En l’espèce, une patiente a été hospitalisée à plusieurs reprises entre 1981 et 1985 dans des hôpitaux de l’AP-HP où elle a subi des opérations chirurgicales et reçu des transfusions sanguines provenant de 41 lots différents de produits sanguins. Imputant à ces transfusions sanguines sa contamination par le virus de l’hépatite C diagnostiqué en 1985, elle a recherché la responsabilité de l’AP-HP, à laquelle l’Etablissement français du sang (EFS) s’est substitué en cours d’instance. La requérante demande l’annulation de l’arrêt du 7 juillet 2005 par lequel la Cour administrative d’appel de Paris a rejeté sa demande indemnitaire. Le Conseil d’Etat considère, au regard des pièces du dossier, que les interventions et actes médicaux invasifs avaient tous été pratiqués dans des hôpitaux dépendant de l’AP-HP et, à supposer qu'elle se soit produite à l'occasion d'un de ces actes, la contamination de l'intéressée aurait en tout état de cause engagé la responsabilité de cet établissement public. L'introduction accidentelle d'un agent pathogène dans le corps d'un patient à l'occasion d'un acte de soins révélant une faute dans l'organisation du service, le Conseil d’Etat relève que la Cour administrative d'appel de Paris a commis une erreur de droit et annule par conséquent l’arrêt qu’elle avait rendu.
Conseil d'État
N° 285383
Inédit au recueil Lebon
5ème et 4ème sous-sections réunies
M. Martin, président
M. Jean de L'Hermite, rapporteur
M. Thiellay Jean-Philippe, commissaire du gouvernement
SCP BORE ET SALVE DE BRUNETON ; SCP DIDIER, PINET ; SCP PIWNICA, MOLINIE, avocats
lecture du lundi 29 juin 2009
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu le pourvoi sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 22 septembre 2005 et 20 janvier 2006 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour Mlle Sylvie A, demeurant ... ; Mlle A demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler l'arrêt du 7 juillet 2005 par lequel la cour administrative d'appel de Paris, sur la requête de l'Etablissement français du sang (E.F.S.), venu aux droits de l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris, a annulé les jugements du tribunal administratif de Paris du 29 juin 1999 et du 27 avril 2004 et rejeté sa demande tendant à ce que l'Etablissement français du sang soit condamné à lui verser une indemnité de 276 815 euros et une rente annuelle de 8 000 euros en réparation du préjudice subi du fait de sa contamination par le virus de l'hépatite C, qu'elle impute à la transfusion de produits sanguins ;
2°) réglant l'affaire au fond, de lui accorder le bénéfice de ses écritures d'appel ;
3°) de mettre à la charge de l'Etablissement français du sang et de l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris la somme de 2 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code de la santé publique ;
Vu la loi n° 98-535 du 1er juillet 1998 ;
Vu la loi n° 2002-303 du 4 mars 2002 ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Jean de L'Hermite, Maître des Requêtes,
- les observations de la SCP Boré et Salve de Bruneton, avocat de Mlle A, de la SCP Didier Pinet, avocat de l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris et de la SCP Piwnica, Molinié, avocat de l'Etablissement français du sang,
-les conclusions de M. Jean-Philippe Thiellay, Rapporteur public,
La parole ayant été à nouveau donnée à la SCP Boré et Salve de Bruneton, avocat de Mlle A, à la SCP Didier Pinet, avocat de l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris et à la SCP Piwnica, Molinié, avocat de l'Etablissement français du sang ;
Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que Mlle A, souffrant d'une maladie infectieuse qui entraînait des complications cardiaques et neurologiques, a été hospitalisée à plusieurs reprises entre 1981 et 1985 dans des hôpitaux publics parisiens, où elle a subi des opérations chirurgicales et reçu des transfusions sanguines provenant de 41 lots différents de produits sanguins ; qu'imputant à ces transfusions sa contamination par le virus de l'hépatite C, diagnostiquée en 1985, elle a recherché la responsabilité de l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris, à laquelle l'Etablissement français du sang s'est substitué en cours d'instance ; que par jugements en date du 29 juin 1999 et du 27 avril 2004, le tribunal administratif de Paris a jugé que les transfusions reçues par Mlle A étaient à l'origine de sa contamination et condamné l'Etablissement français du sang à verser à la requérante la somme de 69 800 euros en réparation du préjudice qu'elle avait subi de ce fait ; que par l'arrêt attaqué du 7 juillet 2005, la cour administrative d'appel de Paris a annulé ces jugements et rejeté la demande indemnitaire de Mlle A ;
Considérant qu'aux termes de l'article 102 de la loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé, applicable au présent litige : En cas de contestation relative à l'imputabilité d'une contamination par le virus de l'hépatite C antérieure à la date d'entrée en vigueur de la présente loi, le demandeur apporte des éléments qui permettent de présumer que cette contamination a pour origine une transfusion de produits sanguins labiles ou une injection de médicaments dérivés du sang. Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que cette transfusion ou cette injection n'est pas à l'origine de la contamination. Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utile. Le doute profite au demandeur. / Cette disposition est applicable aux instances en cours n'ayant pas donné lieu à une décision irrévocable ;
Considérant qu'il résulte de ces dispositions qu'il appartient au demandeur, non pas seulement de faire état d'une éventualité selon laquelle sa contamination par le virus de l'hépatite C provient d'une transfusion, mais d'apporter un faisceau d'éléments conférant à cette hypothèse, compte tenu de toutes les données disponibles, un degré suffisamment élevé de vraisemblance ; que si tel est le cas, la charge de la preuve contraire repose sur le défendeur ; que ce n'est qu'au stade où le juge, au vu des éléments produits successivement par les parties, forme sa conviction que le doute profite au demandeur ; que, s'il appartient au juge de cassation de vérifier que les juges du fond ne commettent pas d'erreur de droit dans l'application de ces règles, la question de savoir si les éléments avancés par le demandeur suffisent pour créer une présomption, si la preuve contraire est apportée par le défendeur et s'il existe un doute devant conduire à accueillir la demande relève de l'appréciation souveraine des juges du fond ;
Considérant que l'arrêt attaqué relève que s'il résulte de l'instruction que Mlle A s'est vu administrer, entre juin 1983 et avril 1985, 41 produits sanguins labiles, dont 17 concentrés globulaires et 24 plasmas frais congelés, provenant pour partie de centres de transfusion sanguine dépendant de l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris et dont l'innocuité n'a pu être vérifiée, elle a subi entre 1981 et 1985 de multiples interventions chirurgicales et actes médicaux invasifs, constituant une source possible de contamination par le virus de l'hépatite C ; qu'en se fondant sur cette circonstance pour juger que Mlle A ne pouvait prétendre à réparation, alors qu'il ressortait des pièces du dossier qui lui était soumis que les interventions et actes médicaux invasifs avaient tous été pratiqués dans des hôpitaux dépendant de l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris et, qu'ainsi, à supposer qu'elle se soit produite à l'occasion d'un de ces actes, la contamination de l'intéressée aurait en tout état de cause engagé la responsabilité de cet établissement public, l'introduction accidentelle d'un agent pathogène dans le corps d'un patient à l'occasion d'un acte de soins révélant une faute dans l'organisation du service, la cour administrative d'appel de Paris a commis une erreur de droit ; que le juge ne pouvait en effet se fonder, pour rejeter la demande d'indemnité dont il était saisi, sur une hypothèse qui, à la supposer exacte, aurait également engagé la responsabilité de la collectivité à laquelle la requérante imputait l'origine de son dommage ; que la circonstance qu'en cours d'instance, par l'effet d'une convention conclue le 29 décembre 1999 sur le fondement des dispositions de l'article 18 de la loi du 1er juillet 1998, les obligations de l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris nées de ses activités transfusionnelles ont été transférées à l'Etablissement français du sang ne pouvait avoir aucune incidence sur le droit de Mlle A d'obtenir réparation du dommage alors même qu'il était susceptible de trouver son origine dans une contamination nosocomiale ;
Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens du pourvoi, que Mlle A est fondée à demander l'annulation de l'arrêt attaqué ;
Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
Considérant que ces dispositions font obstacle à ce que soit mise à la charge de Mlle A, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que demandent l'Etablissement français du sang et l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris au titre des frais exposés par eux et non compris dans les dépens ; qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire application de ces dispositions et de mettre à la charge de l'Etablissement français du sang et de l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris la somme de 1 500 euros chacun au titre des frais exposés par Mlle A ;
D E C I D E :
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Article 1er : L'arrêt de la cour administrative d'appel de Paris en date du 7 juillet 2005 est annulé.
Article 2 : L'affaire est renvoyée devant la cour administrative d'appel de Paris.
Article 3 : L'Etablissement français du sang et l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris verseront chacun à Mlle A la somme de 1 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Les conclusions de l'Etablissement français du sang et de l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris tendant à l'application du même article sont rejetées.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à Mlle Sylvie A, à l'Etablissement français du sang, à l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris, à la caisse régionale d'assurance maladie d'Ile de France et à la caisse primaire d'assurance maladie des Hauts de Seine.
Copie pour information en sera adressée au président de la cour administrative d'appel de Paris.