme de 56 850 euros ;
Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que le CHU de Brest est seulement fondé à soutenir que c'est à tort que, par les jugements attaqués, lesquels sont suffisamment motivés, le Tribunal administratif de Rennes l'a condamné à payer aux consorts X une somme supérieure à celle de 56 850 euros retenue par le présent arrêt ; que, pour sa part, la caisse maladie régionale des artisans et commerçants de Bretagne est seulement fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement du 11 décembre 2002, le tribunal administratif a condamné le centre hospitalier à lui verser une somme inférieure à celle de 24 951,35 euros, avec intérêts au taux légal à compter du 13 novembre 1997, retenue par le présent arrêt ;
Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
Considérant qu'il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, en application de ces dispositions, de condamner le CHU de Brest à payer, d'une part, à la caisse maladie régionale des artisans et commerçants de Bretagne, d'autre part, à Mme Juliette X et à M. Gilbert X la somme qu'ils demandent au titre des frais exposés et non compris dans les dépens ;
Décide :
Article 1er : La somme de 113 700 euros (cent treize mille sept cents euros) que le centre hospitalier universitaire (CHU) de Brest a été condamné à payer à Mme Juliette X et à M. Gilbert X, héritiers de M. Romain X, est ramenée à la somme de 56 850 euros (cinquante six mille huit cent cinquante euros).
Article 2 : La somme de 14 976,83 euros (quatorze mille neuf cent soixante seize euros quatre vingt trois centimes) que le CHU de Brest a été condamné à payer à la caisse maladie régionale des artisans et commerçants de Bretagne est portée à la somme de 24 951,35 euros (vingt quatre mille neuf cent cinquante et un euros trente cinq centimes), avec intérêts au taux légal à compter du 13 novembre 1997.
Article 3 : Les jugements du 19 juin 2002 et du 11 décembre 2002 du Tribunal administratif de Rennes sont réformés en ce qu'ils ont de contraire au présent arrêt.
Article 4 : Le surplus des conclusions des requêtes du CHU de Brest et de la caisse maladie régionale des artisans et commerçants de Bretagne est rejeté.
Article 5 : Les conclusions de Mme Juliette X et de M. Gilbert X tendant au bénéfice des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 6 : Le présent arrêt sera notifié au CHU de Brest, à la caisse maladie régionale des artisans et commerçants de Bretagne, à Mme Juliette X, à M. Gilbert X, à la compagnie AGF-SANTE et au ministre de la santé et de la protection sociale.