Cet arrêt constitue un important revirement de jurisprudence favorable aux victimes en ce qu'il reconnaît la présomption de responsabilité pour faute des professionnels et des établissements publics de santé du fait d'une infection nosocomiale d'origine endogène alors qu'il limitait jusqu'à présent cette faute à leur origine exogène. Les considérant sont très explicites : "Considérant que (…) les dispositions du I de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique font peser sur l'établissement de santé la responsabilité des infections nosocomiales, qu'elles soient exogènes ou endogènes, à moins que la preuve d'une cause étrangère soit rapportée ; considérant qu'il résulte de l'expertise que l'infection des méninges a été provoquée par l'intervention et constitue un risque connu des interventions de la nature de celle pratiquée en l'espèce ; que si l'expert a relevé qu'il était très difficile de la prévenir, il ne ressort pas de l'instruction qu'elle présente le caractère d'imprévisibilité et d'irresistibilité qui permettrait de regarder comme apportée la preuve d'une cause étrangère".
En l'espèce, une patiente âgée de 19 ans avait, à la suite d'une intervention chirurgicale visant à retirer une tumeur bénigne dans le conduit auditif de son oreille gauche, contracté une méningite foudroyante avant de décéder en quelques jours.
Le Conseil d'Etat rappelle enfin que le fait que la famille du patient décédé se désiste de son recours indemnitaire n'empêche pas une CPAM, subrogée dans les droits de l'assuré concerné, de demander le remboursement des sommes qu'elle a versées auprès de la juridiction compétente.
Conseil d'État
N° 328500
Publié au recueil Lebon
5ème et 4ème sous-sections réunies
M. Philippe Martin, président
Mme Domitille Duval-Arnould, rapporteur
Mme Sophie-Justine Lieber, rapporteur public
LE PRADO ; SCP DELVOLVE, DELVOLVE, avocats
Lecture du lundi 10 octobre 2011
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
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Vu le pourvoi sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 2 juin et 2 septembre 2009 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour le CENTRE HOSPITALIER UNIVERSITAIRE d'ANGERS, dont le siège est 4 rue Larrey à Angers (49033 Cedex 01) ; le CENTRE HOSPITALIER UNIVERSITAIRE D'ANGERS demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler l'arrêt du 30 décembre 2008 par lequel la cour administrative d'appel de Nantes a, d'une part, annulé l'ordonnance du 5 février 2008 du président du tribunal administratif de Nantes donnant acte du désistement de la demande de Mme M et des consorts et, d'autre part, condamné le centre hospitalier à verser à la caisse une somme de 2 739,78 euros assortie des intérêts et une somme de 910 euros en application des dispositions de l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale ;
2°) réglant l'affaire au fond, de rejeter l'appel de la caisse primaire d'assurance maladie de la Sarthe ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code de la santé publique ;
Vu le code de la sécurité sociale ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Domitille Duval-Arnould, chargée des fonctions de Maître des Requêtes,
- les observations de Me Le Prado, avocat du CENTRE HOSPITALIER UNIVERSITAIRE D'ANGERS et de la SCP Delvolvé, Delvolvé, avocat de la caisse primaire d'assurance maladie de la Sarthe,
- les conclusions de Mme Sophie-Justine Lieber, rapporteur public ;
La parole ayant été à nouveau donnée à Me Le Prado, avocat du CENTRE HOSPITALIER UNIVERSITAIRE D'ANGERS et à la SCP Delvolvé, Delvolvé, avocat de la caisse primaire d'assurance maladie de la Sarthe ;
Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, le 26 septembre 2001, Vanessa , âgée de 19 ans et présentant un neurinome de l'acoustique gauche, a été opérée au CENTRE HOSPITALIER UNIVERSITAIRE (CHU) D'ANGERS ; que, dans la nuit du 3 au 4 octobre 2001, elle a été atteinte d'une méningite à pneumocoques dont elle est décédée le 6 octobre ; que, saisi le 8 mars 2004 par Mme Chevalier et les consorts d'un recours indemnitaire dirigé contre le CENTRE HOSPITALIER UNIVERSITAIRE D'ANGERS, le tribunal administratif de Nantes a appelé en la cause la caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) de la Sarthe qui a demandé le remboursement de ses prestations par un mémoire enregistré le 18 mars 2004 ; qu'ayant été indemnisés par l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales, les requérants se sont désistés de leur demande le 17 décembre 2007 ; que, par ordonnance du 5 février 2008, le président du tribunal administratif leur a donné acte de leur désistement sans examiner les conclusions de la caisse ; que le CENTRE HOSPITALIER UNIVERSITAIRE D'ANGERS se pourvoit en cassation contre l'arrêt du 30 décembre 2008 par lequel la cour administrative d'appel de Nantes, statuant sur l'appel de la caisse primaire d'assurance maladie de la Sarthe, a annulé l'ordonnance comme étant entachée d'irrégularité en l'absence d'appel en la cause de la caisse, puis, évoquant la demande de première instance, jugé que la maladie et le décès de Vanessa engageaient la responsabilité du centre hospitalier et fixé le montant des indemnités dues à la caisse ;
Sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens du pourvoi ;
Considérant qu'en annulant l'ordonnance qui lui était déférée au motif que le tribunal administratif n'avait pas mis en cause la caisse primaire d'assurance maladie de la Sarthe, alors que cette caisse avait été mise en cause et avait d'ailleurs produit un mémoire, la cour administrative d'appel de Nantes a commis une erreur de fait qui justifie la cassation de son arrêt ;
Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de régler l'affaire au fond par application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative ;
Considérant qu'en donnant acte du désistement de Mme et des consorts et en mettant ainsi un terme au litige sans examiner, fût-ce pour les réserver, les conclusions présentées par la caisse primaire d'assurance maladie de la Sarthe dans son mémoire enregistré le 18 mars 2004 au greffe du tribunal, le président du tribunal administratif a entaché son ordonnance d'irrégularité ; que la caisse est par suite fondée à en demander l'annulation ;
Considérant qu'il y a lieu d'évoquer et de statuer immédiatement sur les conclusions présentées par Mme et les consorts et par la caisse primaire d'assurance maladie de la Sarthe devant le tribunal administratif de Nantes ;
Sur la requête de Mme et des consorts :
Considérant que, par un acte enregistré le 17 décembre 2007 au greffe du tribunal administratif de Nantes, Mme et les consorts ont déclaré se désister ; que ce désistement est pur et simple ; que rien ne s'oppose à ce qu'il en soit donné acte ;
Sur les conclusions de la caisse primaire d'assurance maladie de la Sarthe :
Considérant qu'aux termes de l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale : Lorsque, sans entrer dans les cas régis par les dispositions législatives applicables aux accidents du travail, la lésion dont l'assuré social ou son ayant droit est atteint est imputable à un tiers, l'assuré ou ses ayants droit conserve contre l'auteur de l'accident le droit de demander la réparation du préjudice causé conformément aux règles du droit commun, dans la mesure où ce préjudice n'est pas réparé par application du présent livre. / Les caisses de sécurité sociale sont tenues de servir à l'assuré ou à ses ayants droit les prestations prévues par le présent livre, sauf recours de leur part contre l'auteur responsable de l'accident (...) ; que ces dispositions ne font pas dépendre de l'exercice d'un recours indemnitaire par la victime ou ses ayants droit la possibilité pour la caisse de sécurité sociale, subrogée dans les droits de son assuré à hauteur des prestations qu'elle lui a versées, d'en poursuivre le remboursement par le responsable de l'accident ; que, par suite, le désistement de Mme et des consorts est sans incidence sur le sort des conclusions de la caisse primaire d'assurance maladie de la Sarthe ;
Considérant qu'aux termes du I de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique : Hors le cas où leur responsabilité est encourue en raison d'un défaut d'un produit de santé, les professionnels de santé mentionnés à la quatrième partie du présent code, ainsi que tout établissement, service ou organisme dans lesquels sont réalisés des actes individuels de prévention, de diagnostic ou de soins ne sont responsables des conséquences dommageables d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins qu'en cas de faute. / Les établissements, services et organismes susmentionnés sont responsables des dommages résultant d'infections nosocomiales, sauf s'ils rapportent la preuve d'une cause étrangère ; qu'en vertu de l'article 101 de la loi n° 2002-303 du 4 mars 2002, ces dispositions sont applicables aux infections nosocomiales consécutives à des soins réalisés à compter du 5 septembre 2001 ;
Considérant qu'il résulte de l'instruction et, notamment, du rapport d'expertise, qu'à la suite de l'intervention pratiquée le 26 septembre 2001 au CENTRE HOSPITALIER UNIVERSITAIRE D'ANGERS, consistant dans une exérèse du neurinome de l'acoustique gauche en translabyrinthique, Mlle Vanessa , dont l'évolution post-opératoire immédiate avait été satisfaisante, a éprouvé, dans la nuit du 3 au 4 octobre, des céphalées violentes, des myalgies diffuses, des dorsalgies et des rachialgies ; que la ponction lombaire alors pratiquée a révélé une méningite à pneumocoques dont elle est décédée le 6 octobre ;
Considérant que si le CENTRE HOSPITALIER UNIVERSITAIRE D'ANGERS soutient que Mlle était porteuse saine du pneumocoque lors de son admission à l'hôpital, cette circonstance, à la supposer établie, n'est pas de nature à faire regarder l'infection comme ne présentant pas un caractère nosocomial, dès lors qu'il ressort de l'expertise que c'est à l'occasion de l'intervention chirurgicale que le germe a pénétré dans les méninges et est devenu pathogène ; que les dispositions précitées du I de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique font peser sur l'établissement de santé la responsabilité des infections nosocomiales, qu'elles soient exogènes ou endogènes, à moins que la preuve d'une cause étrangère ne soit apportée ;
Considérant qu'il résulte de l'expertise que l'infection des méninges a été provoquée par l'intervention et constitue un risque connu des interventions de la nature de celle pratiquée en l'espèce ; que si l'expert a relevé qu'il était très difficile de la prévenir, il ne ressort pas de l'instruction qu'elle présente le caractère d'imprévisibilité et d'irrésistibilité qui permettrait de regarder comme apportée la preuve d'une cause étrangère ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède qu'il y a lieu de condamner le CENTRE HOSPITALIER UNIVERSITAIRE D'ANGERS à verser à la caisse primaire d'assurance maladie de la Sarthe, subrogée dans les droits de l'assurée, une somme de 2 739,78 euros représentant le montant des prestations fournies au titre de l'assurance maladie ; que la caisse a en outre droit à l'indemnité forfaitaire prévue par les dispositions du neuvième alinéa de l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale, pour le montant de 980 euros auquel elle est fixée, à la date de la présente décision, par l'arrêté du 10 novembre 2010 ;
Sur les intérêts et la capitalisation des intérêts :
Considérant que la caisse primaire d'assurance maladie de la Sarthe a droit aux intérêts de la somme de 2 739,78 euros à compter du 18 mars 2004, date d'enregistrement de sa demande au greffe du tribunal administratif de Nantes ; qu'elle a demandé pour la première fois la capitalisation des intérêts le 29 avril 2008 ; qu'à cette date, les intérêts étaient dus pour au moins une année entière sur la somme de 2 739,78 euros ; qu'il y a lieu, dès lors, de faire droit à la demande de capitalisation tant à cette date qu'à chaque échéance annuelle ultérieure ;
Sur l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge du CENTRE HOSPITALIER UNIVERSITAIRE D'ANGERS la somme de 3 000 euros au titre des frais exposés par la caisse primaire d'assurance maladie de la Sarthe et non compris dans les dépens ;
D E C I D E :
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Article 1er : L'arrêt du 30 décembre 2008 de la cour administrative d'appel de Nantes est annulé.
Article 2 : L'ordonnance du 5 février 2008 du président du tribunal administratif de Nantes est annulée.
Article 3 : Il est donné acte du désistement de Mme et des consorts .
Article 4 : Le CENTRE HOSPITALIER UNIVERSITAIRE d'ANGERS versera à la caisse primaire d'assurance maladie de la Sarthe une somme de 2 739,78 euros portant intérêts à compter du 18 mars 2004, les intérêts échus à la date du 29 avril 2008 puis à chaque échéance annuelle à compter de cette date étant capitalisés à chacune de ces dates pour produire eux-mêmes intérêts, et une somme de 980 euros en application des dispositions du neuvième alinéa de l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale.
Article 5 : Le CENTRE HOSPITALIER UNIVERSITAIRE D'ANGERS versera à la caisse primaire d'assurance maladie de la Sarthe la somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 6 : La présente décision sera notifiée à la caisse primaire d'assurance maladie de la Sarthe, au CENTRE HOSPITALIER UNIVERSITAIRE D'ANGERS, à Mme Mauricette , à Mlle Anita et à MM. Didier et Stéphane .
Copie en sera adressée pour information au ministre du travail, de l'emploi et de la santé.