En l'espèce, M. Y, ouvrier d'état à la direction des constructions navales de Lorient, a été reconnu atteint d'une affection professionnelle liée à l'inhalation des poussières d'amiante due à la faute inexcusable de son employeur. Il décède le 12 juillet 2008. Le service d'accompagnement professionnel et des pensions civiles du ministère de la défense a alloué à la fille de M. Y ainsi qu'à son petit-fils des sommes en réparation de leur préjudice moral mais a rejeté la demande d'indemnisation au titre du préjudice de sa petite fille, née après le décès de son grand-père. Mme X, fille de la victime, a donc formé un recours auprès d'une juridiction de sécurité sociale. Le jugement rendu le 29 mai 2009 retient que "le préjudice tenant au fait que l'enfant est privée de son grand-père et des liens effectifs qu'elle aurait pu tisser avec lui est nécessairement relié par un lien de causalité au décès, lui même conséquence de la faute inexcusable de l'employeur".
La Cour de cassation casse ce jugement en considérant a contrario que "il n'existait pas de lien de causalité entre le décès de M. Y, survenu avant la naissance de l'enfant, et le préjudice allegué".
Formation de section.
SÉCURITÉ SOCIALE
4 novembre 2010.
Pourvoi n° 09-68.903.
Arrêt n° 1989.
Cassation sans renvoi.
Statuant sur le pourvoi formé par :
1°/ l'agent judiciaire du Trésor, domicilié [...],
2°/ le ministre de la défense, Direction des personnels civils, Bureau AT, domicilié [...], contre le jugement rendu le 29 mai 2009 par le tribunal des affaires de sécurité sociale de Rennes, dans le litige les opposant à Mme Karine X..., domiciliée [...], prise en qualité de représentante légale de sa fille mineure Maeve défenderesse à la cassation ;
Les demandeurs invoquent, à l'appui de leur pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt ;
Moyen produit par la SCP Ancel et Couturier-Heller, avocat de aux Conseils, pour l'Agent judiciaire du trésor et le ministre de la défense
Le moyen reproche au jugement attaqué d’avoir déclaré recevable et fondé le recours de Mme Karine X... et d’avoir condamné le Ministère de la Défense à lui payer en sa qualité de représentante légale de sa fille Maeve la somme de 1.000 euros en réparation du préjudice subi par l’enfant du fait du décès de Monsieur Marcel Y... ;
AUX MOTIFS QUE pour ouvrir droit à réparation, un préjudice doit être certain et doit être lié au fait générateur de responsabilité, en l’espèce, la faute de l’employeur, par une relation de cause à effet ;
Que Madame X... fait valoir en premier lieu que sa fille, née le 31 octobre 2008, a vécu l’anxiété et l’angoisse qu’elle-même ressentait pendant sa grossesse du fait de la maladie de son père ; que de nombreux psychiatres considèrent qu’une épreuve psychologique vécue pendant la grossesse a des conséquences sur l’enfant à naître et qu’il peut y avoir un lien entre la vie foetale et le comportement du bébé ;
Que cependant le ressenti du foetus, d’une part, reste dans le domaine de l’hypothétique et ne peut en soi être considéré comme constitutif d’un préjudice moral certain, d’autre part, n’a pas eu, en l’espèce, à ce jour, de conséquences avérées sur l’enfant (troubles affectifs, psychologiques) ;
Qu’en conséquence, il n’y a pas lieu à indemnisation du premier chef de préjudice allégué ;
Que s’agissant du préjudice tenant au fait que l’enfant est privée de son grand-père et des liens affectifs qu’elle aurait pu tisser avec lui, il est nécessairement relié par un lien de causalité au décès, lui-même conséquence de la faute inexcusable de l’employeur ;
Que cependant, il doit être tenu compte de l’aléa de la vie humaine qui fait que Monsieur Y..., s’il n’avait pas contracté de maladie professionnelle, aurait pu décéder pour tout autre cause peu après le 12 juillet 2008 et que le préjudice de Maeve consiste donc en une perte de chance ; qu’eu égard à la proximité dans le temps entre la date du décès de Monsieur Y... (le 12 juillet 2008) et celle de la naissance de Maeve (le 31 octobre 2008), il est admis que l’enfant avait une forte probabilité de connaître son grand-père si ce dernier n’avait pas contracté la maladie professionnelle dont il est décédé ;
Que dans l’appréciation de ce préjudice, il doit être également tenu compte du fait qu’il n’est pas de la même nature que le préjudice douloureux subi par le petit-fils qui a connu son grand-père ;
Que pour ces raisons, Madame X... ne peut prétendre pour sa fille à une somme équivalente à celle allouée à son fils Tanguy ;
Que le Tribunal considère qu’une somme de 1.000 euros est de nature à compenser le préjudice en cause ;
ALORS QUE en indemnisant le préjudice moral subi par une enfant mineure, née postérieurement au décès de son grand-père, victime d’une maladie professionnelle imputable à la faute inexcusable de son employeur, motifs pris de ce qu’elle avait été privée de son grand-père et des liens affectifs qu’elle aurait pu tisser avec lui, lorsqu’il n’existait aucun lien de causalité entre le décès de la victime d’une affection liée à l’amiante et le préjudice prétendument souffert par sa petite-fille née après ce décès, le Tribunal des affaires de sécurité sociale a violé l’
article L. 452-3, alinéa 2, du Code de la sécurité sociale , ensemble l’ article 1382 du Code civil ;
Vu la communication faite au procureur général ;
LA COUR, composée conformément à l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire , en l'audience publique du 6 octobre 2010, où étaient présents : M. Loriferne, président, Mme Renault-Malignac, conseiller référendaire rapporteur, M. Mazars, conseiller doyen, MM. Bizot, Laurans, Mme Aldigé, MM. Breillat, Barthélemy, Héderer, Feydeau, Kriegk, Prétot, Grellier, Cadiot, Buisson, conseillers, M. Grignon Dumoulin, Mmes Coutou, Martinel, Bouvier, M. Chaumont, Mmes Fouchard-Tessier, Fontaine, M. Adida-Canac, conseillers référendaires, M. Lautru, avocat général, Mme Genevey, greffier de chambre ;
Sur le moyen unique :
Vu l’ article L. 452-3 du code de la sécurité sociale , ensemble l’ article 1382 du code civil ;
Attendu, selon le jugement attaqué, rendu en dernier ressort, que Marcel Y..., ouvrier d’Etat à la direction des constructions navales de Lorient, a été reconnu atteint d’une affection professionnelle liée à l’inhalation des poussières d’amiante due à la faute inexcusable de l’employeur ; qu’il est décédé le 12 juillet 2008 ; que le service d’accompagnement professionnel et des pensions civiles du ministère de la défense a alloué à Mme X..., fille de la victime, certaines sommes en réparation de son préjudice moral personnel et de celui de son fils mineur, Tanguy, mais a rejeté sa demande d’indemnisation au titre du préjudice de sa fille, Maeve, née le 31 octobre 2008 ; que Mme X... a formé un recours contre cette décision auprès d’une juridiction de sécurité sociale ;
Attendu que pour accueillir ce recours et condamner le ministère de la défense à indemniser le préjudice moral subi par l’enfant Maeve, le jugement retient que le préjudice tenant au fait que l’enfant est privée de son grand-père et des liens affectifs qu’elle aurait pu tisser avec lui est nécessairement relié par un lien de causalité au décès, lui-même conséquence de la faute inexcusable de l’employeur ;
Qu’en statuant ainsi, alors qu’il n’existait pas de lien de causalité entre le décès de Marcel Y..., survenu avant la naissance de l’enfant Maeve, et le préjudice allégué, le tribunal a violé les textes susvisés ;
Et vu l’ article 627 du code de procédure civile ;
PAR CES MOTIFS :
CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, le jugement rendu le 29 mai 2009, entre les parties, par le tribunal des affaires de sécurité sociale de Rennes ;
DIT n’y avoir lieu à renvoi ;
Rejette la demande formée par Mme X... au nom de l’enfant Maeve ;
Condamne Mme X... aux dépens ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite du jugement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du quatre novembre deux mille dix.
Sur le rapport de Mme Renault-Malignac, conseiller référendaire, les observations de la SCP Ancel et Couturier-Heller, avocat de l'agent judiciaire du Trésor et du ministre de la défense, l’avis de M. Lautru, avocat général, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;
M. LORIFERNE, président.