1° - CULTES.
Etablissements publics d'enseignement du second degré. Services d'aumônerie. Création et suppression. Pouvoirs de l'administration. Circulaires des 10 octobre 1945 et 30 juillet 1946 (1).
2° ACTES LEGISLATIFS ET ADMINISTRATIFS.
Actes réglementaires. Abrogation. Pouvoirs du Gouvernement. Actes du Gouvernement de Vichy non annulés par les ordonnancements sur le rétablissement de la légalité républicaine.
1° (1er avril . - Assemblée. - 88.854, 88.855, 88.856 et 92.415. Sieur X et autres. - MM. Laurent, rapp. ; Gazier, c. du g. ; Me Auboyer-Treuille, av.).
1° REQUETE du sieur X, tendant à l'annulation pour excès de pouvoir :
a) de la décision en date du 10 octobre 1945, par laquelle le ministre de l'Education nationale a décidé que les services d'aumônerie et les cours d'enseignement religieux ne seront maintenus dans les établissements d'enseignement du second degré qu'après avis du Conseil d'administration desdits établissements ;
b) de la décision verbale, du mois d'octobre 1945 par laquelle le proviseur du lycée Rollin l'a invité à cesser ses fonctions d'aumônier ;
c) de la décision en date du 30 juillet 1946, par laquelle le ministre de l'Education nationale a décidé de supprimer les services d'aumônerie créés dans les établissements du second degré postérieurement à l'année scolaire 1938-1939 ;
2° REQUETE de l'Association professionnelle des aumôniers de l'enseignement public, agissant poursuites et diligences de ses représentants accrédités, et notamment de son Président, tendant à l'annulation pour excès de pouvoir :
a) des décisions prises sous la forme de circulaires, en date des 3 et 10 octobre 1945, par lesquelles le ministère de l'Education nationale a décidé que les services d'aumônerie et les cours d'enseignement religieux ne seront maintenus dans les établissements d'enseignement du second degré qu'après avis du Conseil d'administration desdits établissement ;
b) la décision, en date du 30 juillet 1946, par laquelle le ministre de l'Education nationale a décidé de supprimer les services d'aumônerie créés dans les établissements du second degré, postérieurement à l'année scolaire 1938-1939 ;
3° REQUETE du sieur Y tendant à l'annulation pour excès de pouvoir :
a) de la décision, en date du 30 juillet 1946, par laquelle le ministre de l'Education nationale a décidé de supprimer les services d'aumônerie créés dans les établissements du second degré, postérieurement à l'année scolaire 1938-1939 ;
b) en tant que de besoin, de la décision, en date du 22 août 1946, par laquelle le proviseur du lycée Condorcet lui a notifié la suppression du service d'aumônerie de cet établissement ;
4° REQUETE en intervention de la Fédération des groupements catholiques de parents d'élèves des lycées et collèges, agissant poursuites et diligences de son président et des membres de son conseil d'administration en exercice, tendant à l'annulation pour excès de pouvoir, des décisions du ministre de l'Education nationale en date du 3 et 10 octobre 1945 et du 30 juillet 1946 susmentionnées ;
Vu la loi 9 décembre 1905 ; l'ordonnance du 9 août 1944 ; l'ordonnance du 31 juillet 1945 ;
CONSIDERANT que les requêtes susvisées présentent à juger, des questions semblables et ont fait l'objet d'une instruction commune ; qu'il y a lieu de les joindre pour y être statué par une seule décision ;
Sur l'intervention de la Fédération des groupements catholiques de parents d'élèves des lycées et collèges : - Cons. que le litige actuel présente, pour les parents des élèves des établissements d'enseignement public du second degré, un intérêt de nature à rendre l'intervention de ladite fédération recevable ;
Sur les conclusions dirigées contre la circulaire du ministre de l'éducation nationale, en date du 30 juillet 1946 :
Sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens des requêtes : - Cons. que l'article 1er de la loi du 9 décembre 1905 garantit le libre exercice des cultes, sous les seules restrictions édictées dans l'intérêt de l'ordre public ; qu'il résulte d'autre part de l'article 2 de la même loi que le législateur, en accordant aux autorités compétentes la faculté d'inscrire au budget de l'état, des départements et des communes, les dépenses relatives à des services d'aumônerie, a reconnu que, dans certains établissements publics, le libre exercice des cultes ne peut être sauvegardé que par l'institution de tels services à l'intérieur desdits établissements ;
Cons. que, par la circulaire attaquée, le ministre de l'Education nationale a décidé de supprimer les services d'aumônerie institués dans les établissements d'enseignement du second degré postérieurement à l'année scolaire 1938-1939 ; que cette décision est applicable, sans distinction, à tous les établissements d'enseignement du second degré ; que, si le ministre pouvait édicter toutes dispositions utiles à l'effet de protéger la liberté de conscience des élèves et de faire respecter le principe de la neutralité des administrations publiques, il ne pouvait légalement, en l'absence de tout motif tiré des exigences de l'ordre public ou des principes sus-rappelés, procéder par la voie d'une suppression générale, qui pouvait avoir pour effet de priver les élèves internes de certains des établissements visés par ladite circulaire de la possibilité de continuer librement les pratiques de leur culte et de recevoir l'enseignement religieux ; qu'ainsi la circulaire attaquée a été prise en méconnaissance des dispositions sus-rappelées de l'article 1er et de l'article 2 de la loi du 9 décembre 1905 ; que dès lors, les requérants sont fondés à soutenir qu'elle est entachée d'excès de pouvoir ;
Sur les conclusions dirigées contre la circulaire du ministre de l'Education nationale, en date du 10 octobre 1945 : - Cons. que par cette circulaire, le ministre de l'Education nationale a décidé qu'il serait fait retour, en ce qui concerne les services d'aumônerie et d'enseignement religieux, pour tous les établissements du second degré, au régime antérieur à 1940, en précisant que ces services seraient maintenus dans tous les établissements où ils étaient organisés pendant l'année scolaire 1938-1939, et que, dans les établissements où cette organisation date des années 1940 à 1944, elles ne serait conservée qu'après avis du conseil d'administration ;
Cons. qu'ils ne résulte pas de la faculté accordée à l'état, aux départements et aux communes par l'article 2 de la loi du 9 décembre 1905 que le législateur ait entendu imposer aux collectivités publiques l'obligation et la charge de créer ou de maintenir des services d'aumônerie, en particulier dans les établissements d'enseignement du second degré ; qu'ainsi les requérants ne sont pas fondés à soutenir que, du seul fait que l'exécution de la circulaire attaquée pouvait entraîner la suppression d'un certain nombre de ces services, le ministre de l'Education nationale, en prenant ladite circulaire, a méconnu les dispositions législatives susmentionnées ;
Cons. qu'aucune disposition de loi ou de règlement ne s'oppose à ce que le conseil d'administration de chaque établissement du second degré soit consulté sur la question de savoir s'il y a lieu de supprimer le service d'aumônerie existant dans l'établissement intéressé ;
Cons. qu'il ressort des pièces versées au dossier qu'en subordonnant, par la circulaire susmentionnée, le maintien des services d'aumônerie et d'enseignement religieux créés après l'année scolaire 1938-1939 à l'avis des conseils d'administration des établissements intéressés, le ministre de l'Education nationale n'a pas entendu supprimer ces services par la voie d'une décision réglementaire de portée générale ; que, bien au contraire, ladite circulaire déclare expressément envisager le maintien du service d'aumônerie "chaque fois que les conditions de fonctionnement de l'établissement intéressé ou les circonstances locales feraient de la présence d'un aumônier dans ledit établissement une condition de la liberté cultuelle des élèves", et entend instituer une procédure destinée à tenir compte, à cet égard, de la situation propre à chacun des établissements d'enseignement intéressés ; qu'ainsi elle ne s'oppose pas au maintien des services d'aumônerie dans ceux des établissements qui reçoivent des élèves internes ; que par suite, les requérants ne sont pas fondés à soutenir que la circulaire attaquée a été prise en violation du principe du libre exercice des cultes, posé à l'article 1er de la loi du 9 décembre 1905 ;
Cons. que, si le législateur, en prenant l'ordonnance du 9 août 1944, a entendu seulement constater la nullité des actes par lesquels le gouvernement de l'Etat français avait porté atteinte aux principes fondamentaux de la République, les dispositions de ladite ordonnance ne s'opposaient pas à ce que fussent supprimés certains services d'aumônerie et d'enseignement religieux créés pendant la période visée par ce texte législatif ; qu'ainsi les requérants ne sont pas fondés à soutenir qu'en permettant, par la circulaire attaquée, de procéder à ces suppressions, le ministre a méconnu les dispositions de l'ordonnance du 9 août 1944 ;
Sur les conclusions dirigées contre la circulaire du ministre de l'Education nationale, en date du 3 octobre 1945 : - Cons. que ladite circulaire a été rapportée par la circulaire du 10 octobre de la même année, qui reste en vigueur ; qu'ainsi les conclusions susvisées sont sans objet ;
Sur les conclusions dirigées par le sieur X contre la décision verbale du proviseur du lycée Jacques Decour : - Cons. que, pour demander l'annulation de cette décision, prise en application de la circulaire du 10 octobre 1945 précitée, le sieur X soutient que les dispositions de ladite circulaire, qui prévoient que les conseils d'administration des établissements intéressés seront appelés à donner leur avis sur le maintien ou la suppression des services d'aumônerie, ont été méconnues ;
Cons. qu'il résulte de l'instruction que le conseil d'administration, appelé à donner son avis sur le maintien ou la suppression du service d'aumônerie du lycée Jacques Decour en application de la circulaire susdatée, n'a délibéré sur cette question qu'au cours de sa séance du 18 janvier 1946 ; qu'ainsi la décision attaquée, intervenue au cours du mois d'octobre 1945, et dont l'existence n'est pas contestée par l'administration, a été prise en violation des dispositions de la circulaire susmentionnée ;
Sur les conclusions dirigées par le sieur Y contre la décision du proviseur du lycée Condorcet, en date du 22 août 1946 : - Cons. que cette décision est une mesure d'exécution de la circulaire du 30 juillet 1946, dont l'illégalité vient d'être constatée ; que, dès lors, le requérant est fondé à soutenir qu'elle est, par voie de conséquence, entachée d'excès de pouvoir ; ... (L'intervention de la Fédération des groupements catholiques des parents d'élèves des lycées et collèges est admise ; la circulaire du ministre de l'Education nationale, en date 30 juillet 1946, la décision du proviseur du lycée Condorcet en date du 22 août 1946 et la décision verbale du proviseur du lycée Jacques Decour sont annulées ; le surplus des conclusions des requêtes est rejeté).