REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu le recours du MINISTRE DE L'ECONOMIE, DES FINANCES ET DE L'INDUSTRIE, enregistré le 29 janvier 2003 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat ; le MINISTRE DE L'ECONOMIE, DES FINANCES ET DE L'INDUSTRIE demande au Conseil d'Etat d'annuler l'arrêt du 28 novembre 2002 par lequel la cour administrative d'appel de Nancy a rejeté son appel formé à l'encontre du jugement du 8 juin 1998 du tribunal administratif de Strasbourg accordant à M. Paul X la décharge partielle des cotisations supplémentaires à l'impôt sur le revenu auxquelles il a été assujetti au titre des années 1985, 1986 et 1987 ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code pénal ;
Vu le code général des impôts ;
Vu le livre des procédures fiscales ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Stéphane Verclytte, Maître des Requêtes,
- les observations de la SCP Vier, Barthélemy, avocat de M. X,
- les conclusions de M. François Séners, Commissaire du gouvernement ;
Considérant qu'aux termes de l'article 378 du code pénal, alors en vigueur : Les médecins, chirurgiens et autres officiers de santé, ainsi que les pharmaciens et toutes personnes dépositaires, par état ou profession ou par fonctions temporaires ou permanentes, des secrets qu'on leur confie, qui, hors les cas où la loi les oblige ou les autorise à se porter dénonciateurs, auront révélé ces secrets, seront punis d'un emprisonnement d'un mois à six mois et d'une amende ; qu'aux termes de l'article 1649 quater G du code général des impôts : Les documents tenus par les adhérents des associations définies à l'article 1649 quater F en application de l'article 99 ou 101 bis du présent code doivent être établis conformément à l'un des plans comptables professionnels agréés par le ministre de l'économie et des finances./ Les documents comptables mentionnés au premier alinéa comportent, quelle que soit la profession exercée par l'adhérent, l'identité du client ainsi que le montant, la date et la forme du versement des honoraires ; qu'aux termes de l'article L. 86 A du livre des procédures fiscales, dans sa rédaction applicable en l'espèce : La nature des prestations fournies par l'adhérent d'une association de gestion agréée ne peut faire l'objet de demandes de renseignements de la part de l'administration des impôts lorsque cet adhérent est membre d'une profession non commerciale soumis au secret professionnel en application de l'article 378 du code pénal ; qu'aux termes de l'article L. 59 A du livre des procédures fiscales : La commission départementale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires intervient : 1°) lorsque le différend porte (...) sur le montant (...) du bénéfice non commercial (...) ; qu'aux termes de l'article L.136 du même livre : la commission départementale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires (...) peut recevoir des agents des impôts communication des renseignements utiles pour lui permettre de se prononcer sur les désaccords qui lui sont soumis (...) ;
Considérant qu'il ne saurait être dérogé au secret médical en dehors des cas prévus par la loi ou sur le fondement de dispositions réglementaires qui sont la conséquence nécessaire d'une loi ; que les dispositions précitées de l'article 1649 quater G, en imposant que les documents comptables tenus par les adhérents des associations de gestion agréée mentionnent, quelle que soit la profession exercée par l'adhérent, l'identité du client, ont entendu limiter le secret professionnel dont pouvaient notamment se prévaloir les professions médicales, afin de faciliter le contrôle de leurs revenus dans le cadre de la procédure d'imposition ; qu'il résulte nécessairement de ces dispositions qu'ont accès à ces documents non seulement les agents vérificateurs mais aussi toutes les personnes auxquelles les dispositions légales donnent mission de concourir à la procédure d'imposition ; qu'il en va notamment ainsi des membres de la commission départementale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires, qui sont appelés en vertu des dispositions précitées de l'article L. 59 A du livre des procédures fiscales à se prononcer sur les désaccords subsistant entre le contribuable et l'administration, notamment sur le montant du bénéfice réalisé ; que, par suite, la cour administrative d'appel a commis une erreur de droit en jugeant que les dispositions de l'article 1649 quater G du code général des impôts, si elles permettaient au vérificateur de prendre connaissance des documents comptables comportant l'identité des patients de M. X, n'avaient en revanche ni pour objet ni pour effet de permettre la communication de ces mêmes documents aux membres de la commission départementale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires ; que le ministre est fondé à demander pour ce motif, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de son recours, l'annulation de l'arrêt attaqué, en tant qu'il confirme la décharge des impositions en litige accordée aux époux X par le tribunal administratif de Strasbourg ;
Considérant qu'il y a lieu, en application de l'article L. 821-2 du code de justice administrative, de régler l'affaire au fond sur ce point ;
Considérant, en premier lieu, que contrairement à ce que soutient le ministre en appel, s'il n'appartient qu'au juge répressif de sanctionner les infractions aux dispositions qui figuraient en l'espèce à l'article 378 du code pénal, il incombe au juge de l'impôt, lorsqu'un contribuable astreint au secret professionnel conteste, devant lui, la régularité de la procédure d'imposition suivie à son égard, au motif que celle-ci aurait porté atteinte à ce secret, d'examiner le bien fondé d'un tel moyen ;
Considérant, en second lieu, qu'il résulte des dispositions précitées des articles 1649 quater G du code général des impôts et L. 86 A du livre des procédures fiscales que la circonstance que l'administration fiscale accède, dans le cadre de son droit de communication, à un document, comptable ou non, fournissant des renseignements sur le paiement des actes effectués par un médecin sur des patients nommément désignés n'est pas de nature à entacher d'irrégularité la vérification en vue de laquelle le droit de communication a été exercé, sous réserve toutefois que ce document ne comporte aucune indication, même sommaire ou codée, concernant la nature des prestations médicales fournies aux patients ;
Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que le vérificateur s'est notamment fondé, pour établir les impositions litigieuses, sur des feuilles de soins et des relevés que lui avait communiqués la caisse primaire d'assurance maladie de Sélestat ; que ces documents ne contenaient pas seulement des renseignements sur le paiement des actes effectués par M. X et le nom des patients mais comportaient aussi la cotation des actes médicaux effectués pour chacun des patients désignés par leur nom ; que, par suite, le vérificateur a méconnu les dispositions précitées du code général des impôts et du livre des procédures fiscales, qui ne l'autorisaient pas à se faire communiquer des informations sur la nature des prestations médicales fournies aux patients ;
Considérant que, par suite, le MINISTRE DE L'ECONOMIE, DES FINANCES ET DE L'INDUSTRIE n'est pas fondé à se plaindre de ce que, par le jugement du 8 juin 1998, le tribunal administratif de Strasbourg a accordé à M. et Mme X la décharge des impositions en litige ;
Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 500 euros que M. X demande en application de ces dispositions ;
Décide :
Article 1er : L'arrêt du 28 novembre 2002 de la cour administrative d'appel de Nancy est annulé en tant qu'il rejette l'appel formé par le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie contre le jugement du 8 juin 1998 du tribunal administratif de Strasbourg.
Article 2 : Les conclusions présentées par le ministre de l'économie, des finances et des l'industrie devant la cour administrative d'appel de Nancy sont rejetées.
Article 3 : L'Etat versera à M. X la somme de 3 500 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : La présente décision sera notifiée au MINISTRE D'ETAT, MINISTRE DE L'ECONOMIE, DES FINANCES ET DE L'INDUSTRIE et à M. Paul X.