Par cet arrêt, la cour administrative d’appel de Nancy indique de façon explicite que pour les accidents médicaux régis par la loi du 4 mars 2002, la responsabilité sans faute de l’hôpital en cas de risque exceptionnel n’a plus lieu d’être. En l’espèce, une patiente a été admise aux urgences d’un centre hospitalier pour un kyste ovarien du côté droit. Une exploration chirurgicale a été pratiquée par voie coelioscopique au cours de laquelle le kyste hémorragique a été évacué. Toutefois, en raison de la fièvre et de douleurs persistantes, une nouvelle intervention chirurgicale a été pratiquée, révélant l'existence d'une péritonite en raison de la perforation du côlon transverse. Une éventration transrectale droite sera par la suite diagnostiquée rendant nécessaire une nouvelle intervention chirurgicale pour une réfection pariétale. La cour se prononce ainsi sur l’éventuelle responsabilité du centre hospitalier recherchée soit sur le fondement d’une faute, soit sur le fondement de la réalisation d’un risque. Afin d’écarter la responsabilité pour faute, la cour relève que l’intervention coelioscopique a été conduite dans les règles de l’art et que la perforation intestinale n’est pas la conséquence d’une faute médicale mais d’un aléa thérapeutique. Par ailleurs, aucun retard dans la décision d’opérer, ni aucun défaut de surveillance ne sauraient être reprochés au centre hospitalier, ce qui exclut toute faute dans le fonctionnement ou l’organisation du service. De plus, s’agissant du défaut d’information, si la patiente a été tenue informée de la nature de sa pathologie et de son traitement, ainsi que de l'apparition des complications et des interventions nécessaires, elle n'a pas été informée, préalablement à la première opération chirurgicale, de l'existence du risque digestif qui s'est réalisé. Ce défaut d'information a constitué une faute susceptible d'engager la responsabilité du centre hospitalier à l'égard de la requérante. Toutefois, le défaut d'intervention, s'il est fautif, n'engage la responsabilité de l'hôpital que dans la mesure où il prive le patient de la faculté de se soustraire au risque lié à l'intervention. Or, il résulte de l'instruction que l'état de santé de la patiente nécessitait impérativement l'intervention litigieuse eu égard au diagnostic posé et qu'il n'y avait pas d'alternative thérapeutique moins risquée que l'opération réalisée. Ainsi, la faute commise par le centre hospitalier n'a pas entraîné, dans les circonstances de l'espèce, de perte de chance pour l’intéressée de se soustraire au risque qui s'est réalisé.
Par ailleurs, la requérante invoque également la responsabilité sans faute de l’hôpital eu égard à la gravité des dommages subis, sans rapport avec l’état initial et manifestement anormaux par rapport à l’intervention chirurgicale c’est-à-dire l’application de la jurisprudence Bianchi. La cour rejette également cette demande en rappelant les termes de l’article L. 1142-1 II du Code de la santé publique qui pose le principe de l’indemnisation par la solidarité nationale des conséquences d’un accident médical, lorsque la responsabilité d’un établissement ou d’un professionnel de santé n’est pas engagée. Elle en déduit par conséquent qu’il résulte de ces dispositions qui prévoient un dispositif spécifique d’indemnisation à la charge de l’ONIAM que la requérante n’est pas fondée à rechercher la responsabilité sans faute de l’hôpital en raison des préjudices subis. Cet arrêt de la cour administrative d’appel de Nancy est apparemment le premier qui affirme de façon aussi claire que la loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé condamne la jurisprudence Bianchi.
Cour Administrative d'Appel de Nancy
N° 07NC01468
Inédit au recueil Lebon
3ème chambre - formation à 3
M. VINCENT, président
M. Michel BRUMEAUX, rapporteur
M. COLLIER, commissaire du gouvernement
TOUSSAINT, avocat
lecture du jeudi 9 avril 2009
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu la requête, enregistrée le 30 octobre 2007 ai greffe de la Cour, présentée pour Mme Fatima X, demeurant ..., par Me Toussaint-Henry ; Mme X demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement n° 0402412 du 30 août 2007 par lequel le Tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande tendant à la condamnation des Hôpitaux universitaires de Strasbourg à réparer les conséquences dommageables résultant de l'intervention chirurgicale qu'elle a subie le 26 février 2003 ;
2°) de condamner les Hôpitaux universitaires de Strasbourg à lui verser une indemnité de 65 500 euros, augmentée des intérêts au taux légal à compter du 20 août 2003, lesdits intérêts étant capitalisés par périodes de douze mois ;
3°) de mettre la somme de 2 000 euros à la charge Hôpitaux universitaires de Strasbourg en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Mme X soutient que :
- qu'une faute a été commise dans l'organisation du service, révélée par le fait de n'avoir été opérée que le lendemain de son admission aux urgences au centre hospitalier universitaire de Hautepierre ;
- que la perforation du colon transverse résulte d'une maladresse ou d'une erreur technique ;
- que la coelioscopie n'était pas la seule technique d'investigation réalisable ;
- que la surveillance post-opératoire a été défaillante ;
- qu'elle n'a pas été informée des risques potentiels inhérents à l'intervention chirurgicale subie le 26 février 2003, qui ne s'inscrivait pas dans le cadre d'une urgence absolue ;
- qu'aucune information post-dommage ne lui a été donnée, contrairement aux dispositions de l'article L. 1142-4 du code de la santé publique ;
- que la responsabilité sans faute du centre hospitalier peut, en tout état de cause, être retenue eu égard à la gravité des dommages subis, sans rapport avec son état initial, et manifestement anormaux par rapport à l'intervention chirurgicale ;
- que le prétium doloris doit être évalué à 17 500 euros, le préjudice d'agrément et les troubles de la vie quotidienne à 2 500 euros, le préjudice esthétique à 7 500 euros, le préjudice sexuel à 5 500 euros, le préjudice moral à 7 500 euros et le préjudice inhérent à une incapacité permanente partielle de 20 % à 25 000 euros ;
Vu le jugement attaqué ;
Vu le mémoire, enregistré le 30 avril 2008, présenté pour l'office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM) par Me Welsch ; il conclut à titre principal au rejet de la requête, et à titre subsidiaire, si la responsabilité des Hôpitaux universitaires de Strasbourg devait être retenue, à ce que soit accueilli son recours subrogatoire et à la condamnation du centre hospitalier à lui verser une somme de 7 440 euros ;
Il soutient que c'est à bon droit que les premiers juges ont considéré que le taux d'incapacité permanente partielle de Mme X et la durée d'incapacité temporaire de travail subie ne lui ouvraient pas droit à réparation au titre de la solidarité nationale ;
Vu le mémoire en défense, enregistré le 13 mai 2008, présenté pour les Hôpitaux universitaires de Strasbourg, par Me Le Prado ; ils concluent au rejet de la requête ;
Ils soutiennent :
- que la requête d'appel est irrecevable, faute de critiquer les motifs du jugement ;
- qu'aucun retard n'a été relevé, l'intervention ayant été réalisée dès que le diagnostic de torsion ovarienne a été posée ;
- que les experts n'ont pas critiqué la technique employée, le risque de perforation n'étant pas différent par voie de coelioscopie ou de laparotomie ; que Mme X a été victime d'un aléa thérapeutique ;
- que les rapports d'expertise soulignent que Mme X et sa famille ont été tenus informés de la nature de la pathologie et de son traitement, ainsi que de la complication et de son traitement ;
- que si un manquement au devoir d'information concernant le risque de complication digestive a été imputé aux Hôpitaux universitaires de Strasbourg, cette faute n'entraîne pas une obligation d'indemnisation dès lors que l'intervention était nécessaire et qu'il n'existait pas d'alternative thérapeutique moins risquée ; que les rapports d'expertise relèvent que l'intervention chirurgicale était inévitable ;
- que la responsabilité de l'hôpital ne peut plus être recherchée sur le terrain du risque depuis la loi du 4 mars 2002 et qu'en tout état de cause il ne résulte pas des pièces du dossier que la perforation digestive soit à l'origine de séquelles caractérisées et importantes ;
- que subsidiairement une éventuelle indemnisation ne peut correspondre qu'à la perte de chance et doit être limitée à une fraction du préjudice ;
Vu le mémoire en réplique, enregistré le 13 juin 2008, présenté par Mme X ; elle maintient l'ensemble de ses conclusions par les moyens susvisés ;
Vu les pièces du dossier desquelles il ressort que cette requête a été transmise à la caisse primaire d'assurance maladie de Strasbourg, qui n'a pas produit d'observations ;
Vu l'ordonnance en date du 13 février 2009 portant clôture d'instruction de la présente affaire au 2 mars 2009 à 16 heures ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 19 mars 2009 :
- le rapport de M. Brumeaux, président,
- et les conclusions de M. Collier, rapporteur public ;
Sans qu'il soit besoin de statuer sur la recevabilité de la requête :
Considérant qu'il ressort de l'instruction que Mme X, alors âgée de trente ans, a été admise au services des urgences du centre hospitalier de Hautepierre le 25 février 2003 en raison de douleurs ressenties dans le bas ventre et que, transférée le lendemain au service de gynécologie obstétrique du même centre hospitalier, le diagnostic d'un kyste ovarien du côté droit a été posé ; que, le même jour, une exploration chirurgicale a été pratiquée par voie coelioscopique, au cours de laquelle le kyste hémorragique a été évacué ; que, le 28 février 2003, en raison de la fièvre et de douleurs persistantes, pouvant faire suspecter une lésion digestive, une nouvelle intervention chirurgicale a été pratiquée, révélant l'existence d'une péritonite en raison de la perforation du côlon transverse ; qu'une éventration transrectale droite sera diagnostiquée le 30 avril 2004, rendant nécessaire une nouvelle intervention chirurgicale le 15 mai 2004 pour une réfection pariétale ; que l'état de Mme X a été consolidé à la date du 2 janvier 2006 ; que l'intéressée recherche la responsabilité du Hôpitaux universitaires de Strasbourg à raison du préjudice subi ;
Sur la responsabilité pour faute :
Considérant, en premier lieu, qu'aux termes de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique : « I. Hors le cas où leur responsabilité est encourue en raison d'un défaut d'un produit de santé, les professionnels de santé mentionnés à la quatrième partie du présent code, ainsi que tout établissement, service ou organisme dans lesquels sont réalisés des actes individuels de prévention, de diagnostic ou de soins ne sont responsables des conséquences dommageables d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins qu'en cas de faute. (...) ;
Considérant qu'il résulte de l'instruction, et notamment des rapports d'expertise, que Mme X a fait l'objet d'une intervention chirurgicale dès que le diagnostic de torsion de kyste ovarien a été posé, que l'intervention coelioscopique, rendue difficile en raison d'une vaste zone adhérencielle, a été conduite dans les règles de l'art et que, contrairement à ce que soutient la requérante, cette technique d'investigation ne comportait pas plus de risque que le recours à la laparotomie ; qu'ainsi la perforation intestinale occasionnée à cette occasion n'est pas le résultat d'une faute, mais la réalisation d'un aléa thérapeutique ; que, dès lors, Mme X n'est pas fondée à soutenir que la responsabilité des Hôpitaux universitaires de Strasbourg doit être engagée sur le terrain de la faute médicale ;
Considérant en deuxième lieu que, comme il a été dit plus haut, la requérante a été opérée le lendemain de son admission aux urgences, dès que le diagnostic de kyste ovarien a été posé ; que si Mme X soutient avoir été laissée sans surveillance après la première intervention chirurgicale malgré ses plaintes, en raison des souffrances endurées et de son état fébrile, il résulte de l'instruction qu'elle a été examinée à plusieurs reprises par un praticien du centre hospitalier, qu'un traitement lui a été administré et qu'enfin le diagnostic de péritonite par perforation est souvent tardif et qu'elle a été opérée dès qu'il a été établi ; que dès lors, dans ces circonstances, aucun retard dans la décision d'opérer ni aucune insuffisance de surveillance ne sauraient être reprochés au centre hospitalier ; qu'ainsi Mme X n'est pas davantage fondée à rechercher sa responsabilité pour défaut de fonctionnement ou d'organisation du service ;
Considérant, en troisième lieu, qu'aux termes de l'article L. 1111-2 du code de la santé publique, dans sa rédaction alors applicable ; « Toute personne a le droit d'être informée sur son état de santé. Cette information porte sur les différentes investigations, traitements ou actions de prévention qui sont proposés, leur utilité leur urgence éventuelle, leurs conséquences les risques fréquents ou graves normalement prévisibles qu'ils comportent ainsi que sur les autres solutions possibles et sur les conséquences prévisibles en cas de refus. Lorsque, postérieurement à l'exécution des investigations, traitements ou actions de prévention, des risques nouveaux sont identifiés, la personne concernée doit en être informée, sauf en cas d'impossibilité de la retrouver. (...) En cas de litige, il appartient au professionnel ou à l'établissement de santé d'apporter la preuve que l'information a été délivrée à l'intéressé dans les conditions prévues au présent article. Cette preuve peut être apportée par tout moyen. » ;
Considérant qu'il résulte de l'instruction que si Mme X a été tenue informée de la nature de sa pathologie et de son traitement, ainsi que de l'apparition des complications et des interventions nécessaires, il est constant que l'intéressée n'a pas été informée, préalablement à la première opération chirurgicale, de l'existence du risque digestif, qui s'est réalisé, inhérent à la technique de la coelioscopie, risque accru dans le cas de l'espèce par les antécédents de santé de l'intéressée ; que ce défaut d'information a constitué une faute susceptible d'engager la responsabilité du centre hospitalier à l'égard de Mme X ;
Considérant toutefois que le défaut d'intervention, s'il est fautif, n'engage la responsabilité de l'hôpital que dans la mesure où il prive le patient de la faculté de se soustraire au risque lié à l'intervention ; qu'il résulte de l'instruction que l'état de santé de Mme X nécessitait impérativement l'intervention litigieuse eu égard au diagnostic posé, et qu'il n'y avait pas d'alternative thérapeutique moins risquée que l'opération réalisée ; que, par suite, la faute commise par les Hôpitaux universitaires de Strasbourg n'a pas entraîné, dans les circonstances de l'espèce, de perte de chance pour Mme X de se soustraire au risque qui s'est réalisé ;
Considérant, en dernier lieu, qu'aux termes de l'article L. 1142-4 du code de la santé publique : « Toute personne victime ou s'estimant victime d'un dommage imputable à une activité de prévention, de diagnostic ou de soins ou ses ayants droit, si la personne est décédée, ou, le cas échéant, son représentant légal, doit être informe par le professionnel, l'établissement de santé, les services de santé ou l'organisme concerné sur les circonstances et les causes de ce dommage. Cette information lui est délivrée au plus tard dans les quinze jours suivant la découverte du dommage ou sa demande expresse, lors d'un entretien au cours duquel la personne peut se faire assister par un médecin ou une autre personne de son choix. » ;
Considérant qu'il résulte de l'instruction que Mme X et son conjoint ont été tenus informés le 28 février 2003 de la nécessité de la seconde intervention et du risque de mise en place d'une stomie et, après celle-ci, des constatations opératoires et du déroulement de l'intervention ; que, par suite, Mme X n'est pas fondée à soutenir que les Hôpitaux universitaires de Strasbourg auraient méconnu l'obligation d'information imposée par les dispositions précitées en cas de survenance d'un accident médical ;
Sur la responsabilité sans faute :
Considérant qu'aux termes des dispositions de l'article L. 1142-1 II, applicables au présent litige à l'exclusion d'autres fondements de responsabilité sans faute : « Lorsque la responsabilité d'un professionnel, d'un établissement, service ou organisme mentionné au I ou d'un producteur de produits n'est pas engagée, un accident médical, une affection iatrogène ou une infection nosocomiale ouvre droit à la réparation des préjudices du patient au titre de la solidarité nationale, lorsqu'ils sont directement imputables à des actes de prévention, de diagnostic ou de soins et qu'ils ont eu pour le patient des conséquences anormales au regard de son état de santé comme de l'évolution prévisible de celui-ci et présentent un caractère de gravité, fixé par décret, apprécié au regard de la perte de capacités fonctionnelles et des conséquences sur la vie privée et professionnelle mesurées en tenant notamment compte du taux d'incapacité permanente ou de la durée de l'incapacité temporaire de travail. Ouvre droit à réparation des préjudices au titre de la solidarité nationale un taux d'incapacité permanente supérieur à un pourcentage d'un barème spécifique fixé par décret ; ce pourcentage, au plus égal à 25 %, est déterminé par ledit décret. » ; qu'en vertu de l'article L. 1142-22 du même code , l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales, établissement public à caractère administratif de l'Etat, est chargé de l'indemnisation au titre de la solidarité nationale dans les conditions définies au II de l'article L. 1142-1 ;
Considérant qu'il résulte de ces dispositions qui prévoient un dispositif spécifique d'indemnisation à la charge de l'ONIAM, que Mme X n'est pas fondée à rechercher la responsabilité sans faute du centre hospitalier à raison des préjudices subis ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que Mme X n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande tendant à la condamnation des Hôpitaux universitaires de Strasbourg à réparer le préjudice subi du fait de l'intervention chirurgicale en date du 26 février 2003 ; que, par voie de conséquence, ses conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent être que rejetées ;
D E C I D E :
Article 1er : La requête de Mme X est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme Fatima X, à la caisse primaire d'assurance maladie de Strasbourg, aux Hôpitaux universitaires de Strasbourg et à l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux.