Le Conseil constitutionnel déclare contraire à la Constitution les dispositions, dans leur rédaction antérieure à la loi du 5 juillet 2011 réformant les soins psychiatriques, relatives à l’hospitalisation d’office, en ce qu’elles subordonnaient à l'avis favorable et conforme de deux médecins le pouvoir du juge des libertés et de la détention d'ordonner la sortie immédiate de la personne ainsi hospitalisée. L'abrogation de l'article litigieux (L. 3213-8 du code de la santé publique, dans sa rédaction antérieure à la loi du 5 juillet 2011), est dès lors applicable à toutes les instances non définitivement jugées à la date de la publication de la présente décision (c’est-à-dire à compter du 22 octobre 2011).
Le Conseil constitutionnel a été saisi le 26 juillet 2011 par la Cour de cassation (première chambre civile, arrêt n° 937 du 26 juillet 2011), dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, d'une question prioritaire de constitutionnalité posée par M. Jean-Louis C., relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit de l'article L. 3213-8 du code de la santé publique.
Le Conseil constitutionnel,
Vu la Constitution ;
Vu l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;
Vu le code de la santé publique ;
Vu le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Vu les observations pour l'association Groupe d'information asiles produites par Me Corinne Vaillant, avocate au barreau de Paris, enregistrées le 4 août 2011 ;
Vu les observations produites par le Premier ministre, enregistrées le 18 août 2011 ;
Vu les pièces produites et jointes au dossier ;
Me Raphaël Mayet, avocat au barreau de Versailles, ainsi que Me Pierre Ricard, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, pour le requérant, Me Vaillant pour l'association intervenante et M. Xavier Pottier, désigné par le Premier ministre, ayant été entendus à l'audience publique du 12 octobre 2011 ;
Le rapporteur ayant été entendu ;
1. Considérant qu'aux termes de l'article L. 3213-8 du code de la santé publique, dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2011-803 du 5 juillet 2011 relative aux droits et à la protection des personnes faisant l'objet de soins psychiatriques et aux modalités de leur prise en charge : « Il ne peut être mis fin aux hospitalisations d'office intervenues en application de l'article L. 3213-7 que sur les décisions conformes de deux psychiatres n'appartenant pas à l'établissement et choisis par le représentant de l'Etat dans le département sur une liste établie par le procureur de la République, après avis du directeur général de l'agence régionale de santé de la région dans laquelle est situé l'établissement.
« Ces deux décisions résultant de deux examens séparés et concordants doivent établir que l'intéressé n'est plus dangereux ni pour lui-même ni pour autrui » ;
2. Considérant que, selon le requérant, en subordonnant la levée d'une mesure d'hospitalisation d'office à la décision conforme de deux médecins, ces dispositions méconnaissent l'article 66 de la Constitution ;
3. Considérant que l'article 66 de la Constitution dispose : « Nul ne peut être arbitrairement détenu. ― L'autorité judiciaire, gardienne de la liberté individuelle, assure le respect de ce principe dans les conditions prévues par la loi » ; que son article 64 garantit l'indépendance de l'autorité judiciaire ;
4. Considérant que les dispositions contestées sont applicables à toute personne ayant fait l'objet d'une mesure d'hospitalisation d'office prononcée en application de l'article L. 3213-7 du même code ; qu'en vertu de cet article, dans sa rédaction antérieure à la loi du 5 juillet 2011 précitée, « lorsque les autorités judiciaires estiment que l'état mental d'une personne qui a bénéficié d'un classement sans suite motivé par les dispositions de l'article 122-1 du code pénal, d'une décision d'irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental ou d'un jugement ou arrêt de déclaration d'irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental nécessite des soins et compromet la sûreté des personnes ou porte atteinte, de façon grave, à l'ordre public, elles avisent immédiatement le représentant de l'Etat dans le département, qui prend sans délai toute mesure utile » ;
5. Considérant qu'il résulte des dispositions contestées, telles qu'interprétées par la Cour de cassation, que le juge des libertés et de la détention ne peut mettre fin à l'hospitalisation d'office, ordonnée en application de l'article L. 3213-7 du code de la santé publique, que sur les décisions conformes de deux psychiatres résultant d'examens séparés établissant de façon concordante que l'intéressé n'est plus dangereux ni pour lui-même ni pour autrui ;
6. Considérant que en raison de la spécificité de la situation d'une personne ayant commis des infractions pénales en état de trouble mental, le législateur pouvait assortir de garanties particulières les conditions dans lesquelles la mesure d'hospitalisation d'office dont elle fait l'objet peut être levée ; que, toutefois, en subordonnant à l'avis favorable de deux médecins le pouvoir du juge des libertés et de la détention d'ordonner la sortie immédiate de la personne ainsi hospitalisée, il a méconnu les exigences des articles 64 et 66 de la Constitution ; que, par suite, l'article L. 3213-8 du code de la santé publique dans sa rédaction antérieure à la loi du 5 juillet 2011 précitée doit être déclaré contraire à la Constitution ;
7. Considérant qu'aux termes du deuxième alinéa de l'article 62 de la Constitution : « Une disposition déclarée inconstitutionnelle sur le fondement de l'article 61-1 est abrogée à compter de la publication de la décision du Conseil constitutionnel ou d'une date ultérieure fixée par cette décision. Le Conseil constitutionnel détermine les conditions et limites dans lesquelles les effets que la disposition a produits sont susceptibles d'être remis en cause » ; que, si, en principe, la déclaration d'inconstitutionnalité doit bénéficier à l'auteur de la question prioritaire de constitutionnalité et la disposition déclarée contraire à la Constitution ne peut être appliquée dans les instances en cours à la date de la publication de la décision du Conseil constitutionnel, les dispositions de l'article 62 de la Constitution réservent à ce dernier le pouvoir tant de fixer la date de l'abrogation et reporter dans le temps ses effets que de prévoir la remise en cause des effets que la disposition a produits avant l'intervention de cette déclaration ; qu'en l'espèce, il y a lieu de déclarer que l'abrogation de l'article L. 3213-8, dans sa rédaction antérieure à la loi du 5 juillet 2011 précitée, est applicable à toutes les instances non définitivement jugées à la date de la publication de la présente décision,
Décide :
Article 1
L'article L. 3213-8 du code de la santé publique, dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2011-803 du 5 juillet 2011 relative aux droits et à la protection des personnes faisant l'objet de soins psychiatriques et aux modalités de leur prise en charge, est contraire à la Constitution.
Article 2
La déclaration d'inconstitutionnalité de l'article 1er prend effet à compter de la publication de la présente décision dans les conditions fixées au considérant 7.
Article 3
La présente décision sera publiée au Journal officiel de la République française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.
Délibéré par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 20 octobre 2011, où siégeaient : M. Jacques BARROT, exerçant les fonctions de président, Mme Claire BAZY MALAURIE, MM. Guy CANIVET, Renaud DENOIX de SAINT MARC, Mme Jacqueline de GUILLENCHMIDT, MM. Hubert HAENEL et Pierre STEINMETZ.
Source : JORF n°0246 du 22 octobre 2011 page 17968, texte n° 85