Selon le Professeur KUSS - dont la communication, adoptée à l’unanimité le 29 juin 1982 par l’Académie de médecine, fait autorité dans les milieux scientifiques - le transsexualisme se caractérise par le “ sentiment profond et inébranlable d’appartenir au sexe opposé à celui qui est génétiquement, anatomiquement et juridiquement le sien ”, accompagné du “ besoin intense et constant de changer de sexe et d’état civil ”.
Le transsexuel “ se sent victime d’une erreur insupportable de la nature dont il demande la rectification tant physique que civile, pour parvenir à une cohérence de son psychisme et de son corps et obtenir ainsi une réinsertion sociale dans le sexe opposé ”.
Ainsi défini, le transsexuel se distingue de l’intersexuel, dont le sexe est ambigu du point de vue anatomique et physiologique. Il se différencie également de l’homosexuel et du travesti qui ont l’un et l’autre conscience d’appartenir à leur sexe et ne cherchent pas véritablement à en changer.
A l’heure actuelle, la thérapeutique médico-chirurgicale de changement de sexe, malgré son caractère mutilant et irréversible constitue, le plus souvent, la seule possibilité de soulager la grande souffrance qu’éprouvent les personnes présentant un tel syndrome.
Poser le diagnostic du transsexualisme et partant décider en tant que médecin de chercher à y répondre par un traitement hormonal et chirurgical, est une décision très grave et lourde de conséquences, qui nécessite la plus grande prudence et le respect des normes applicables.
Il n’existe pas en France, de législation spécifique relative au syndrome du transsexualisme.
Il convient, dès lors, de se référer aux règles générales édictées par le code de déontologie médicale et par la loi du 29 juillet 1994 relative au respect du corps humain, aux conditions particulières énoncées par le Conseil de l’ordre des médecins et la Sécurité sociale et aux critères dégagés par les jurisprudences française et communautaire.
1 – les textes
a) La mise en œuvre d’un traitement médico-chirurgical destiné à soigner le syndrome du transsexualisme est soumise en premier lieu au respect des textes généraux concernant le corps humain et les atteintes susceptibles d’y être rapportées.
Ces textes généraux, qui figurent dans plusieurs Codes, le Code de la santé publique, le Code civil et le Code pénal, sont les suivants :
- l’article 41 du code de déontologie médicale, tel qu’il résulte du décret du 6 septembre 1975 : “ aucune intervention mutilante ne peut être pratiquée sans motif médical très sérieux et sauf urgence ou impossibilité, sans information de l’intéressé et sans son consentement ”.
- les articles 16-1 et 16-3 du code civil, tels qu’ils résultent de la loi du 29 juillet 1994 : “ le corps humain est inviolable ” et “ il ne peut être porté atteinte à l’intégrité du corps humain qu’en cas de nécessité thérapeutique pour la personne. Le consentement de l’intéressé doit être recueilli préalablement hors le cas où son état rend nécessaire une intervention thérapeutique à laquelle il n’est pas à même de consentir ”.
- le Code pénal dans son livre II “ Des crimes et délits contre les personnes ”, titre II “ des atteintes à la personne humaine ” dont le chapitre I traite des atteintes à la vie de la personne et le chapitre II des atteintes à l’intégrité physique ou psychique de la personne.
Parmi les atteintes volontaires à l’intégrité de la personne figurent les violences que le nouveau Code pénal distingue selon qu’elles ont entraîné la mort (articles 222-7 et 222-8), une mutilation ou une infirmité permanente (articles 222-9 et 222-10), une incapacité totale de travail supérieure ou égale à 8 jours (articles 222-11 et 222-12) ou une incapacité de travail inférieure ou égale à 8 jours (article 222-13).
b) A ces dispositions générales s’ajoutent les règles posées par le Conseil de l’ordre des médecins. Celui-ci préconise que le diagnostic soit établi avec une certitude absolue au terme d’un examen préalable du sujet pendant un délai variant entre un et deux ans par trois médecins, un chirurgien, un endocrinologue et un neuropsychiatre, ce diagnostic donnant lieu à la rédaction d’un protocole anonyme adressé au Conseil départemental de l’ordre des médecins dans le ressort duquel se trouve l’établissement d’hospitalisation.
c) Enfin, il convient de rappeler les prescriptions édictées par le Code de la Sécurité Sociale qui exige pour l’acceptation de la prise en charge que le diagnostic soit confirmé par trois experts (endocrinologue, psychiatre et chirurgien) et que les interventions soient réalisées en milieu hospitalier public.
2 – La jurisprudence
Les Tribunaux ont été amenés à plusieurs reprises à se prononcer sur les conditions de validité d’actes médicaux conduisant à la transformation physique d’un patient.
L’examen de la jurisprudence témoigne d’une évolution certaine de l’appréhension de la question du transsexualisme et de ses conséquences sociales.
Cette évolution tient en grande partie à la position adoptée récemment par la Cour européenne des droits de l’homme dans son interprétation de l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.
Dans un premier temps, la Cour de Cassation, adoptant une attitude rigoureuse, a considéré que la détermination chromosomique du sexe était invariable “ indépendante des manifestions et attributs externes, des convictions cérébrales ou attitudes relationnelles ” et refusé en conséquence les demandes en rectification de nom en se fondant sur le principe d’indisponibilité des personnes.
Mais, la Cour européenne des droits de l’homme a condamné la France dans un arrêt du 25 mars 1992, au motif que la jurisprudence française, en portant atteinte au respect de la vie privée des transsexuels, violait l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH – 25 mars 1992).
Par suite, la Cour de Cassation a mis le droit français en harmonie avec le droit européen et admis que “ lorsque, à la suite d’un traitement médico-chirurgical, suivi dans un but thérapeutique, une personne présentant le syndrome du transsexualisme, ne possède plus tous les caractères de son sexe d’origine et a pris une apparence physique la rapprochant de l’autre sexe auquel correspond son comportement social, le principe du respect dû à la vie privée justifie que son état civil indique désormais le sexe dont elle a l’apparence. Le principe de l’indisponibilité de l’état des personnes ne fait pas obstacle à une telle modification ” (Cass. Ass. Plén. 11 décembre 1992, M. X, M. Y, Bull. n° 13 p. 27).
Par ces décisions, la Haute Juridiction s’est, semble-t-il, efforcée de combiner l’audace et la prudence nécessaires à la résolution du délicat problème du transsexualisme :
- l’audace, en sautant le pas du changement d’état civil des intéressés, afin que la France s’adapte aux progrès de la médecine et aux évolutions de ses voisins européens ;
- la prudence en manifestant le souci d’une extrême vigilance, en étroite collaboration avec l’autorité médicale, lors de l’admission des demandes.
Cette extrême vigilance dans l’admission des demandes se traduit par le respect de plusieurs conditions :
- la nécessité d’un diagnostic du transsexualisme posé avec certitude par une observation pluridisciplinaire de longue durée.
Le patient doit manifester la conviction de posséder un sexe opposé à celui que la nature lui a donné.
Cette conviction doit présenter plusieurs caractéristiques : être inébranlable, d’apparition précoce, progressive et continue, irréversible (il est ainsi nécessaire d'attendre que la personnalité des sujets ait atteint le degré de structuration qui fait un adulte).
- l’exigence d’un but thérapeutique, qui seul peut justifier la mise en œuvre d’un traitement médico-chirurgical.
L’évolution corporelle et juridique n’est autorisée que parce qu’elle est subie par l’intéressé qui ne peut résister à une pression d’ordre psychologique. Le changement de sexe devient alors une nécessité thérapeutique. En cela il ne constitue pas une atteinte illicite à l’intégrité du corps humain et ne contredit pas non plus le principe d’indisponibilité de l’état des personnes.
Dans un arrêt du 30 mai 1991, la chambre criminelle de la Cour de cassation a ainsi considéré que justifie sa décision la Cour d’appel, qui, pour condamner pour coups ou violences volontaires un chirurgien ayant procédé à l’ablation de l’appareil génital externe d’un patient, relève que l’opération a été faite, non pas dans l’intérêt thérapeutique de celui-ci, mais seulement par curiosité scientifique.
Il n’existe en conclusion, aucune impossibilité à réaliser dans un hôpital public, une intervention chirurgicale tendant à modifier l’apparence sexuelle d’un patient présentant le syndrome du transsexualisme, dès lors que les conditions ci-dessus énoncées sont respectées, cette intervention étant logiquement, dans un second temps, suivie d’une demande tendant à la modification de la mention du sexe sur les actes de l’état civil de la personne (art. 99 du Code civil) et au changement de prénom (art. 60 du Code civil).