Le Conseil d’Etat apporte un éclairage intéressant concernant le lien de causalité en cas de contamination par le virus de l’hépatite C. Il considère en effet que la « présomption prévue par les dispositions précitées est constituée dès lors qu'un faisceau d'éléments confère à l'hypothèse d'une origine transfusionnelle de la contamination, compte tenu de l'ensemble des éléments disponibles, un degré suffisamment élevé de vraisemblance ; que tel est normalement le cas lorsqu'il résulte de l'instruction que le demandeur s'est vu administrer, à une date où il n'était pas procédé à une détection systématique du virus de l'hépatite C à l'occasion des dons du sang, des produits sanguins dont l'innocuité n'a pas pu être établie, à moins que la date d'apparition des premiers symptômes de l'hépatite C ou de révélation de la séropositivité démontre que la contamination n'a pas pu se produire à l'occasion de l'administration de ces produits ; qu'eu égard à la disposition selon laquelle le doute profite au demandeur, la circonstance que l'intéressé a été exposé par ailleurs à d'autres facteurs de contamination, résultant notamment d'actes médicaux invasifs ou d'un comportement personnel à risque, ne saurait faire obstacle à la présomption légale que dans le cas où il résulte de l'instruction que la probabilité d'une origine transfusionnelle est manifestement moins élevée que celle d'une origine étrangère aux transfusions ». Voir également Conseil d’Etat, 19 octobre 2011, n°339670 |
Conseil d’État
N° 338686
Inédit au recueil Lebon
5ème et 4ème sous-sections réunies
M. Jacques Arrighi de Casanova, président
Mme Domitille Duval-Arnould, rapporteur
Mme Sophie-Justine Lieber, rapporteur public
SCP ORTSCHEIDT ; SCP PIWNICA, MOLINIE ; FOUSSARD ; SCP ROGER, SEVAUX, avocat(s)
lecture du mercredi 19 octobre 2011
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu le pourvoi sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 15 avril et 15 juillet 2010 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, présentés pour M. Jean-Paul A et Mme Nelly B épouse A, demeurant au ... ; M. et Mme A demandent au Conseil d’Etat :
1°) d’annuler l’arrêt 08LY00396 du 9 mars 2010 par lequel la cour administrative d’appel de Lyon, statuant sur la requête de l’Etablissement français du sang (EFS), a, d’une part, annulé le jugement du 20 décembre 2007 du tribunal administratif de Dijon condamnant le département de l’Yonne à verser, en réparation des conséquences dommageables de la contamination transfusionnelle de M. Jean-Paul A par le virus de l’hépatite C, une somme de 79 842,58 euros, outre intérêts et capitalisation des intérêts, à M. A, une somme de 10 000 euros, outre intérêts et capitalisation des intérêts, à Mme A, une somme de 59 311,35 euros à la caisse primaire d’assurance maladie de l’Yonne et à rembourser à cette dernière, au fur et mesure, une fraction des termes échus de la rente accident du travail servie à M. A correspondant à l’aggravation de son incapacité imputable à la transfusion dans la limite des 54 644,63 euros, d’autre part, rejeté leur demande de première instance ainsi que les conclusions de leur appel incident ;
2°) réglant l’affaire au fond, de condamner solidairement le département de l’Yonne et l’EFS à verser la somme de 330 000 euros à M. A et la somme de 160 000 euros à Mme A avec intérêts et capitalisation des intérêts ;
3°) de mettre à la charge de l’EFS et du département de l’Yonne une somme de 4 000 euros au titre des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la loi n° 2002-303 du 4 mars 2002 ;
Vu la loi n° 2008-1330 du 17 décembre 2008 ;
Vu l’ordonnance n° 2005-1087 du 1er septembre 2005 ;
Vu les décrets n° 2010-251 et n° 2010-252 du 11 mars 2010 ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Domitille Duval-Arnould, chargée des fonctions de Maître des Requêtes,
- les observations de la SCP Ortscheidt, avocat de M. A et de Mme B, de la SCP Piwnica, Molinié, avocat de l’Etablissement français du sang, de Me Foussard, avocat de la caisse primaire d’assurance maladie de l’Yonne, et de la SCP Roger Sevaux, avocat de l’Office national d’indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales,
- les conclusions de Mme Sophie-Justine Lieber, rapporteur public ;
La parole ayant été à nouveau donnée à la SCP Ortscheidt, avocat de M. A et de Mme B, à la SCP Piwnica, Molinié, avocat de l’Etablissement français du sang, à Me Foussard, avocat de la caisse primaire d’assurance maladie de l’Yonne et à la SCP Roger Sevaux, avocat de l’Office national d’indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales ;
Considérant qu’il ressort des pièces soumis aux juges du fond qu’à la suite d’un grave accident de la circulation survenu le 29 juin 1965, M. A, alors âgé de 18 ans, a subi plusieurs interventions chirurgicales au centre hospitalier d’Auxerre, à l’occasion desquelles des produits sanguins lui ont été administrés ; qu’après avoir appris en 2002 qu’il était contaminé par le virus de l’hépatite C, il a recherché devant la juridiction administrative la responsabilité du département de l’Yonne en sa qualité de fournisseur des produits transfusés ; que par jugement du 20 décembre 2007, le tribunal administratif de Dijon, regardant comme établie l’origine transfusionnelle de la contamination, a condamné le département de l’Yonne à réparer les préjudices subis par M. A, Mme A et la caisse primaire d’assurance maladie de l’Yonne ; que, par l’arrêt attaqué du 9 mars 2010, la cour administrative d’appel de Lyon, après avoir annulé le jugement au motif que le tribunal administratif de Dijon ne pouvait, eu égard aux dispositions de l’article 14 de l’ordonnance du 1er septembre 2005 relative aux établissements publics nationaux à caractère sanitaire et aux contentieux en matière de transfusion sanguine, condamner le département et devait appeler en cause l’Etablissement Français du sang, a ensuite estimé que le lien de causalité entre la contamination et les transfusions n’était pas établi et a rejeté les demandes dont le tribunal avait été saisi ;
Considérant qu’aux termes de l’article 102 de la loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé : En cas de contestation relative à l’imputabilité d’une contamination par le virus de l’hépatite C antérieure à la date d’entrée en vigueur de la présente loi, le demandeur apporte des éléments qui permettent de présumer que cette contamination a pour origine une transfusion de produits sanguins labiles ou une injection de médicaments dérivés du sang. Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que cette transfusion ou cette injection n’est pas à l’origine de la contamination. Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles. Le doute profite au demandeur. / Cette disposition est applicable aux instances en cours n’ayant pas donné lieu à une décision irrévocable ;
Considérant que la présomption prévue par les dispositions précitées est constituée dès lors qu’un faisceau d’éléments confère à l’hypothèse d’une origine transfusionnelle de la contamination, compte tenu de l’ensemble des éléments disponibles, un degré suffisamment élevé de vraisemblance ; que tel est normalement le cas lorsqu’il résulte de l’instruction que le demandeur s’est vu administrer, à une date où il n’était pas procédé à une détection systématique du virus de l’hépatite C à l’occasion des dons du sang, des produits sanguins dont l’innocuité n’a pas pu être établie, à moins que la date d’apparition des premiers symptômes de l’hépatite C ou de révélation de la séropositivité démontre que la contamination n’a pas pu se produire à l’occasion de l’administration de ces produits ; qu’eu égard à la disposition selon laquelle le doute profite au demandeur, la circonstance que l’intéressé a été exposé par ailleurs à d’autres facteurs de contamination, résultant notamment d’actes médicaux invasifs ou d’un comportement personnel à risque, ne saurait faire obstacle à la présomption légale que dans le cas où il résulte de l’instruction que la probabilité d’une origine transfusionnelle est manifestement moins élevée que celle d’une origine étrangère aux transfusions ;
Considérant que, pour juger que M. A, dont il était constant qu’il avait subi, à une date où il ne pouvait être procédé à une détection du virus de l’hépatite C à l’occasion des dons du sang, l’administration de produits sanguins dont l’innocuité n’avait pu être établie, n’apportait pas un faisceau d’éléments conférant à l’hypothèse d’une contamination transfusionnelle un degré suffisamment élevé de vraisemblance, la cour a relevé que, si l’expert estimait que cette hypothèse était la plus vraisemblable, il n’excluait pas que l’introduction du virus dans l’organisme du patient ait pu se produire à l’occasion de l’un des actes chirurgicaux qu’il avait subis par ailleurs ou qu’elle ait eu une cause étrangère aux différents soins qui lui avaient été dispensés ; qu’en statuant ainsi, la cour administrative d’appel a entaché son arrêt d’une erreur de droit ; que, par suite et sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens du pourvoi, M. et Mme A sont fondés à demander l’annulation de l’arrêt du 9 mars 2010 ;
Considérant qu’il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de mettre à la charge de l’ONIAM, substitué à l’EFS, la somme de 3 000 euros à verser M. et Mme A et la somme de 1 500 euros à verser à la caisse primaire d’assurance maladie de l’ YONNE au titre des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;
D E C I D E :
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Article 1er : L’arrêt de la cour administrative d’appel de Lyon du 9 mars 2010 est annulé.
Article 2 : L’affaire est renvoyée devant la cour administrative d’appel de Lyon.
Article 3 : L’ONIAM, substitué à l’EFS, versera la somme de 3 000 euros à M. et Mme A et la somme de 1 500 euros à la caisse primaire d’assurance maladie de l’Yonne en application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à M. Jean-Paul A et Mme Nelly B épouse A, à l’Office national d’indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales, à l’Etablissement français du sang et à la caisse primaire d’assurance maladie de l’Yonne.