Le Conseil constitutionnel a été saisi le 28 septembre 2011 par le Conseil d'État d'une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) posée par Mme Lucienne Q. Cette question était relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit des articles L. 336, L. 337, L. 338, L. 339, L. 340 et L. 341 […]
Le Conseil constitutionnel a été saisi le 28 septembre 2011 par le Conseil d'État d'une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) posée par Mme Lucienne Q. Cette question était relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit des articles L. 336, L. 337, L. 338, L. 339, L. 340 et L. 341 du code de la santé publique dans leur rédaction antérieure à l'entrée en vigueur de la loi du 27 juin 1990 relative aux droits et à la protection des personnes hospitalisées en raison de troubles mentaux et à leurs conditions d'hospitalisation. Le Conseil constitutionnel a repris sa jurisprudence des 26 novembre 2010 et 9 juin 2011 aux termes de laquelle l'hospitalisation d'une personne atteinte d'une maladie mentale ne peut être maintenue au-delà de quinze jours sans intervention d'une juridiction de l'ordre judiciaire sous peine de méconnaître les exigences de l'article 66 de la Constitution. En conséquence, le Conseil a déclaré contraires à la Constitution les dispositions contestées du code de la santé publique. Cette déclaration d'inconstitutionnalité prend effet à compter de la publication de la décision. Elle est applicable à toutes les instances non jugées définitivement à cette date. |
(MME LUCIENNE Q.)
Le Conseil constitutionnel a été saisi le 28 septembre 2011 par le Conseil d'Etat (décision n° 348858 du 28 septembre 2011) sur le fondement des dispositions de l'article 61-1 de la Constitution d'une question prioritaire de constitutionnalité posée par Mme Lucienne Q., relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit des articles L. 336, L. 337, L. 338, L. 339, L. 340 et L. 341 du code de la santé publique dans leur rédaction antérieure à l'entrée en vigueur de la loi n° 90-527 du 27 juin 1990 relative aux droits et à la protection des personnes hospitalisées en raison de troubles mentaux et à leurs conditions d'hospitalisation.
Le Conseil constitutionnel,
Vu la Constitution ;
Vu l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;
Vu le code de la santé publique ;
Vu la loi n° 90-527 du 27 juin 1990 relative aux droits et à la protection des personnes hospitalisées en raison de troubles mentaux et à leurs conditions d'hospitalisation ;
Vu la décision du Conseil constitutionnel n° 2010-71 QPC du 26 novembre 2010 ;
Vu la décision du Conseil constitutionnel n° 2011-135/140 QPC du 9 juin 2011 ;
Vu le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Vu les observations produites pour le requérant par la SCP G. Laugier et J.-Ph. Caston, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, enregistrées le 19 octobre 2011 ;
Vu les observations produites pour le Centre hospitalier spécialisé Esquirol par Me Didier Le Prado, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, enregistrées le 21 octobre 2011 ;
Vu les observations produites par le Premier ministre, enregistrées le 21 octobre 2011 ;
Vu les pièces produites et jointes au dossier ;
M. Xavier Pottier désigné par le Premier ministre, ayant été entendu à l'audience publique du 22 novembre 2011 ;
Le rapporteur ayant été entendu ;
1. Considérant qu'aux termes de l'article L. 336 du code de la santé publique, dans sa rédaction antérieure à la loi du 27 juin 1990 susvisée : « Quinze jours après le placement d'une personne dans un établissement public ou privé, il sera adressé au préfet, conformément au dernier paragraphe de l'article L. 333, un nouveau certificat du médecin de l'établissement ; ce certificat confirmera ou rectifiera, s'il y a lieu, les observations contenues dans le premier certificat, en indiquant le retour plus ou moins fréquent des accès ou des actes de démence » ;
2. Considérant qu'aux termes de son article L. 337, dans la même rédaction : « Il y aura, dans chaque établissement, un registre coté et paraphé par le maire, sur lequel seront immédiatement inscrits les nom, profession, âge et domicile des personnes placées dans les établissements, la mention du jugement d'interdiction, s'il a été prononcé, et le nom de leur tuteur ; la date de leur placement, les nom, profession et demeure de la personne, parente ou non parente, qui l'aura demandé. Seront également transcrits sur ce registre :
« 1° Le certificat du médecin, joint à la demande d'admission ;
« 2° Ceux que le médecin de l'établissement devra adresser à l'autorité, conformément aux articles L. 333 et L. 336 ci-dessus.
« Le médecin sera tenu de consigner sur ce registre, au moins tous les mois, les changements survenus dans l'état mental de chaque malade. Ce registre constatera également les sorties et les décès.
« Ce registre sera soumis aux personnes qui, d'après l'article L. 332, ont le droit de visiter l'établissement lorsqu'elles se présenteront pour en faire la visite ; après l'avoir terminée, elles apposeront sur le registre leur visa, leur signature et leurs observations, s'il y a lieu » ;
3. Considérant qu'aux termes de son article L. 338 : « Toute personne placée dans un établissement d'aliénés cessera d'y être retenue aussitôt que les médecins de l'établissement auront déclaré, sur le registre énoncé en l'article précédent, que la guérison est obtenue.
« S'il s'agit d'un mineur ou d'un interdit, il sera donné immédiatement avis de la déclaration des médecins aux personnes auxquelles il devra être remis, et au procureur de la République » ;
4. Considérant qu'aux termes de son article L. 339 : « Avant même que les médecins aient déclaré la guérison, toute personne placée dans un établissement d'aliénés cessera également d'y être retenue, dès que la sortie sera requise par l'une des personnes ci-après désignées, savoir :
« 1° Le curateur nommé en exécution de l'article L. 353 ci-après ;
« 2° L'époux ou l'épouse ;
« 3° S'il n'y a pas d'époux ou d'épouse, les ascendants ;
« 4° S'il n'y a pas d'ascendants, les descendants ;
« 5° La personne qui aura signé la demande d'admission, à moins qu'un parent n'ait déclaré s'opposer à ce qu'elle use de cette faculté sans l'assentiment du conseil de famille ;
« 6° Toute personne à ce autorisée par le conseil de famille.
« S'il résulte d'une opposition notifiée au chef de l'établissement par un ayant droit qu'il y a dissentiment, soit entre les ascendants, soit entre les descendants, le conseil de famille prononcera.
« Néanmoins, si le médecin de l'établissement est d'avis que l'état mental du malade pourrait compromettre l'ordre public ou la sûreté des personnes, il en sera donné préalablement connaissance au maire, qui pourra ordonner immédiatement un sursis provisoire à la sortie à la charge d'en référer, dans les vingt-quatre heures, au préfet. Ce sursis provisoire cessera de plein droit à l'expiration de la quinzaine, si le préfet n'a pas, dans ce délai, donné d'ordres contraires, conformément à l'article L. 346 ci-après. L'ordre du maire sera transcrit sur le registre tenu en exécution de l'article L. 337 ci-dessus.
« En cas de minorité, la sortie ne pourra être requise par les père et mère qui ne se trouvent pas dans l'un des cas prévus à l'article 373 du code civil ; à leur défaut, elle le sera par le tuteur. S'il y a dissentiment entre les père et mère, le tribunal prononcera. S'ils sont divorcés ou séparés de corps, le droit de requérir la sortie est exercé par celui à qui la garde de l'enfant a été confiée » ;
5. Considérant qu'aux termes de son article L. 340 : « Dans les vingt-quatre heures de la sortie, les chefs, préposés ou directeurs en donneront avis, aux fonctionnaires désignés dans le dernier paragraphe de l'article L. 333, et leur feront connaître le nom et la résidence des personnes qui auront retiré le malade, son état mental au moment de la sortie, et, autant que possible, l'indication du lieu où il aura été conduit » ;
6. Considérant qu'aux termes de son article L. 341 : « Le préfet pourra toujours ordonner la sortie immédiate des personnes placées volontairement dans les établissements d'aliénés » ;
7. Considérant que, selon la requérante, ces dispositions méconnaissent le respect de la liberté individuelle garantie par l'article 66 de la Constitution ;
Sur les normes de constitutionnalité applicables :
8. Considérant que l'article 66 de la Constitution dispose : « Nul ne peut être arbitrairement détenu. ― L'autorité judiciaire, gardienne de la liberté individuelle, assure le respect de ce principe dans les conditions prévues par la loi » ; que, dans l'exercice de sa compétence, le législateur peut fixer des modalités d'intervention de l'autorité judiciaire différentes selon la nature et la portée des mesures affectant la liberté individuelle qu'il entend édicter ;
9. Considérant qu'en vertu du onzième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946, la Nation garantit à tous le droit à la protection de la santé ; que l'article 34 de la Constitution dispose que la loi fixe les règles concernant les garanties fondamentales accordées aux citoyens pour l'exercice des libertés publiques ; qu'il est à tout moment loisible au législateur, statuant dans le domaine de sa compétence, d'adopter des dispositions nouvelles dont il lui appartient d'apprécier l'opportunité et de modifier des textes antérieurs ou d'abroger ceux-ci en leur substituant, le cas échéant, d'autres dispositions, dès lors que, dans l'exercice de ce pouvoir, il ne prive pas de garanties légales des exigences constitutionnelles ;
10. Considérant que l'hospitalisation sans son consentement d'une personne atteinte de troubles mentaux doit respecter le principe, résultant de l'article 66 de la Constitution, selon lequel la liberté individuelle ne saurait être entravée par une rigueur qui ne soit nécessaire ; qu'il incombe au législateur d'assurer la conciliation entre, d'une part, la protection de la santé des personnes souffrant de troubles mentaux ainsi que la prévention des atteintes à l'ordre public nécessaire à la sauvegarde de droits et principes de valeur constitutionnelle et, d'autre part, l'exercice des libertés constitutionnellement garanties ; qu'au nombre de celles-ci figurent la liberté d'aller et venir et le respect de la vie privée, protégés par les articles 2 et 4 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, ainsi que la liberté individuelle dont l'article 66 de la Constitution confie la protection à l'autorité judiciaire ; que les atteintes portées à l'exercice de ces libertés doivent être adaptées, nécessaires et proportionnées aux objectifs poursuivis ;
Sur les dispositions contestées :
11. Considérant, en premier lieu, que l'article L. 336 du code de la santé publique, dans sa rédaction antérieure à la loi du 27 juin 1990 susvisée, est relatif au « placement volontaire » décidé par le directeur d'un établissement psychiatrique à la demande de toute personne autre que celle visée par la mesure ; qu'il se borne à imposer, pour le maintien de cette mesure, l'examen de l'intéressé dans les quinze jours par un médecin de l'établissement qui transmet son certificat médical au représentant de l'Etat dans le département ; qu'en lui-même, cet article n'est contraire à aucun droit ou liberté que la Constitution garantit ; qu'il doit être déclaré conforme à la Constitution ;
12. Considérant, en deuxième lieu, que l'article L. 337 institue le registre des personnes « placées » dans l'établissement et énonce les mentions qui doivent y être portées périodiquement ; que l'article L. 338 prévoit la sortie des personnes dont les médecins de l'établissement ont déclaré que « la guérison est obtenue » ; que l'article L. 339 fixe la liste des personnes qui peuvent provoquer la sortie du malade et les conditions dans lesquelles l'autorité administrative peut s'y opposer ; que l'article L. 340 impose que le directeur de l'établissement informe, selon le cas, le préfet, le sous-préfet ou le maire du nom des personnes qui ont requis la sortie d'un malade ainsi que de l'état mental de ce dernier et, « autant qu'il est possible », l'endroit où il a été conduit ;
13. Considérant que la liberté individuelle ne peut être tenue pour sauvegardée que si le juge intervient dans le plus court délai possible ; que les motifs médicaux et les finalités thérapeutiques qui justifient la privation de liberté des personnes atteintes de troubles mentaux hospitalisées sans leur consentement peuvent être pris en compte pour la fixation de ce délai ; que, pour les mêmes motifs que ceux retenus dans les décisions du 26 novembre 2010 et du 9 juin 2011 susvisées, les dispositions des articles L. 337 à L. 340 du code de la santé publique, qui permettaient que l'hospitalisation d'une personne atteinte de maladie mentale soit maintenue au-delà de quinze jours dans un établissement de soins sans intervention d'une juridiction de l'ordre judiciaire, méconnaissent les exigences de l'article 66 de la Constitution ; que, par suite, elles doivent être déclarées contraires à la Constitution ;
14. Considérant, en troisième lieu, que l'article L. 341 se borne à prévoir que le préfet peut toujours ordonner la sortie immédiate des personnes placées volontairement dans les établissements accueillant des personnes atteintes de maladie mentale ; qu'il n'est contraire à aucun droit ou liberté que la Constitution garantit ; qu'il doit être déclaré conforme à la Constitution ;
Sur les effets de la déclaration d'inconstitutionnalité :
15. Considérant qu'en vertu de la seconde phrase du deuxième alinéa de l'article 62 de la Constitution, il appartient au Conseil constitutionnel de déterminer les conditions et limites dans lesquelles les effets que la disposition qu'il déclare inconstitutionnelle a produits sont susceptibles d'être remis en cause ; que, si, en principe, la déclaration d'inconstitutionnalité doit bénéficier à l'auteur de la question prioritaire de constitutionnalité et la disposition déclarée contraire à la Constitution ne peut être appliquée dans les instances en cours à la date de la publication de la décision du Conseil constitutionnel, les dispositions de l'article 62 de la Constitution réservent à ce dernier le pouvoir de prévoir la remise en cause des effets que la disposition a produits avant l'intervention de cette déclaration ;
16. Considérant que la déclaration d'inconstitutionnalité des articles L. 337 à L. 340 du code de la santé publique prend effet à compter de la publication de la présente décision ; qu'elle est applicable à toutes les instances non jugées définitivement à cette date,
Décide :
Les articles L. 337, L. 338, L. 339 et L. 340 du code de la santé publique, dans leur rédaction antérieure à la loi n° 90-527 du 27 juin 1990 relative aux droits et à la protection des personnes hospitalisées en raison de troubles mentaux et à leurs conditions d'hospitalisation, sont contraires à la Constitution.
La déclaration d'inconstitutionnalité de l'article 1er prend effet à compter de la publication de la présente décision dans les conditions prévues au considérant 16.
Les articles L. 336 et L. 341 du même code, dans la même rédaction, sont conformes à la Constitution.
Le président,
Jean-Louis Debré
Source : JORF n°0280 du 3 décembre 2011